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(Crédits : Patrick Tourneboeuf / Station F)

Après le rachat du Chain Accelerator, retour sur les forces et faiblesses de l'écosystème blockchain français

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OPINION. Le Chain Accelerator, l'accélérateur de startups Blockchains situé à Station F, a annoncé mardi son rachat par ON-X, un cabinet de conseil francilien. Tandis que l'objectif commun affiché est de créer "un leader du conseil dans la Blockchain", l'opération est aussi l'occasion de questionner les ambitions réelles de l'écosystème français de la blockchain à date. Celui-ci a-t-il des arguments suffisants pour peser sur la scène internationale ? (*) Nicolas Cantu, le co-fondateur de Chain Accelerator revient sur ses atouts, les freins persistants en France et ses ambitions possibles.

Les talents en France dans la cryptographie, les mathématiques, la programmation, l'informatique embarqué, les infrastructures télécom... sont un atout certain. On trouve en France des contributeurs techniques aux principaux projets mondiaux, ainsi que des pionniers : Woleet, Ownest... ou qui se sont placés parmis les plus innovantes au niveau mondial comme Acinq, ou instrumentales pour l'écosystème comme Woorton. Il s'agit en général "d'électrons libres" d'origines diverses ce qui permet d'avoir en France un accès direct au meilleures ressources.

Le CAC40 est impliqué sur le sujet et peut influer sur une diffusion dans leurs industries respectives. Il faut noter les modules sur les blockchains ou crypto-monnaies désormais présents dans la plupart des universités et des grandes écoles avec parfois des masters spécialisés; préparant une meilleure appropriation du sujet dans tous les domaines. A l'image de la GDPR, pour l'état français comme pour l'Europe la protection des données fait profondément parti des objectifs important.

Autrement dit, il y a en France un excellent terrain à la fois de bonnes bases techniques et des leviers solides pour un déploiement dans la durée des technologies blockchain.

Pourtant, force est de constater des faiblesses. D'abord, il y a un manque certain d'entreprises - notamment françaises - de poids dans l'écosystème mondial. Autant Ledger est une figure remarquée, leader mondial et dont la majorité de ses revenus se fait hors de France, autant le CAC40 et les institutions en France subissent des acteurs internationaux parmi les fondations Suisses qui tentent de se  présenter en "projets français", bénéficier des talents et centraliser les revenus des infrastructures jusqu'aux services en passant par les aides à la recherche.

Réveillons-nous pour ne pas laisser les grands comptes et les institutions françaises tomber dans les erreurs du passé. Créons le champion européen d'origine française qui saura capitaliser sur un écosystème mondial et les opportunités réelles de ce nouveau web. En effet, le CAC40 a bien compris les enjeux stratégiques des ces infrastructures à la fois ouvertes et protectrices, mais à ce stade, le retour d'expérience est entaché le plus souvent de mauvais choix technologiques.

Des cabinets avec leurs propres intérêts

Les industriels français ont d'abord suivi le lobby de cabinets américains, soit de cabinets issus des acteurs historiques du SI (système d'information ndlr) proposant des blockchain privées sans valeur ajoutée, soit des cabinets sur-financés par les levées en ICOs proposant des solutions peu adaptées aux organisations et aux flux des industries. Les autres cabinets sont souvent liés à une seule technologie empêchant des choix pérennes d'architecture avec peu experts des métiers des clients.

Définir l'intégration la plus pertinente d'une infrastructure distribuée dans une industrie requiert un haut niveau d'expertise dans les deux mondes, à la fois la connaissance profonde des métiers et à la fois une très grande proximité avec les (rares) talents mondiaux; tout en gardant une indépendance forte. Seules quelques technologies du marché sont pertinentes en production et leurs déploiements suivent un processus propre à chacune qu'il faut savoir intégrer.

Une blockchain n'est pas une base de données décentralisée; leur rôle est d'assurer la neutralité du protocole autonome entre les acteurs sans avantage spécifique et sans faille. Il s'agit de garantir dans toutes les conditions la résilience dans l'exécution, l'automation, la vérification possible par tous et la tenue du registre des transactions et des messages qui contiennent seulement des représentations signées et horodatés des données. L'identité à base de clé publique est aussi "game changer" dans les moyens de partage des informations à l'international. Il s'agit de réseaux spécialisés dont il faut identifier les bons niveaux de protocoles et de consensus; intégrer les bons niveaux de sécurité, d'audits, de rapidité, et d'interopérabilité dans le respect des coûts et des processus métiers.

Ce secteur est issu d'une recherche dynamique et pluridisciplinaire; il convient de rester connecté à l'écosystème et ouvert aux émergences. Ne pas pouvoir manipuler et ne pas être sujet aux manipulations, grâce à une réduction de la gouvernance au bénéfice des algorithmes mathématiques. L'État français devrait supporter cette révolution si structurante.

L'enjeu est de taille car l'État Français est coincé entre les GAFAs qui se rendent indispensable par leur centralisation des données et des systèmes; imposant un manque de protection de la vie privée et un manque de confidentialité des industries et d'un autre côté les alternatives souveraines plus protectrices mais par nature peu résilientes et surtout qui isolent dans les partenariats et ressources internationales.

Les blockchains et les crypto-monnaies permettent à la fois la protection et à la fois une ouverture avec la garantie d'une exécution neutre. On est sur une technologie de rupture qui va se diffuser dans tous les secteurs. A ce stade, on n'en perçoit davantage le besoin (très visible par exemple dans la santé et les outils du cloud lors du COVID-19) que l'intégration au quotidien. Mais l'écosystème en structuration ces dernières années prépare les futurs fournisseur incontournables d'infrastructures résilientes, indispensables à protéger la vie privée et la confidentialité des flux dans une ère numérique, incontournable pour vérifier l'exécution de l'économie, des chaînes logistiques et pour les coopérations à grande échelle.

Lire aussi : La Blockchain pour flécher les aides du Covid-19...et mesurer leurs impacts

Alors comment faire ? Il faudrait choisir deux ou trois sujets pour lesquels les fondamentaux des blockchains et crypto-monnaies ont le plus de sens pour aller chercher progressivement mais rapidement l'excellence. Ce peut être le paiement, l'économie locale, la résilience des chaînes d'approvisionnements et les processus de la vente au détail incluant les leviers marketing de la fidélité. De fait, ces domaines arrivent aux limites soit de leurs passages à l'échelle soit de bon fonctionnement en transverse des acteurs. Aussi, ils sont stratégiques sur le plan économique et de l'indépendance. Les premiers forts retours sur investissements permettraient de lancer un acteurs Français au niveau international.

Il faut être un catalyseur de champions mondiaux et être en capacité de les intégrer au sein des initiatives françaises, proposer une vision réellement universelle, bénéfique aux industries. Par exemple, la coopération et la fluidité des informations des chaînes logistiques est particulièrement complexe car les acteurs ne peuvent pas sans blockchain se reposer en confiance sur un système porté par l'un des acteurs. Il en résulte des détournements, un manque de clarté sur les productions, des distorsions et dépendances graves et peu de maîtrise de la chaîne de valeur ainsi qu'un coût de l'audit. Dans ces conditions, cela ferme les marchés et favorise des circuits moins respectueux mais plus accessibles. La mode, la santé, le transport, l'industrie minière, l'agroalimentaire, quasiment toutes les industrie ont leur lot de scandales et de dysfonctionnements; principalement lié à l'absence d'un registre commun et neutre.  Le risque serait de se restreindre aux ressources françaises ou aux usages et marchés français.

Pour la première fois depuis 50 ans, l'innovation ne vient pas que de la Silicon Valley, c'est pourquoi il est urgent que l'État français lance des initiatives qui auront des impacts sur des dizaines d'années.

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