Etats-Unis : comment Trump et Biden font campagne malgré l'épidémie
by Thomas LiabotEngagés dans une campagne présidentielle inédite en raison de l'épidémie qui frappe les Etats-Unis, Donald Trump et Joe Biden doivent se réinventer. En attendant des jours meilleurs, ils misent notamment sur le numérique.
A presque cinq mois de la présidentielle américaine, faire campagne relève toujours du défi. Lundi, pour la première fois depuis le 15 mars, le démocrate Joe Biden, masqué, a participé à une brève cérémonie de dépôt de gerbe sur un monument aux anciens combattants près de son domicile, en ce jour férié de Memorial Day. "Cela fait du bien de sortir de chez moi", a lâché le candidat de 77 ans, reclus depuis mi-mars avec sa femme, Jill, dans sa maison de Wilmington dans le Delaware.
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Dans le même temps, Donald Trump a également rendu hommage aux soldats américains tombés au combat, d'abord au cimetière militaire d'Arlington, près de la capitale Washington, puis au monument Fort McHenry à Baltimore. Le président américain, qui ne portait pas de masque, y a notamment salué les "dizaines de milliers de militaires et de membres de la Garde nationale qui sont sur le front de notre guerre contre ce terrible virus". A l'heure où il devrait rassembler des foules monstres en meeting, le milliardaire doit se contenter de ces sorties épisodiques.
Faire campagne sur le numérique
Depuis plusieurs semaines en effet, le coronavirus a transformé la façon de faire campagne, et ses conséquences pourraient changer la donne en vue du scrutin : les Etats-Unis vont franchir la barre des 100.000 morts et le chômage a explosé. Au début de la crise, la situation a semblé bénéficier à Donald Trump, qui était aux commandes du pays et en direct à la télévision tous les jours, tandis que Joe Biden peinait à exister depuis son sous-sol, où il a rapidement aménagé un studio, lancé son premier podcast et étoffé son équipe de campagne, notamment sur le numérique. Le ralliement de plusieurs ténors démocrates, dont Barack Obama, lui a permis de se remettre sur les rails.
Distanciation physique oblige, les semaines qui arrivent devraient encore faire la part belle à la campagne en ligne. Sur ce terrain, Joe Biden part avec du retard : la campagne de Donald Trump a amassé un trésor de guerre ces derniers mois qui lui offre une force de frappe financière incomparable avec celle des démocrates ; le milliardaire et ses équipes ont aussi développé un savoir-faire important depuis 2015 et le début de sa première campagne. Un indicateur est particulièrement parlant, le nombre d'abonnés sur les réseaux sociaux. Trump est suivi par 80 millions de personnes sur Twitter et 29 millions sur Facebook, contre 5,5 et 2 millions pour Biden.
Ce n'est pas un hasard si l'ancien directeur du numérique de Donald Trump, Brad Parscale, a été promu cette année directeur de campagne. Pendant le confinement, il a lancé l'application Trump 2020, un outil qui était en préparation depuis plusieurs mois mais qui a du être repensé pour s'adapter au contexte. Alors qu'elle devait principalement encourager les partisans du président à participer aux meetings, l'application est devenue un moyen de réunir et de diffuser tous les informations et événements en ligne, à commencer par des émissions où des proches du milliardaire (le sénateur du Texas Ted Cruz, sa belle-fille Lara Trump, etc.) défendent son action et critiquent les démocrates. Ludique, l'application encourage l'engagement des supporters dans sa campagne par un système de points gagnés en fonction des actions réalisées.
Biden mise sur son empathie et sur les faiblesses de Trump
Joe Biden a également lancé une application, plus classique, intitulée TeamJoe. Pour le Washington Post, qui a comparé les deux produits, le constat est cinglant : "La campagne de Biden a des années de retard sur ce type d'engagement", écrit le journaliste Dave Weigel. Il faut dire que la stratégie du démocrate est toute autre. Alors que Donald Trump tente de mobiliser sa base pour qu'elle lui reste le plus fidèle possible jusqu'au 3 novembre, Joe Biden essaye lui de l'élargir afin de toucher un maximum d'électeurs.
Plutôt que de développer des outils de campagne propres au numérique, l'ancien vice-président de Barack Obama s'est contenté, pour l'heure, de transposer son savoir-faire. Il a organisé des réunions à distance avec Beto O'Rourke et Pete Buttigieg, mis en place des levées de fonds sur Zoom, l'application de visioconférence, et lancé des "déplacements" de campagne virtuels pour rencontrer - toujours à distance - les élus locaux et les partisans démocrates privés de meetings. Grâce à ses interventions dans les médias, Biden a tenté de continuer d'exister, en multipliant les critiques contre la gestion de Donald Trump.
L'objectif, selon les mots de Rob Flaherty, directeur du numérique de la campagne Biden, est "de combler en quelque sorte le vide de leadership que nous constatons à Washington en ce moment", a-t-il expliqué à la radio publique NPR. Son équipe entend mettre en avant avec Biden l'image d'un "leader empathique et compétent à une époque où les gens ont soif d'empathie et de compétence". Pour Kate Bedingfield, directrice de la communication de Biden, l'enjeu est d'exploiter "l'incroyable sentiment d'incertitude" créé par Trump pour séduire les électeurs, notamment ceux qui n'avaient pas voté en 2016 : "Nous essayons de réfléchir au plus large éventail de programmes créatifs pour le mettre en face de personnes qui ne sont pas nécessairement plongées dans la politique".
Donald Trump compte lui aussi exploiter la crise à son avantage. Depuis le début du mois, son équipe de campagne a inondé Internet et les médias traditionnels de publicités critiquant sa supposée faiblesse vis-à-vis de la Chine, que le président accuse d'être responsable de l'épidémie. Les attaques se concentrent également sur son âge et son état mental, un axe que Donald Trump lui-même développe depuis des mois sur son compte Twitter. Joe Biden utilise également la publicité pour critiquer l'action du président américain, comme avec ce spot diffusé il y a deux semaines.
Trump pousse pour organiser à nouveau des meetings
L'équipe de Biden comme celle de Trump ont conduit des sessions de formations à distance pour les milliers de volontaires. Selon NPR, le parti républicain, pleinement engagés dans la course à la réélection de Donald Trump, a aussi passé 10 millions d'appels téléphoniques pour convaincre les électeurs de voter pour le milliardaire. Dans ce contexte, le président bénéficie d'un avantage : il peut profiter de ses rares déplacements pour en faire une tribune, et il ne s'en prive pas. Lors d'un déplacement la semaine dernière dans une usine Ford du Michigan qui fabrique des respirateurs, il a notamment parlé de l'importance de s'imposer une fois encore en novembre dans cet Etat stratégique : "Je pense que nous allons faire mieux la deuxième fois, et il est important que nous gagnions la deuxième fois."
Mais le président américain, même s'il peut s'appuyer sur un savoir-faire numérique incontestable, continue aussi de faire pression pour organiser à nouveau des meetings. "Le plus tôt sera le mieux", avait-il dit lors de sa visite dans le Michigan. Selon Politico, son équipe de campagne suivrait de très près la progression du déconfinement dans les 50 Etats du pays afin de voir comment elle peut s'organiser, estimant que les grands meetings du président sont essentiels pour souder sa base. Selon un sondage Morning Consult paru la semaine dernière, 38% des républicains se disent à l'aise à l'idée d'assister à un meeting politique dans les six mois qui viennent, malgré la crainte du virus. C'est presque le double des démocrates (22%).
Donald Trump fait aussi pression pour que la convention républicaine, prévue fin août à Charlotte en Caroline du Nord, se déroule dans les meilleures conditions, quitte à politiser le débat face au gouverneur démocrate de cet Etat du sud du pays. "Des milliers de républicains enthousiastes s'organisent pour se rendre en Caroline du Nord en août. Le gouverneur doit immédiatement leur dire si oui ou non le lieu de la convention pourra être utilisé à pleine capacité", a-t-il tweeté lundi. "Si ce n'est pas le cas, nous serons, à regret, obligés de trouver un autre site pour la convention républicaine", a-t-il poursuivi, insistant sur "les emplois et le développement économique" liés à l'organisation d'un tel événement.
Bien que l'investiture de Donald Trump ne souffre d'aucune contestation au sein des républicains, la convention est traditionnellement un moment fort de communion avec le candidat qui défendra les couleurs du parti en novembre. A cet égard, l'attitude du président tranche avec celle des démocrates, qui ont évoqué la possibilité d'organiser leur convention, également prévue en août, en ligne ou avec un autre format inédit pour investir Joe Biden. Pour l'heure, tous les récents sondages nationaux donnent le démocrate vainqueur dans son face à face avec Donald Trump. Reste à savoir quel sera l'impact réel de cette campagne inédite sur le résultat final, et dans quelles conditions se tiendra le scrutin.