https://medias.liberation.fr/photo/1315485-000_1cz6s8.jpg?modified_at=1590517158&width=960
Sur la promenade des Anglais à Nice, le 3 février 2019.
Photo Valery Hache. AFP

StopCovid : un révélateur des inégalités d’accès aux droits

L'application fait l’objet de nombreux débats qui ne ressemblent en rien à ceux qui entourent la technologie déployée pour les personnes malades d’Alzheimer. Une régulation à deux vitesses ?

by

Tribune. «La liberté en toute sécurité» : c’est ce que clament les slogans publicitaires pour les dispositifs techniques de suivi des personnes malades d’Alzheimer. Entrés sur le marché français dès les années 2000, ils promettent de prévenir les disparitions et les risques sanitaires associés (chutes, accidents de la circulation, déshydratation, malnutrition, hypothermie) en permettant de savoir où se trouvent les personnes. Au temps de la pandémie du Covid-19 cette promesse de conciliation entre la liberté de circuler et la sécurité des personnes fait écho à celle portée par l’application de «suivi de contacts» StopCovid. Il y a de nombreux points communs entre StopCovid et les dispositifs destinés aux malades d’Alzheimer. Pourtant, leur traitement dans le débat public, politique et juridique est très différent et révèle des inégalités. 

L’application StopCovid doit être votée mercredi à l’Assemblée nationale. Malgré les incertitudes autour de sa mise en place, de nombreux acteurs ont d’ores et déjà pris position. Il y a d’abord ses détracteurs, qui mettent en doute son efficacité technique, pointent une adoption incertaine par la population, et mobilisent des arguments éthiques, juridiques et politiques. Il y a ensuite ses défenseurs qui soutiennent le recours à StopCovid en mobilisant une rhétorique de la complémentarité avec d’autres stratégies de lutte contre le coronavirus. Enfin, un troisième groupe se compose d’entreprises privées – au premier rang desquelles Apple et Google – qui développent leurs propres applications et dont objectif est l’infléchissement du principe de «souveraineté numérique». Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), le Conseil scientifique Covid-19, la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) et le Conseil national du numérique (CCNum) ont aussi émis successivement des avis dans l’hypothèse d’un recours.

Ces instances de régulation étatique rappellent certains droits (droit à la protection de la vie privée, droit à la protection des données à caractère personnel, droit à la protection de la santé) et elles circonscrivent le cadre légal (Règlement général de la protection des données, loi «informatique et liberté», code de la santé publique). Elles énoncent des recommandations comme l’information de la population, l’utilisation temporaire, le temps limité de conservation des données, la minimisation du risque de réidentification des personnes infectées, ou encore le libre accès aux protocoles et au code source. Si le recours volontaire semble être recommandé à ce jour, l’option d’un suivi obligatoire n’est pas complètement écartée et les stratégies pour encourager l’adhésion au dispositif sont clairement énoncées (parmi lesquelles… le recours volontaire !). Bref, StopCovid fait l’objet de nombreux débats avant même la fin de son développement et son vote au Parlement. 

Le suivi des malades d’Alzheimer par GPS

Les dispositifs de suivi dédiés aux malades d’Alzheimer ne suscitent pas autant de précautions pour préserver ces mêmes droits dans un cadre légal solide. Leur régulation n’est advenue qu’une dizaine d’années après leur mise en vente sur le marché français par Internet. Désormais une vingtaine de recommandations de «bonne» pratique s’appliquent mais sans fondement légal. Aucun consensus stable n’a été trouvé, ce qui laisse de plus en plus de place à des régulations non plus étatiques ou professionnelles mais bel et bien marchandes (par la filière de la Silver économie par exemple). Ce constat est d’autant plus problématique qu’il s’agit ici de réguler des suivis de personnes par le Global positioning system (GPS) ou la Radio frequency identification (RFID) et non de suivre des contacts comme pour StopCovid ; les développeurs de StopCovid se défendent d’ailleurs de faire du suivi de personnes et revendiquent de ne faire «que» du suivi de contacts par Bluetooth. Ensuite, malgré une promesse très séduisante, les non-usages et les abandons d’usage sont monnaie courante dans les établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Enfin, la question de l’adhésion des personnes malades d’Alzheimer à ces dispositifs pose doublement question. D’une part, parce que leur capacité à consentir peut être altérée en fonction du stade d’avancée de la maladie. D’autre part, parce que les industriels rendent le dispositif invisible pour favoriser son acceptation par les malades (étiquettes collées sur les vêtements ou intégration dans les semelles des chaussures pour la RFID ; dispositif sous la forme d’une montre pour le GPS). 

La régulation des dispositifs de suivi est à deux vitesses. Les débats autour de StopCovid, une technologie destinée à l’ensemble de la population, ne ressemblent pas à ceux qui entourent le même type de dispositif pour les personnes malades d’Alzheimer. Alors que les dispositifs de suivi s’accompagnent d’innombrables précautions lorsqu’elles s’adressent à tous, il n’en est rien lorsqu’elles s’adressent à une frange de la population qui est trop souvent délaissée. Ce double standard est d’autant plus crispant que, dans le contexte de pénurie sanitaire que nous connaissons aujourd’hui face au Covid, ce sont typiquement les personnes âgées et malades qui se trouvent sacrifiées. En matière de suivi technique des personnes, les droits des uns ne sont pas équivalents à ceux des autres.