Les frontaliers, une clientèle doublement désavantagée

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Michael Desforges, directeur du spécialiste des changes Telexoo, entend développer sa société dans l’Arc jurassien et en Suisse alémanique.

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Vivre d’un côté de la frontière et travailler de l’autre implique de nombreuses contraintes sur le plan pratique, aussi en ce qui concerne la gestion des devises. Comment les frontaliers, les expatriés ou les propriétaires de biens immobiliers peuvent-ils éviter de multiplier les frais bancaires? Entretien avec Michael Desforges, fondateur et directeur de Telexoo, une société basée à Genève spécialisée dans le change de devises à taux préférentiels et qui propose aussi sur son site différentes informations pratiques destinées aux frontaliers, aux particuliers et aux PME.  

Telexoo propose pour l’essentiel à ses clients des taux de change plus avantageux que ceux offerts par les banques classiques. Comment avez-vous accès à des taux plus favorables?

Telexoo traite des volumes de change importants sur l’année. Grâce à ce volume élevé, il nous est possible de négocier des taux plus favorables auprès de banques et d’obtenir une marge plus petite. Nous pouvons ainsi répercuter cet avantage à nos clients. La banque nous considère comme un intermédiaire financier.

Achetez-vous à l’avance de grands volumes lorsque les cours sont favorables pour ensuite les revendre en petites tranches?

Non. Ce n’est pas notre approche. Si l’on achetait à l’avance de très grands volumes de devises, par exemple 10 millions de dollars, on ne saurait pas si l’on va ensuite réaliser un gain ou une perte de change. Si nous parvenons à obtenir des cours plus avantageux que les particuliers, c’est parce que nos partenaires savent que nous effectuons un certain volume de transactions sur l’année.

Quels sont les profils typiques de vos clients?

Il y en a plusieurs. Du côté des entreprises, nous avons une clientèle de PME qui représente environ 20% de nos activités en termes de volumes. En ce moment, c’est une clientèle qui souffre certes de la situation actuelle mais qui est aussi devenue encore plus attentive aux coûts. Du côté des particuliers, les frontaliers qui travaillent en région genevoise constituent la majorité de nos clients. En termes de frais bancaires, il s’agit d’une clientèle qui est doublement désavantagée: d’une part, les frontaliers doivent souvent avoir deux comptes, l’un en Suisse, l’autre en France, ce qui multiplie les frais. D’autre part, c’est aussi une clientèle captive car tous les établissements bancaires ne les acceptent pas et qui n’a, à mon avis, pas toujours été bien traitée par les banques suisses. Il y a quelques années, une banque de détail n’avait pas hésité à multiplier par trois les frais s’appliquant aux personnes domiciliées en France. Enfin, il y a aussi des expatriés ou des Suisses qui prennent leur retraite ailleurs, pas seulement en France mais aussi dans des pays tels que l’Italie, l’Espagne ou le Portugal. Ces gens ont besoin de convertir en euros une part des revenus de leur retraite ou du capital lorsqu’ils le retirent. S’y ajoutent aussi des personnes qui possèdent des biens immobiliers à l’étranger.

Qu’en est-il des autres régions du pays?

Toutes les régions qui comptent beaucoup de travailleurs frontaliers sont intéressantes pour nous. En Suisse, il y a quelque 325'000 Français qui travaillent en territoire helvétique, à quoi s’ajoutent entre 60'000 à 80'000 Italiens et quelque 40'000 Allemands. Nous développons actuellement un portefeuille pour l’Allemagne avec notre banque principale qui est basée à Bâle. Concernant le Tessin, nous avons lancé un comparateur en Italien pour voir si les taux proposés sont compétitifs pour le marché italien. Enfin, nous développons nos contacts dans l’Arc jurassien, en particulier dans le canton de Neuchâtel. La promotion économique neuchâteloise a fait un travail fantastique pour nous mettre en relation avec différents partenaires.

Outre les taux de change, prévoyez-vous de développer votre offre dans d’autres domaines - par exemple, proposer des cartes de crédit ou de débit destinées à la clientèle frontalière?

Nous rêverions bien sûr de pouvoir proposer de telles cartes à nos clients. Jusqu’ici, nous avons toutefois eu du mal à trouver une banque en Suisse qui soit intéressée à développer ce type de services.

Comment vous préparez-vous à affronter les situations de forte volatilité sur les marchés des devises?

Il faut distinguer entre des événements entièrement inattendus, comme cela a été le cas lors de l’abandon du taux plancher en janvier 2015, et les situations où une certaine tendance se développe au cours de plusieurs mois. Jusqu’ici, malgré la crise du coronavirus, le franc est parvenu à se maintenir au-dessus de 1,05 franc par euro grâce au fait que la BNS est intervenue de manière agressive en achetant de l’euro. Sans ces interventions, le franc évoluerait certainement en-dessous de la parité. Si l’on regarde les pays qui entourent la Suisse, la France est dans une situation économique très difficile, tandis qu’elle est catastrophique en Italie. Si un jour les marchés commencent à avoir peur que certains pays membres de la zone n’arrivent pas à rembourser leur dette, cela soutiendra le franc et dépréciera l’euro. Maintenant, en ce qui concerne Telexoo, nous ne faisons pas de paris actifs sur l’évolution des marchés – ce n’est pas notre rôle.

Comment observez-vous les développements actuels en matière de numérisation des services bancaires – craignez-vous une concurrence accrue de la part des néo-banques?

On assiste effectivement à une véritable révolution dans le monde bancaire avec l’accès à des services 24 heures sur 24, et qui sont proposés à des tarifs extrêmement bas. S’y ajoute l’utilisation croissante du mobile, qui permet d’accéder à des services parfois complexes, avec une tablette ou smartphone. Même chez Telexoo, la part du mobile atteint déjà environ 70% parmi nos utilisateurs. Nous voyons cette évolution aussi comme une source d’opportunités. Nous avons demandé de l’aide à un spécialiste pour voir comment nous pourrions mieux structurer les données dont nous disposons. Les néo-banques, comme la société britannique Revolut ou l’allemande N26, perdent certes encore de l’argent jusqu’à présent - à terme, elles vont pouvoir se baser sur les données de leurs utilisateurs afin de leur proposer des offres sur-mesure et un service personnalisé. Par exemple, si une telle plateforme voit que vous avez payé pour réserver une chambre dans un hôtel à Londres, elle peut vous proposer un service supplémentaire spécifique pour cette période précise – à l’exemple d’une assurance voyage d’une semaine, car il n’est pas nécessaire de conclure une assurance pour toute l’année.

Considérez-vous des sociétés comme Revolut ou N26 comme des concurrents directs à votre activité sur le long terme?

Tout dépend de l’usage qu’en fait le client. Une personne qui part en vacances de temps à autre en Europe peut trouver pratique d’avoir avec lui une carte de Revolut ou de N26 pour effectuer quelques transactions à très peu de frais. D’un point de vue pratique, la situation diffère selon le fait que vous résidiez en Suisse ou dans l’UE. Si vous habitez en Suisse, il est possible d’ouvrir un compte auprès d’une banque à Zurich qui vous permet ensuite de verser de l’argent sur votre compte Revolut. Si vous habitez en France, ce n’est pas possible et vous devez passer par une banque à Londres. Quant à N26, cette société n’a pas encore de licence pour opérer en Suisse. Il faut toutefois rappeler que notre modèle d’affaires se concentre sur l’octroi de taux de change à des cours préférentiels – nous ne cherchons pas à nous substituer aux banques.