«Pourquoi l’endettement public est injustifié», par Pascal Salin
« Il y a dans la dette publique une différence essentielle avec le comportement individuel, à savoir que ceux qui décident d’emprunter ne sont pas personnellement responsables du remboursement », note l’économiste libéral
by Pascal SalinPour évaluer le rôle de l’endettement public et de son remboursement éventuel, il semble indispensable de le comparer à la dette privée. Dans une société sans Etat (ou une société où il n’y a pas de dette publique), les créances et dettes sont évidemment l’expression des préférences inter-temporelles des individus. Ceux qui empruntent ont une préférence pour le présent car ils désirent obtenir un montant de ressources supérieur au montant des ressources qu’ils produisent, éventuellement pour investir. Ceux qui épargnent souhaitent disposer dans le futur de ressources plus importantes que ce qui correspondrait à leur production future (par exemple parce qu’ils envisagent d’être en situation de retraite). Le taux d’intérêt est le prix du temps, il résulte des préférences inter-temporelles des individus. Dans une société de marchés libres, le taux d’intérêt d’équilibre est celui qui permet l’égalité entre les désirs d’emprunts et les désirs de prêts.
On peut être tenté de considérer qu’il en va exactement de même pour l’endettement public, celui-ci constituant l’expression des préférences inter-temporelles de l’Etat. Mais il y a une différence essentielle avec le comportement individuel, à savoir que ceux qui décident d’emprunter ne sont pas personnellement responsables du remboursement. Et c’est d’ailleurs bien pour cette raison que la dette publique existe presque partout dans le monde. Les politiciens savent qu’ils peuvent prétendre faire des cadeaux aux citoyens sans avoir à leur imposer le financement de ces dépenses publiques qui devra être assuré dans le futur par d’autres politiciens.
Epargne disponible. Mais ce faisant ils réduisent l’épargne disponible pour les individus et ils portent donc atteinte aux choix individuels. Par ailleurs les choix individuels sont également modifiés de manière arbitraire par la politique de taux d’intérêt des banques centrales. En suscitant des taux d’intérêt très bas, elles donnent le sentiment qu’elles stimulent les emprunts des investisseurs (mais aussi celui des Etats), mais elles diminuent les incitations à épargner et donc le montant possible des investissements.
On devrait légitimement en déduire qu’il devrait être constitutionnellement interdit aux Etats d’emprunter et aux banques centrales de créer de la monnaie contre des créances. On peut d’ailleurs facilement montrer qu’il n’est pas nécessaire de créer de la monnaie : si la quantité de monnaie est constante et s’il y a une croissance économique, les prix monétaires diminuent et le pouvoir d’achat de chaque unité monétaire augmente, ce qui est d’ailleurs souhaitable (et de ce point de vue on devrait être très favorable à la déflation).
L’achat d’actifs de fonds propres par l’Etat revient à rendre propriétaire de ces fonds une institution irresponsable puisque ceux qui prennent des décisions ne supportent pas eux-mêmes les conséquences de ces décisions, contrairement à ce qui se passe avec les propriétaires privés de fonds propres
En ce qui concerne la situation actuelle de la France, on sait bien qu’il y avait déjà une dette publique très importante avant le début de la crise d’origine sanitaire. Mais l’Etat prétend à tort que sa politique d’augmentation des dépenses publiques constitue une politique de relance, ce qui est totalement erroné. Et l’on doit de même contester fortement la prétention de la Banque centrale européenne à pratiquer une politique de relance par la création d’encaisses monétaires (et éventuellement l’achat de créances sur l’Etat). Il conviendrait au contraire de diminuer la dette publique pour revenir à une situation normale. Mais il faudrait éviter pour cela d’augmenter les impôts car la France a déjà malheureusement un record du monde en ce qui concerne le montant des impôts prélevés, ce qui détruit beaucoup les incitations productives. La seule solution acceptable consiste à diminuer les dépenses publiques.
Intermédiaire financier. Dans la situation actuelle, certaines entreprises sont particulièrement en difficulté provisoire et elles doivent normalement emprunter avec l’intention de rembourser leurs emprunts lorsqu’elles auront retrouvé leurs activités normales. Mais l’Etat, pour faire croire à l’existence de politique de relance efficace, prétend fournir des ressources à certaines de ces entreprises. Pour cela, il doit emprunter davantage et il joue en fait uniquement un rôle d’intermédiaire financier ; mais les décisions étatiques sont discrétionnaires et elles peuvent créer des distorsions dans les activités productives, ainsi que dans le marché de l’épargne.
Par ailleurs on doit contester la prétention de l’Etat français à aider des entreprises en participant à leurs fonds propres. L’un des rôles fondamentaux des fonds propres vient de ce que leurs détenteurs sont responsables et sont incités à prendre des décisions efficaces. Or l’achat d’actifs de fonds propres par l’Etat revient à rendre propriétaire de ces fonds une institution irresponsable puisque ceux qui prennent des décisions ne supportent pas eux-mêmes les conséquences de ces décisions, contrairement à ce qui se passe avec les propriétaires privés de fonds propres.
Ce qui serait souhaitable actuellement, ce n’est pas l’intervention d’une politique économique et d’une politique monétaire, mais c’est au contraire de favoriser les ajustements par les libres décisions des individus. Il conviendrait pour cela de diminuer considérablement les excès de fiscalité et de réglementations qui détruisent les incitations productives.
Pascal Salin est professeur honoraire de l’Université Paris-Dauphine, président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (Aleps). Il est l’auteur de Le vrai libéralisme : Droite et gauche unies dans l’erreur (Odile Jacob, novembre 2019, 25,90 euros).