Laurent Saint-Martin (LREM): «Il faut sortir de la pensée magique et démystifier la dette perpétuelle»
Pour le rapporteur du budget à l’Assemblée nationale, Laurent Saint-Martin, « nous devons être extrêmement vigilants au moment où l’endettement atteint 115 % de la richesse nationale. Nos créanciers nous regardent »
by Raphaël LegendreLe débat intellectuel est vif sur le traitement de la dette publique. Où vous situez-vous ?
Ma position de principe, c’est que toute dette contractée doit être payée. S’il y a une dette et un créancier, c’est qu’il y a un prêteur sous certaines conditions et selon un projet. Dans le cas particulier des Etats, il ne faut cependant pas oublier qu’une dette se rembourse, mais se refinance aussi. Une dette d’Etat peut donc théoriquement être perpétuelle et le quantitative easing [programme de rachat de dettes, ndlr] de la Banque centrale européenne peut laisser penser que les Etats n’auraient jamais à la rembourser. C’est faux. La question, c’est jusqu’à quel point peut-on refinancer la dette d’un Etat. Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins de ce débat. Pour l’instant, les conditions sont plutôt favorables.
«Je veux tordre le cou au débat trop binaire qui oppose droite et gauche, avec d’un côté des gens qui vous expliquent que la dette n’a aucune importance et de l’autre que la même dette hypothèque dramatiquement l’avenir de nos enfants»
Vous devez rendre une « mission flash » sur la dette fin juin. En quoi consiste-t-elle ?
Je veux tordre le cou au débat trop binaire qui oppose depuis des années droite et gauche, avec d’un côté des gens qui vous expliquent que la dette n’a aucune importance et de l’autre, que la même dette hypothèque dramatiquement l’avenir de nos enfants. Politiquement, il manque cette case technique du refinancement pour faire comprendre qu’il est parfois bon de s’endetter, et parfois coupable de s’endetter. Il faut recontextualiser la dette.
Donc aujourd’hui, c’est le moment de s’endetter ?
La crise a engendré un besoin fort d’investissement. Les taux d’intérêt sont bas. Profitons de cet alignement des planètes. Mais attention, cela ne veut pas dire non plus qu’on doit faire n’importe quoi.
Les parlementaires sont-ils au fait de ces questions monétaires et de gestion de la dette ?
Pas assez. Je veux que les parlementaires se réapproprient les causes et les conséquences de l’endettement. Nous sommes sous le regard des investisseurs. Nous devons être extrêmement vigilants au moment où l’endettement atteint 115 % de la richesse nationale. Les parlementaires ne sont pas assez éclairés sur le sujet. Le débat sur la dette n’est pas assez présent lors des travaux en commission des finances comme au Parlement en général. Il faut que cela change.
Comment ?
Je veux un vrai vade-mecum du débat sur la dette. Que l’on arrête de se focaliser uniquement sur le ratio dette sur PIB. La dette, c’est un ensemble qui comprend aussi la dette de la sécurité sociale et des collectivités locales. Il faut que les parlementaires sachent par qui sont détenues ces différentes dettes et comment elles sont regardées par nos créanciers. C’est pourquoi au-delà des économistes, des acteurs publics (Agence France Trésor, Acoss, Cades), je compte aussi auditionner les investisseurs privés, afin de mieux comprendre leur regard sur la dette française, pour faire comprendre au Parlement quel est le comportement d’investissement, d’achat et de ventes des titres de dette française, le tout dans un cadre international qui pourra bouger demain.
«Nous n’avons pas fini de dépenser pour résoudre la crise. Cela passera par de la dette supplémentaire mais il est encore trop tôt pour dire combien»
La prévision de dette va augmenter dans le prochain collectif ?
C’est possible. Nous n’avons pas fini de dépenser pour résoudre la crise. Cela passera par de la dette supplémentaire mais il est encore trop tôt pour dire combien. Le véritable enjeu est de s’assurer que les investisseurs comprennent bien ce que nous faisons. C’est pour cela qu’il faut remettre de la technique dans le débat. Sortir de la pensée magique et démystifier ce que l’on entend sur la dette perpétuelle, comme il faut relativiser la diabolisation de l’endettement. Les deux postulats sont faux. Ce qui pourrait devenir un fardeau, ce serait la perte de confiance de nos investisseurs qui augmenterait immédiatement la charge de la dette par des hausses des intérêts. Nous serions alors contraints d’appliquer des politiques de rigueur dont nous ne voulons pas. C’est pourquoi nous devons maîtriser nos risques. Nos créanciers regardent ce que nous faisons. Il faut faire attention.
C’est aussi une question européenne…
La Banque centrale européenne fait beaucoup pour améliorer les conditions de refinancement des dettes publiques. Et de fait, les taux d’intérêt auxquels nous pouvons prétendre sont proches de zéro. C’est la force de la monnaie unique. Par ailleurs, à l’échelle de l’Union européenne, les pays les plus affectés par le Covid-19 sont aussi, souvent, ceux qui ont moins de marge de manœuvre budgétaire. Agir de concert dégagera des marges de manœuvre supplémentaires et permettra de maîtriser les risques. Les Etats européens sont encore divisés sur la question d’un endettement proprement « européen », avec notamment des « Etats frugaux » qui rechignent encore à assumer une forme de solidarité financière. Mais l’initiative franco-allemande d’un fonds de relance européen est une avancée historique à saisir. L’Europe devra être au rendez-vous.