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Une boite de Plaquenil, dérivé de la chloroquineCrédit : Damien Meyer / AFP

Coronavirus et hydroxychloroquine : récit d'une désillusion

ÉCLAIRAGE - La chloroquine et son dérivé l'hydroxychloroquine a été présentée comme un remède miracle contre la Covid-19. Aujourd'hui, elle est reconnue inefficace et dangereuse.

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En quelques semaines, c'est une molécule qui est passée du statut d'espoir dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 à celui de danger potentiel pour de nombreux malades. La chloroquine, et son dérivé l'hydroxychloroquine, restera sans doute le symbole d'une maladie si subite qu'elle a imposé à tous la navigation à vue.

À l'origine, la chloroquine est une molécule anti-paludique connue depuis de nombreuses années et autorisée en France depuis 1949. De cette première indication, on lui connaît de nombreux effets secondaires, bien qu'elle soit réputée pour faire baisser la fièvre. On peut citer, pêle-mêle, des problèmes gastriques, aux yeux, cutanés ou encore cardiaques.

Mais fin février, une étude préliminaire chinoise affirme que cette molécule a une action contre la Covid-19. La chloroquine permettrait même de se remettre en dix jours, selon cette étude. Un espoir : la molécule a l'avantage d'être très peu chère.

Le Professeur Raoult entre en scène

Le 16 mars, la France compte déjà près de 150 morts de la Covid-19. Le professeur Didier Raoult, grand infectiologue de l'Institut hospitalo-universitaire de Marseille (IHUM), affirme que l'effet de la chloroquine est spectaculaire, avec une disparition du virus en six jours auprès des trois quarts des 24 patients qu'il a traités.

Le lendemain, la porte-parole de gouvernement Sibeth Ndiaye juge ces premiers résultats "prometteurs" et que les essais vont être étendus. Mais elle lance déjà un premier appel à la prudence, rappelant l'absence de preuve scientifique réelle. Le ministre de la Santé Olivier Véran demande quelques jours plus tard 15 jours pour confirmer ou non les résultats.

Le politique s'en mêle

Le traitement à la chloroquine, et à son dérivé, l'hydroxychloroquine, fait alors de plus en plus parler. Malgré les appels à la prudence de nombreux médecins et scientifiques, les hommes et femmes politiques s'en mêlent. Laura Tenoudji, l'épouse du maire de Nice, affirme avoir bénéficié de ce traitement et indique s'être rétablie en 48 heures.

Dans la foulée, le 22 mars, son mari Christian Estrosi se réjouit de la mise en place du protocole du professeur Raoult au CHU de Nice. Une autre élue les Républicains est soignée avec cette molécule : Valérie Boyer. "Qu'est-ce qu'on a d'autre à proposer ?", s'interroge-t-elle alors. Elle estime que "dire qu'on ne sait pas ce que ça fait comme effets secondaires, c'est ignorer les travaux du professeur Didier Raoult." De l'autre côté de l'échiquier politique, Ségolène Royal ou encore Julien Dray fustigent les hésitations.

Le gouvernement ouvre légèrement la porte

Le 23 mars, le Haut conseil de santé publique permet d'administrer aux malades souffrant de "formes graves" de la Covid-19 de la chloroquine. En revanche, elle reste proscrite pour des "formes non sévères" de la maladie. Dans la foulée, un arrêté interdit l'exportation du Plaquénil, dérivé de la chloroquine, et permet sa délivrance par des équipes médicales.

Des témoignages continuent alors de confirmer l'effet "spectaculaire" de la chloroquine. Mais des médecins sont déçus par l'arrêté très prudent du gouvernement : ils affirment que la chloroquine est plus efficace en début de traitement, voire à titre préventif. 54 médecins signent alors une tribune où ils affirment vouloir s'auto-prescrire de la chloroquine.

Les premiers doutes

C'est alors qu'apparaissent de réels doutes sur l'efficacité de la chloroquine. Le 30 mars, les autorités sanitaires de Nouvelle-Aquitaine alertent sur des cas de "toxicités cardiaques" à la suite de prise d'hydroxychloroquine en auto-médication. De plus en plus de médecins continuent donc d'appeler à la prudence, en raison du manque de recul sur le traitement.

Marine Le Pen n'hésite pourtant pas à affirmer la nécessité que les médecins de ville puissent délivrer de la chloroquine. Pour aider à trancher le débat, 33 hôpitaux décident de lancer une étude sur la chloroquine. Ils entendent fournir des résultats indubitables.

Une guerre de tranchée politique

Le débat s'installe, mêlant dangereusement science et politique. L'ancien ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy demande à Édouard Philippe de faciliter les recours à la chloroquine et lance une pétition aujourd'hui signée par plus de 500.000 personnes. Jean-Luc Mélenchon n'exclut pas de prendre de la chloroquine s'il est malade.

Le président Donald Trump mise alors largement sur la chloroquine. On a appris depuis qu'il prend chaque jour un cachet de chloroquine à titre préventif. Le 9 avril, une visite du président de la République Emmanuel Macron au professeur Raoult fait grand bruit : l'infectiologue remet les résultats de son étude sur 1.000 patients en mains propres au chef de l’État.

Une pluie d'études remet en cause la chloroquine

A partir de fin avril, de nouvelles études commencent à livrer leurs résultats. Le 22 avril, une première étude américaine montre une surmortalité des patients traités à la chloroquine. Le 15 mai, deux études remettent en cause l'efficacité même de la chloroquine contre le coronavirus. En Espagne, la chloroquine est pointée du doigt pour pousser au suicide.

Le coup de grâce est venu ce vendredi 22 mai : une étude montre que la chloroquine cause mort cardiaque et arythmie. Le lendemain, le ministre de la Santé Olivier Véran décide de revoir les règles de prescription de la chloroquine.

La fin de l'utilisation de la chloroquine contre la Covid-19 ?

Les réactions à cette nouvelle étude sont contrastées. Le Professeur Raoult affirme que cette étude est "foireuse" et continue de défendre le protocole qu'il a mis en place. Du côté des politiques, les prises de paroles se font plus rares. Ségolène Royal supprime ses tweets en faveur du traitement.

Pour les autorités sanitaires, le traitement l'hydroxychloroquine n'est plus tolérable. L'Organisation mondiale de la santé suspend ses essais cliniques le 25 mars. Elle est suivie le lendemain par le programme européen Discovery. La molécule n'est finalement plus acceptée pour traiter les patients français : le Haut conseil de la santé publique recommande ce mardi 26 mai de ne pas utiliser l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19.