Capdevila : « Si Robben dribble Casillas en finale, je cause un penalty »
by Antoine DonnarieixChampion du monde 2010 avec l’Espagne, Joan Capdevila était l’arrière gauche titulaire de la Roja en Afrique du Sud. Au-delà du premier titre mondial de la sélection ibérique, le joueur retient que l’Espagne est parvenue à maintenir son statut de favori sans cogiter face à des éléments parfois contraires.
Tu as connu le passage de témoin entre Luis Aragonés et Vicente del Bosque à la tête de la sélection espagnole. Qu’est-ce que l’arrivée de Del Bosque a transformé dans cette Espagne déjà taillée pour la gagne ?
Nous venions tout juste d’acquérir un statut de champion, cela entraînait une vague de respect de la part de nos adversaires. Au départ de cette succession, j’ai le souvenir que Del Bosque maintient l’ossature de l’équipe et qu’il ne fait que de très légères modifications. Du point de vue de l’homme, je crois que Del Bosque était la personne idéale pour nous permettre de garder cette longévité, il avait aussi cette culture de la victoire. Aragonés avait ce côté impulsif, il cherchait davantage à nous rentrer dedans, alors que Del Bosque avait un côté plus pensif et paternaliste. Il y avait beaucoup plus de place au dialogue, et cela permettait d’aborder les rencontres de manière sereine, sans trop se mettre de pression. Quand tu savais qu’il était l’entraîneur de la période faste des Galactiques au Real Madrid, tu te disais qu’il savait gérer un vestiaire de champions.
Entre le titre de 2008 et votre début de Coupe du monde deux ans plus tard, soit quarante-huit rencontres, vous ne perdez qu’un seul match : la demi-finale de Coupe des confédérations contre les États-Unis en juin 2009. Est-ce que ce match vous a servi pour la suite afin de mieux identifier les faiblesses de l’équipe ?
La Coupe des confédérations était utile dans le sens où elle nous préparait à ces températures hivernales durant la prochaine Coupe du monde, car là-bas, la saison était inversée. Nous perdons ce match face aux États-Unis à la suite de deux mauvais placements défensifs. Sur le premier but, Jozy Altidore prend le meilleur sur moi au duel, il met son corps en opposition et joue bien le coup. Dempsey marque le deuxième en fin de match grâce à une belle contre-attaque. Nous avons pris ce revers de façon positive, car aucun vainqueur de la Coupe des confédérations ne gagnait le mondial l’année suivante. Aussi, cette défaite a accéléré l’arrivée de Sergio Busquets dans le onze de départ pour passer d’un système de milieu récupérateur unique à un double pivot. Il était encore jeune, mais Del Bosque avait confiance en son potentiel.
Étant donné l’image des leaders Casillas, Puyol et Xavi, l’Espagne donnait l’impression d’une discipline extrême, à l’entraînement comme en dehors. Est-ce que c’était vraiment le cas entre vous durant votre séjour en Afrique du Sud ou il y avait quand même de la place pour la fantaisie dans vos activités de groupe ?
Oh non, ce n’était pas aussi rigide que cela quand même ! (Rires.) Il fallait se détendre, c’était essentiel. Si tu ne penses qu’au football pendant un mois, tu finis par exploser. Après le repas du soir, nous nous réunissions dans une salle commune où tous les jeux étaient possibles. Certains jouaient aux cartes, d’autres préféraient les jeux vidéo, les films, d’autres le tennis de table ou le baby-foot... Nous étions ensemble pour se relaxer. Ce que j’aimais, c’étaient nos parties de pocha (type de poker originaire d'Espagne, N.D.L.R). Il y avait un noyau dur avec Ramos, Piqué, Reina et Villa. On mettait dix ou quinze balles chacun sur la table, ça créait un peu plus d’émulation. Nos proches étaient loin, donc l’équipe nationale est un peu devenue notre famille de substitution. Cela durait jusqu’à minuit, puis nous nous séparions ensuite pour aller dans nos chambres respectives.
Vous dormiez seuls ?
Oui, nous étions dans des chambres individualisées. C’était toujours le cas depuis mon arrivée en sélection. Je trouve que c’est une bonne manière de concevoir la préparation, car tu te donnes un peu de temps personnel à chaque fin de journée. Tu parles un peu avec ta famille, tu te mates un épisode de série et tu dors quand tu sens le sommeil arriver. La chambre doit être uniquement un lieu de repos, il faut y passer le moins de temps possible durant la journée, car le planning est chargé. Petit-déjeuner, entraînement, déjeuner, petite sieste digestive et réunion collective ensuite, tout est organisé.
Vous êtes tellement favoris contre la Suisse que personne ne vous imagine mal démarrer. Pourtant, vous perdez votre deuxième match en deux ans (0-1). Même Luis Aragonés se met à critiquer le fameux double pivot après le match... Quelle était l’ambiance à la suite du match ?
Je m’en souviens très bien. Nous faisons le match qu’il faut avec les bonnes combinaisons, les occasions de Piqué, Xabi Alonso, Jesús Navas... Toutes les statistiques démontrent que nous avons dominé cette rencontre, excepté le score final. Si nous avions joué ce match dix fois, nous l’aurions gagné huit fois. Alors au moment de rentrer dans les vestiaires après le match, je n’ai vu aucun visage défaitiste. Nous étions tous d’accord pour se dire : « Putain, nous avons perdu, mais ce résultat n’était pas juste ! » Nous n’avons pas laissé la place au doute et nous étions convaincus que ce match allait être une dalle fondatrice. La victoire suivante face au Honduras nous a confortés dans nos convictions.
De l’extérieur, on voyait une Espagne souveraine de la possession de balle, mais très linéaire dans sa manière d’évoluer, les premières critiques comparatives au handball ont alors fait leur apparition... Comment est-ce que tu comprends cette frustration du spectateur qui estime que l’Espagne avait perdue en charisme par rapport à 2008 ?
Mais notre travail en tant que footballeurs internationaux, c’était avant tout de gagner ! C’est très bien que le spectateur souhaite voir des buts à foison, il est dans son droit et tu joues aussi pour ces émotions-là. Mais quand nous perdons notre premier match face à la Suisse, nous n’avons plus le droit à l’erreur derrière pour sortir des poules. Nous avions des sentiments à contrôler, nous ne sommes pas des machines. La conséquence, c’était de se mettre à jouer avec sécurité et monopoliser le ballon plus que jamais pour trouver l’ouverture adverse grâce à la fatigue occasionnée. Je me souviens que pendant le mondial, nous observions aussi la crise que traversait l’équipe de France... Sur le papier, c’était pourtant une sacrée équipe ! Entre nous, ça nous faisait prendre encore plus conscience que ce sport devait se jouer en groupe et que l’unité collective était fondamentale pour atteindre l’objectif d’être champions du monde.
Pour le dernier match de poule capital contre le Chili de Marcelo Bielsa, l’Espagne s’en sort entre autres grâce à la ruse avec cette expulsion assez rocambolesque de Marco Estrada pour une faute imaginaire sur Fernando Torres. Est-ce que vous avez parlé de cette simulation après le match ?
Nous n’avons pas parlé de cette expulsion, les faits étaient là et cela nous permettait de passer en huitièmes de finale. Mais je me souviens quand même que malgré l’infériorité numérique, le Chili était toujours dangereux. C’était une équipe très compétitive et désireuse de jouer sans arrêt. C’est clair que cet avantage de deux buts et l’expulsion derrière nous permettent d’avoir une meilleure emprise sur le match, mais le match est resté serré jusqu’au bout. Quand l’arbitre siffle la fin du match, nous sentions qu’un poids se déchargeait de nos épaules.
Dans le tableau final, comment est-ce que tu expliques que toutes vos victoires se sont soldées par des 1-0 ?
Nous n’avons pas encaissé un seul but durant la phase finale, t’imagines ? C’est une performance assez incroyable. À partir d’un certain niveau, tu ne peux plus gagner tes matchs 3-0 ou 4-0. Les équipes adverses sont prêtes, elles possèdent des qualités pour te mettre à l’épreuve, et le résultat devient une question de détails.
En quarts de finale, votre mondial aurait très bien pu s’arrêter si Iker Casillas n’avait pas été aussi inspiré pour stopper le tir au but d'Óscar Cardozo... Vous aviez l’impression d’être invincibles à ce moment-là ou est-ce que vous étiez conscients que l’équipe avait des faiblesses ?
Nous étions maudits en quarts de finale, et nous affrontions une équipe qui n’avait absolument rien à perdre, car elle réalisait le meilleur parcours de son histoire en Coupe du monde. Le Paraguay, c’était très intense psychologiquement, je ne savais plus où donner de la tête en fin de match. Sur l’action que tu décris, Pepe Reina parvient à faire passer un message à Iker, il sait de quel côté Cardozo va frapper. Reina est un fan absolu des tirs au but, il est capable de passer des heures à regarder tous les tireurs adverses pour savoir quelle est leur préférence au moment de frapper. À ce moment-là, il a rendu un sacré service à l’équipe. Dans ces compétitions internationales, je dis toujours que les matchs se gagnent à onze, mais les titres se gagnent à vingt-trois.
Au milieu de toutes ces stars du Real et du Barça dans le onze de départ, tu ne te sentais pas trop seul ?
Jouer avec des coéquipiers d’une telle qualité, c’était du pain béni tous les jours. Si tu me demandais à l’époque, j’aurais volontiers payé rien que pour les voir jouer. Ma mission, c’était de gêner le moins possible. Je recherchais toujours à aller de l’avant avec Iniesta ou Xavi, et ils s’occupaient du reste. C’était facile, en fait ! (Rires.) Je devais juste faire mon boulot d’ouvrier à la chaîne. J’étais là depuis 2002, je connaissais mon rôle et je m’y attelais du mieux possible. Tout devenait plus facile pendant que ton adversaire courait après le ballon.
Comment se passe la préparation à la première finale de l’histoire pour l’Espagne en Coupe du monde ?
La veille, tu dors très peu. Tu te fais le match dans ta tête, tu sais que toute ta vie de footballeur est orientée là-dessus. À une heure du matin, tu éteins la télé, mais tu n’arrives pas à trouver le sommeil. Tu la rallumes, mais en vérité tu penses toujours au match. Tu te dis que si tu fais une erreur dans ce match, elle restera à jamais gravée dans l’histoire. De mémoire, j’ai dû m’endormir vers quatre heures et demie, complètement crevé ! (Rires.) Malgré toute cette fatigue accumulée, tu cherches à faire comme si c’était un jour comme les autres, tu prends ton petit café, tu fais ta balade et tu te prépares au match le plus important de ta vie. Ce n’est plus une question de physique, mais de mental, tu te mets dans ta bulle jusqu’à la victoire. Par exemple, je ne me suis rendu compte de l'hommage d’Iniesta à Jarque qu’à partir de notre retour à Madrid le lendemain.
En revanche, tu es aux premières loges pour assister à l’arrêt déterminant de Casillas face à Robben. Comment tu as vécu l’action ?
Je suis pris de vitesse et je me dis en une fraction de seconde : « Allez Iker, sauve-nous ! » Je suis derrière Robben et j’essaie de lui mettre la pression pour qu’il sente que je suis juste là, prêt à le distraire ne serait-ce qu’un dixième de seconde. Peut-être que cela a influé... Si Robben essaie de dribbler Casillas, je cause un penalty, c’est sûr !