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Wenger, la DNCG et les fonds du problème

Wenger, les fonds du problème

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Sondé par beIN Sports le samedi 23 mai, Arsène Wenger s'est inquiété de la multiplication des rachats des clubs hexagonaux par des fonds étrangers. L'ancien grand manitou d'Arsenal a notamment émis l'idée de la création d'une commission d'éthique d'achat des formations de Ligue 1 « pour voir quelles sont les vraies intentions des gens qui achètent nos clubs » . De quoi se demander si les garde-fous actuels, comme la DNCG, sont suffisamment armés et outillés pour assurer la pérennité non seulement économique, mais surtout sportive du foot français.

On ne sait pas si les Girondins de Bordeaux feront office de sinistre présage. Détenu par le fonds américain King Street depuis octobre 2018, le club au scapulaire, qui reste sur deux résultats nets négatifs de 25 et 21 millions d'euros lors des saisons précédentes, traverse une crise institutionnelle et médiatique. Personne ne se fait d'illusions sur les intentions du propriétaire américain, alors que le club a validé une balance de transferts positive de 35 et 30 millions d'euros lors des deux derniers mercatos : King Street, qui est devenu seul actionnaire du club en décembre dernier et a investi plus de 100 millions d'euros dans l'achat de l'ensemble des parts des Girondins, veut maintenant avoir la monnaie de sa pièce. Les Marine et Blanc, à l'image du LOSC ou de Monaco, semblent ainsi théoriquement appelés à se transformer en pouponnière à joueurs, qui écoule massivement du jeune talent sur le marché des transferts, pour rentabiliser les investissements initiaux de leur vorace propriétaire.

Voilà qui ne devrait pas apaiser les craintes d'Arsène Wenger, désormais directeur du développement du football mondial à la FIFA. L'Alsacien ne s'en cache pas : il balise à l'idée que la Ligue 1 mute en simple championnat intermédiaire, formateur, détecteur, puis vendeur de talents et incapable, PSG exclu, d'assumer des ambitions sportives définies : « Les clubs français tombent petit à petit aux mains de gens qui ne sont pas des vrais constructeurs de l'avenir des clubs, mais plutôt des investisseurs qui cherchent à gagner très vite de l'argent avec les clubs... Il faudrait peut-être créer une commission d'éthique d'achat des clubs pour voir quelles sont les vraies intentions des gens qui les achètent. » Des clubs qui ont été pourtant rachetés avec la bénédiction d'un gardien du temple qui, lui, existe déjà depuis 1984 : la DNCG.

Le modèle qui fâche

C'est indéniable : le principal organe de régulation financière du foot hexagonal a globalement rempli son office. Sa mission substantielle ? Veiller à ce que les investissements sportifs des clubs qu'elle régule n'excèdent pas leurs capacités financières. Ces dernières saisons, la DNCG avait notamment interdit le LOSC de recrutement à titre conservatoire en décembre 2017, avant de se raviser, en levant la sanction des Dogues en juin 2018. Comment expliquer cette soudaine magnanimité ? La réponse se résume en ces quelques mots de Jean-Marc Mickeler, le président de la DNCG : « Le modèle du LOSC est un modèle nouveau, qui repose sur un levier d'endettement important, dont le pendant est la capacité à vendre des joueurs. Donc, la capacité du club à démontrer ce modèle nécessite de pouvoir agir librement dans le cadre du mercato. Nous avons aujourd'hui les garanties qui nous permettent d'inscrire le LOSC dans le championnat à venir. C'est au LOSC, désormais, de démontrer la réalité de ce modèle. »

Les caisses pleines, des effectifs vides

La réalité de ce modèle, justement, c'est celle d'une logique qui se veut probablement purement économique. Exception notable du PSG, l'ère des « danseuses » , à l'image de l'OM de Tapie, où les clubs avaient davantage valeur de vitrine que de machine à cash, s'achève en France. Celle des fonds d'investissement débute. À Lille, Bordeaux, peut-être bientôt Toulouse, les propriétaires semblent soudain pris d'une étonnante conviction : il est possible de faire de l'argent avec un club de foot. La recette est posée sur papier : minimiser les dépenses, recruter des jeunes talents à prix cassés, les valoriser, puis, enfin, les revendre avec plus-value, souvent à l'étranger. Si tout se passe comme prévu, la DNCG, elle, n'y trouve plus rien à redire : les comptes sont équilibrés.

Ce que la Direction nationale du contrôle de gestion ne quantifie en revanche pas, c'est la paupérisation sportive du foot hexagonal, que l’avènement des fonds d'investissement en France menace de provoquer. Des fonds qui ne chercheront pas à investir dans le secteur sportif les éventuels excédents de trésorerie, mais plutôt à les encaisser. À terme, c'est le phénomène de vassalisation du foot français, comme fournisseur de talents en tous genres aux grands championnats étrangers, qui risque de s'accentuer. Arsène Wenger se ferait ainsi le porte-étendard d'une question naïve, mais essentielle : à quoi sert-il d'assurer sa survivance économique, si elle s'accompagne d'une mort persistante des considérations et ambitions sportives ? Une interrogation à laquelle ni la DNCG ni aucun organisme de contrôle régissant le football professionnel ne semblent habilités à donner ne serait-ce qu'un embryon de réponse.