Bas les masques !
by la SingetteA force de détruire votre univers naturel au nom du tout consommable et jetable, votre comportement implique des mutations par un passage forcé entre l’homme et l’animal, qui crée des souches de virus à l’échelle planétaire. Les mouvements sociaux des soignant.e.s par chez vous rappellent à leur existence vitale, face au coronavirus. Fini les bises et les serrages de pognes. A force de vous enfermez dans le virtuel, vous devenez autistes et passifs au réel. Alors que des alternatives humaines, sociales, culturelles et politiques existent pourtant. Moi, la Singette, ce que j’en dis…. C’est vous qui voyez l’envers de vos masques filtrer un autre futur fraternel possible.
Je me suis permis d’emprunter à travers le titre de mon article : « Bas les masques », un clin d’œil au mouvement des soignant.e.s qui ne réclament aucune statue de sauveteur de la nation ou autres gaudrioles à porter autour du cou ni une prime à leur déprime. Mais une reconnaissance de leur statut au service de tous les publics sans exception, l’augmentation substantielle de leur point d’indice au niveau de leur salaire, un recrutement massif pour améliorer leur tâche humaine. Enfin bref, que des banalités si on vivait dans une société fraternelle ! Je ferme la parenthèse et n’applaudissais déjà pas tous les soirs à mon balcon lors du confinement avec les veaux dévots quêteurs au grand cœur. Mais, je soutenais déjà avec respect les blouses blanches lors de l’énoncé de leurs revendications et leurs grèves pour le moins légitimes et de santé publique, entamées depuis des mois déjà avant la pandémie. Comme un écran éclairant qui annonçait l’incurie de votre système de soin vendu à la rentabilité et au grand capital sur le dos des patient.e.s et soignant.e.s !
Nous les grands singes, animaux par excellence de laboratoire selon vos critères, du fait de nos chromosomes très ressemblants avec les humanos, nous avons déjà hérité du sida, en tant que responsables endémiques. Pour nous remercier de nos liens familiaux avérés, vous nous torturez et inoculez vos bactéries, en guise de tests d’un éventuel vaccin lucratif pour vous sauver la vie. A force de rapports intimes entre vous et nous, qui au demeurant au sein de dame nature nourricière, ne sont pas du tout naturels. Il s’ensuit indubitablement les mutations des virus par le franchissement des barrières entre les espèces, dont vous êtes les champions toute catégorie ! Le passage de l’animal à l’homme crée un labo de saloperies où les souches de la grippe aviaire, la fièvre porcine, le sida, le SRAS et le coronavirus en sont les illustrations récentes. L’agriculture intensive productiviste, avec nos grandes forêts rasées, saccagées, participe à votre rôle de prédateur invétéré.
Confiné.e.s, déconfiné.e.s, des cons et des connes fini.e.s, le virtuel triomphe sur la sociabilité naguère de vos gestes de salutations élémentaires et vivants à travers la poignée de main, les embrassades, les accolades fraternelles entres gens initiés, qui jetées aux oubliettes.
Petit retour en arrière pour bien comprendre d’où provient la poignée de pognes si fréquente en Europe avant l’émergence du coronavirus. Elle est apparue dès la Grèce antique sur des stèles du V éme siècle avant JC (Jésus Christ pour les intimes et les cloutiers). Homère, toujours tu chériras ta mère… Je m’égare et ne sait pas nager. L’Iliade indique : « Ils mettent pied à terre, et, joyeux, tous les accueillent avec les mains droites et de douces paroles ». La main tendue se voulait résolument pacifique. En avançant dans le temps, c’est le monde rural d’avant l’emploi des pesticides, où fusait le topage de main pour une transaction, qui avait fenêtre sur cour. Ce touche / touche des doigts sous-entendait une certaine égalité et une marque de confiance dans la parole donnée. La mode est lancée au 19e siècle. Même si c’est étonnant, quand je pense aux jours d’aujourd’hui et mes observations de vos mœurs. Rappelez-vous, lorsque vous éprouviez un certain plaisir à vous serrer la main. Sans le savoir encore, vous improvisiez un geste barrière d’une distance d’environ 80 cms à un mètre entre vous, (je ne compte pas celles et ceux qui ont le bras long et qui du fait de leur handicap répondent forfait).
Ce n’est pas du goût de toutes les cultures sur votre planète. En Asie particulièrement, les civilisations de la distance physique sont érigées comme un dogme. Peut-être aussi pour se protéger des « mains sales » à la Sartre ! Ainsi, sur le toit du Monde au Tibet, oubliez les embrassades et gardez votre souffle, vous en aurez besoin puisqu’on vous salue avec respect en tirant la langue. N’y prenez pas ombrage. Einstein s’y était déjà essayé lors d’une célèbre photo. C’est juste pour vérifier que votre langue n’est pas noire comme celle de la légende qui raconte qu’un roi maudit vécut au 9 ème siècle. Vous comprenez dès lors qu’il ne serait pas de bon aloi de le réincarner en titi parigot ou autre ostrogoth de la pire espèce qui aurait flambé son dernier karma. Au Japon prévaut une autre gestuelle. C’est l’oijigi qui est en vigueur pour tester la souplesse de vos genoux dans votre faculté à vous courber l’échine, en signe de politesse et d’équilibre instable entre les positions sociales qui se toisent.
Chez vous en France, c’est étrange la faculté que vous avez au fil des siècles de vous spécialiser au retournement de situation. Au temps des Lumières, le masque a été évincé par souci d’égalité citoyenne. Il y a moins de six mois déjà, par souci de visualisation faciale, le gouvernement, au nom des forces répressives souhaitait interdire le port du masque dans l’espace public et dans la rue lors des manifs. Actuellement à Nice, fief de la vidéo surveillance, les képis voyeurs s’arrachent les cheveux devant les passant.e.s masqué.e.s aux doigts d’honneur vengeurs et autres fesses nues qui s’affichent en toute impunité devant les écrans des cerbères peu jouasses. Puisqu’aux dernières nouvelles, il vous est recommandé de présenter votre facies masqué dans les artères des agglomérations et lors de vos déplacements dans les transports en commun.
En 2004, le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) s’est arrêté comme par miracle d’une ligne Maginot imaginaire aux portes de l’Europe. Mais à Hong Kong et en Chine, sachant qu’il représentait des symptômes comparables au coronavirus, les habitants ont pris l’habitude de porter un masque. Au lieu d’être alerté et prendre au sérieux cet avertissement par chez vous… Il faut croire encore que votre histoire de civilité dans l’espace public varie du tout au tout avec les sociétés chinoises !
En France, des femmes voilées pour fait de religion ont profité de l’occasion pour proposer une confusion des genres entre le voile et le masque. Rayonnantes, elles espéraient des gestes d’empathie pour elles en égard de ce qu’elles endurent chaque jour à perdre la face aux yeux des autres. Le voile signifie dans leur culture que le visage ne peut être présenté dans un rapport à autrui et surtout à l’homme, puisque la bouche et le sourire, signes de reconnaissance, ne sont pas admis et sont tabous. Le voile sépare les sexes entre les femmes et les hommes, pas le masque. Ce dernier usité dans votre contexte conditionne un rapport privilégié entre soi et l’autre dans le respect mutuel. Il est loin d’être entré dans vos mœurs de bons sauvages. Si vous étiez capable de communier en empathie avec autrui, on pourrait presque l’assimiler à un objet bienveillant, puisqu’il est porté pour se protéger et protéger les autres. En Chine encore, garder et sauver la face est un objectif primordial des relations sociales. Etant donné que la face représente l’entièreté du visage. En restreignant l’usage de la bouche à la vue d’autrui, on garde malgré tout les yeux, expression de la personne pour les chinois. Dès lors porter un masque chirurgical, ce n’est plus tout à fait la même signification et approche qu’en Europe. Mais protéger les autres de nos éventuels postillons, dans le cas où on se sente infecté, la nuance revêt toute son importance.
Manu Dibongo a rendu dernièrement son dernier souffle, (snif). Son merveilleux rire m’habite encore. Mais heureusement, d’autres artistes de tous les continents d’Afrique et d’ailleurs lui survivent. Tiken Jah Fakoly a mis en chanson son « Corona ».
Petit retour en arrière si vous voulez bien. Avant le coronavirus, dans la rue ou dans tout autre espace public, parmi les gens que vous croisiez, sur combien portiez-vous le regard ? Avec combien de personnes aviez-vous des interactions non verbales au niveau du visage ? Combien de Jean-Roger Caussimon ?
« Je suis l'anonyme passant
Je dévisage les passantes
En psalmodiant à tout hasard
"Fais-moi l'aumône d'un regard
Femme en fleur ou adolescente ! »[1]
Quand un organe est banni, comme celui de la bouche, dès lors les autres prennent tout leur sens et lui emboitent le pas. Vous êtes entrés dans l’ère de dévisager une personne, non plus par vos facultés auditives pour entendre des voix, mais désormais par l’interaction de paupières, d’un regard qui s’éclaire ou s’assombrit, de la forme des sourcils, de la luminosité d’une pupille…. Cette nouvelle captation d’autrui vous ouvre un autre regard, une autre expression et vous enrichit au langage des yeux. Je pense aux malentendants qui lisaient, il n’y pas encore si longtemps vos paroles à vos lèvres. On les revoie dans les ténèbres de l’incommunicabilité. Il ne faudrait pas les oublier !
Autre drôle de drame à prendre en compte, la viralité n’est plus seulement épidémique mais aussi économique et financière à l’échelle de la mondialisation. Elle favorise sciemment le triomphe avéré du virtuel sur le réel, avec la place prépondérante qu’a pris le numérique dans la vie des confiné.e.s. Les différences sociales sont accentuées entre les logés dans le confort et celles et ceux qui partagent les mètres carrés de leur espace-temps mesuré. Je pense à Yves le cocher du fiacre écologiste et grand prédicateur de la crise du pétrole en 2005, le doigt dans l’œil, qui dans le Monde du 30 mars 2020, s’extasiait entre amis sur ses thèses d’expert collapsologue : « Dis donc, ça été encore plus vite que ce qu’on pensait ! ». Abonné au film « Apocalypse now » et pour se prémunir de l’invasion des vietcongs, il s’est terré une vie de château à l’aise en famille, avec des réserves d’eau démesurée, un étang dont la flotte peut-être filtrée et il a stocké du bois pour se chauffer durant cinq ans. Plus prévoyant pour sa pomme, après lui le déluge et pour les autres tu meures !
Il faudra bien nommer un responsable pour lui faire endosser le chapeau. Le bouc émissaire habituel est abonné absent. Pierre Desproges, toujours en avance d’un crabe sur son époque, avait déjà élu Gérard le pangolin, comme le lien du malin dans un de ses sketchs. Rappelez-vous !
https://www.youtube.com/watch?v=9AoylmoPFdI
Plus proche de nous, il était une fois, une chauvesouris qui revenait du coupe tif pour égaliser son poil dans la patte. Elle avait une fringale. La myopie avait envahi son regard et à force d’avoir l’estomac dans les talons, à tire d’aile elle se nourrit d’une chique de pangolin. Et patatras c’est toute la chaine écologique qui disjoncta. C’est du moins la version qui me fut transmise par un panda de mes amis chinois. Je ne garantis pas du tout la véracité de ses propos, loin de là-bas si j’y suis. Je sais juste qu’à force d’agriculture productiviste à l’extrême les animaux sauvages cantonnés (et pas qu’à Canton et en Chine) dans leur univers préservé doivent se rapprocher de vos civilisations. L’image de mon cousin orang-outang, pourtant réputé comme le plus pacifique des grands singes, montrant le poing d’un air désespéré contre un bulldozer abatant son arbre préféré, me glace encore le sang. Quand vous vous adonnez à la déforestation, à des modes d’élevages intensifs sans aucun respect des animaux, sans parler du commerce des bêtes sauvages, vous prenez part à la responsabilité de l’émanation du coronavirus et de ceux qui suivront. Puisque vous n’avez rien compris au film et que vous remettez une bobine dans la machine. Je passe aussi sur quelle connerie de bouffer de la viande et se nourrir de cadavres…
Pauvres tâcherons, vous en êtes réduit.e.s à vous déguiser et à porter le masque. Qui selon la définition consiste à sortir de sa manière habituelle d’être. Ou si vous préférez, jouer la mascarade !
En Angleterre, l’artiste Bansky l’a bien compris à sa façon. Pour décorer un couloir d’hôpital, il a réalisé une œuvre en noir et blanc. On y voit un petit garçon en salopette qui brandit une poupée travestie en infirmière masquée de pied en cape et tablier. Le moufflet blasé a jeté dans une corbeille en papier ses héros d’hier : Batman et Superman.
Désormais, les petites mains des couturières sont réhabilitées pour offrir et partager leur savoir-faire. En hommage à la grand-mère de François Béranger et à l’arrière-grand-mère ardennaise du Bartos.
D’autres au contraire en profitent pour s’en fiche plein les poches, sous l’estampille de couturiers célèbres. Un nouveau snobisme et conformisme des grandes villes consiste à se fagoter la bouche avec ces tissus hors de prix pour vous autres manants qui me lisez et vous morfondez dans votre pénurie de communication réelle, à corps à corps et cris perdus.
Des artistes se dessinent des bouches en forme de masque, histoire aussi de transgresser dans un acte subversif les injonctions étatiques.
Ne comptez pas sur moi pour surenchérir. Déjà que je dois planquer ma bouille de Singette africaine pour éviter les brigades de la marée chaussée. Et puis Zorro, le vengeur masqué, c’est un bobo. J’ai un ami bonobo qui s’est déjà risqué de l’imiter. Il a fini dans un zoo !
Même si je ne renie pas son masque noir, celui de la révolte en réponse à celui blanc, chirurgical et propre sur lui. A Hong Kong encore récemment, le port du masque noir évoque une allusion à l’ouvrage de Frantz Fanon : « Peau noire masque blanc » (1952). Tout un symbole pourtant très parlant !
(Shabaka Hutchings : Black skin, black masks // we out here)
Le masque représente aussi désormais un symbole de survivance. Comme pour la période du sida, lorsque la clique à Dustan bramait en signe de ralliement un « No Kpote » criminel pour lui et ses partenaires. Ou lorsqu’un Michel Foucault dans sa période sado-maso était un fervent adepte des backrooms. Certain.e.s vont vouloir prendre des risques avec leur vie en bravant la mort. D’où ma comparaison entre le masque et le préservatif, même s’ils ne prémunissent pas le même organe, j’en conviens. Pour le premier les survivants témoigneront au nom des générations futures de votre période de face masquée. Quant au second, il représentait le renoncement à la liberté sexuelle pour toute une génération. Quel dommage qu’un Reiser ait avalé un méchant crabe. S’il était encore vivant, j’aurai été si heureuse de lui emprunter un de ses fameux dessins à l’humour toujours corrosif et explosif pour illustrer ma chronique !
Faute de mieux, c’est le dessinateur Chaunu qui s’y colle. Merci à lui !
Peut-être demain ! Tous et toutes nu.e.s en tenue de peau animale et bas les masques, à condition cependant de se prémunir d’un nouveau virus qui guette en embuscade. Si vous continuez à vivre au même rythme de consommation absurde. De perdre votre vie à vous acheter une conduite à la place du mort.
Je suis de nature très optimiste malgré tout pour les humanos et pour mes cousins les animaux, qui pour ces derniers, durant votre période de confinement en ont profité pour réinvestir votre espace public et vos villes. Vous snobant derrière vos fenêtres à broyer du noir. Alors que mes frangines et frangins les animaux sauvages de vos forêts et campagnes ont découvert votre univers pas vraiment folichon pour y demeurer à votre place. Sans nous, non merci ! Cet interlude de trop courte durée à nos yeux de bêtes à part, à ne jamais courber l’échine devant vous, nous ne sommes pas naïfs. On craint que tout retourne dans l’ordre immuable et imbuvable de votre monde sans consistance par un retour à l’envoyeur. Vous remettez la machine capitalistique sur ses rails et roule ma poule. Incognito, on efface la fausse note et vas-y que je t’embrouille, le changement dans la continuité. Alors que durant votre temps de latence imposée, vous avez vécu un droit à la paresse bien mérité à la Gébé lors de son « An O1 » et son « on arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste » ! Je compatis avec tous les possibles alternatifs et décroissants qui s’ouvrent comme porte de sortie, pour jeter aux oubliettes à tout jamais le slogan : perdre sa vie à la gagner.
Seulement, le fouet des capitalistes frappe à nouveau l’échine des travailleurs pour les obliger à continuer à aller à la tâche (masqués à leurs risques et périls) comme de bons petits esclaves serviles. Cette violence sociale s’appuie sur la capacité à la servitude volontaire. A obéir à avoir peur. Le rendez-vous historique a été pris le jour du déconfinement à géographie variable. Quant à l’avenir de l’humanité et de la planète…. Je ne suis pas devin de Médoc et toc !
Orwell quant à lui parle de « la décence ordinaire », c’est-à-dire la conscience de notre finitude. C’est vital de savoir qu’on est mortel. Alors « Vivons heureux en attendant la mort » (Desproges) pour le plaisir d’exister en étant humain, conscient, actif et solidaires. Je vous le souhaite bien sincèrement l’équation d’une nouvelle ère des « Jours heureux » !
[1] In « Les heures et les saisons » chanson : Jean-Roger Caussimon / Fr. Livron