HONORARIAT DES ANCIENS PRESIDENTS DU CESE – Un décret, deux contenus à polémique
La politique et les polémiques reprennent leurs droits. Le décret instituant l’honorariat et ses supposés avantages accordés aux anciens présidents du Conseil économique, social et environnemental font l’objet de vives critiques. L’affaire va prendre une tournure judiciaire.
Le document est devenu viral, dans la soirée du 14 mai 2020. Il s’agit du décret n°2020-964 en date du 17 avril 2020, portant la signature – vraie ou fausse – du président de la République. Il traite de l’institution d’un ‘’honorariat’’ pour les anciens présidents du Conseil économique, social et environnemental (Cese) du Sénégal. Dans l’article 3 dudit décret, il est fait mention de ces avantages : ‘’Une indemnité de représentation de 4 500 000 F CFA/mois, un véhicule de fonction avec macaron, un chauffeur particulier, une dotation mensuelle de carburant de 500 litres et un agent de sécurité rapprochée.’’
Dans ce contexte d’austérité et Covid-19, le document a indigné plusieurs observateurs de la vie politique qui estiment, pour l’essentiel, que l’effort doit être à la solidarité nationale, en cette période de crises multiformes. Devant ce tollé général, un communiqué de la présidence est venu, quelques heures plus tard, apporter un démenti formel.
‘’La cellule de communication de la présidence de la République informe qu’un faux décret numéroté 2020-964 circule actuellement dans les réseaux sociaux. Ce faux décret, en date du 17 avril 2020, est relatif à la création d’un honorariat pour les anciens présidents du Conseil économique, social et environnemental’’, indiquait-on.
Cette mise au point n’avait pas suffi à convaincre. C’est en ce sens d’ailleurs que Birahime Seck du Forum Civil a invité les autorités à la publication du vrai décret. ‘’Si vous restez 24 heures sans sortir le “vrai” décret 2020-964, alors qu’il existe, car précédant le décret 2020-965 (‘JO’ n°7302 du 18 avril 2020), cela laisserait supposer que le “faux décret 2020-964” du communiqué de la présidence serait le vrai décret 2020-964 partagé dans les réseaux sociaux’’, avait averti le membre de la société civile.
Décrets introuvables
Seulement, dans la liste des derniers décrets publiés, il est difficile de mettre la main sur celui numéroté 2020-964 et instituant l’honorariat pour les anciens président du Cese ou encore le n°2020-976 accordant le statut de président honoraire à un ancien président du Conseil économique, social et environnement (Cese).
Toujours est-il qu’aux yeux du chercheur en science politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, le moment n’est pas propice pour publier des décisions qui ont une portée symbolique et politique. ‘’C’est ce qui explique que ceux qui sont à l’origine de ce décret ne veulent pas se prononcer là-dessus, pour éviter que cela ne fasse des vagues et qu’on le considère comme une stratégie pour récompenser certaines personnalités politiques, alors que les Sénégalais sont en train de se serrer la ceinture, de vivre l’impact de cette pandémie’’, analyse le Pr. Moussa Diaw.
Il estime, en effet, que l’opinion publique voit d’un très mauvais œil cette décision, au moment où il est en train de souffrir des effets économiques et sociaux des resserrements budgétaires… ‘’Au même moment, on apprend qu’on distribue des avantages à des personnalités politiques pour les récompenser. Pourquoi et à quelle finalité ? Pourquoi choisir ces gens, alors qu’il y a d’autres plus méritants ? Au moment où les regards sont tournés vers cette pandémie, on fait des coups bas, alors qu’on est dans une situation de raréfaction des ressources. On doit se concentrer sur les enjeux au niveau sanitaire…’’, souligne-t-il.
Et pour ne rien arranger, le directeur général du ‘’Soleil’’, par ailleurs membre de l’Alliance pour la République, s’est invité au débat. Yakham Mbaye, à travers ses explications, a tenté tant bien que mal de défendre son camp. Dans une sortie sur le site Dakaractu, M. Mbaye ne nie pas l’existence du décret, mais apporte plutôt des précisions par rapport à son contenu.
‘’Entre «c’est faux» et «cela n’existe pas», il y a les océans Atlantique et Pacifique. Le contenu du décret 2020-964, qui est partagé en ce moment sur les réseaux sociaux, est un faux. La cellule de communication de la présidence de la République l’a dit d’ailleurs clairement. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas un décret 2020-964 authentique’’, explique-t-il en brandissant un document signé à la même date que le premier. A l’en croire, le décret authentique ne liste aucunement une indemnité ou des avantages octroyés à un président honoraire du Cese.
‘’Il n’y a que deux nouveautés par rapport à ce qui se faisait. D’une part, la délivrance d’une carte aux couleurs nationales mentionnant le titre et, d’autre part, le décret établit en son article 2, alinéa 2, une nouvelle possibilité d’accès à l’honorariat. En dehors de la possibilité offerte par le règlement intérieur du Cese, l’honorariat peut désormais être conféré aux anciens présidents de cette institution sur leur demande adressée directement au président de la République (…)’’.
Pool d’avocats pour faire annuler le décret
Une chose est au moins claire : le décret est bien réel. C’est ce qui fait d’ailleurs que le Congrès de la renaissance démocratique (CRD) a décidé de saisir la justice pour le faire annuler. Ainsi, dans une lettre publique, Abdoul Mbaye et Cie annoncent qu’un pôle d’avocats est déjà constitué. Car, pour le CRD, ‘’il est scandaleux’’, dans ce contexte de lutte contre la Covid-19 marqué par des pertes d’emplois, que le président de la République prenne des décisions similaires.
‘’Il est grave et préoccupant qu’un décret soit pris pour accommoder des personnes en leur évitant de passer par une recommandation des instances du Cese pour obtenir le statut de président d’honneur de l’institution qui, déjà, ne servait à rien tout. La rémunération de l’honorariat au Cese va également profiter, fort opportunément, à M. Famara Ibrahima Sagna, un autre président honoraire du Cese auquel le «dialogue national» est confié. Aminata Tall et Famara Ibrahima Sagna, donc les deux pour si généreuse et gracieuse sinécure à vie, pour quelle raison et pour quelle légitimité ?’’, s’interroge le CRD.
L’enseignant chercheur en science politique à l’université Gaston Berger de Saint Louis estime, pour sa part, que cette démarche du gouvernement pose problème. D’après Moussa Diaw, cela risque de renforcer le manque de confiance qui existe entre la majorité et l’opposition et, d’une manière générale, de l’opinion publique. ‘’Il pose le problème de la crédibilité, de la confiance de la population et l’image que les citoyens vont avoir de la majorité, avec le manque d’actions du gouvernement en leur faveur’’, estime Moussa Diaw. Pour qui le contexte choisi pour caser cette clientèle politique n’est pas fortuit, alors que, regrette-il, ces institutions n’ont aucun apport dans la vie de la population, ni dans le fondement de la démocratie.
HABIBATOU TRAORE