PROPOS DE MERCREDI La Covid-19, la dette africaine et le déclin capitaliste.
by DakaractuLa Covid-19 n’est pas seulement une pandémie. C’est aussi une pédagogie. Bien mieux que Le Capital de Marx, elle enseigne que le capitalisme finissant est l’adversaire résolu des valeurs de civilisation humaines. Il suffit de prendre l’exemple de la controverse autour de l’hydroxychloroquine.
Alors que, sur les cinq continents, des praticiens témoignent de la guérison de leurs malades grâce à cette molécule, toute la puissance des instituts de recherche est mobilisée pour en décourager l’utilisation. Chacun sait pourquoi : cette pauvre molécule ne coûte pratiquement rien. Elle peut tout juste guérir des malades mais non enrichir les milliardaires de l’industrie pharmaceutique.
Elle doit donc être rapidement confinée pour laisser la place à des traitements et vaccins brevetés et suffisamment chers pour vidanger les budgets de sécurité sociale vers les poches profondes de quelques actionnaires. Pour booster les taux de profit. Car ces gloutons vivent de l’impôt, même s’ils font tout pour éviter de payer leur juste part de la contribution fiscale.
La logique inhumaine du système capitaliste se banalise ainsi à la une des télés et des réseaux sociaux. Sans fard. Mais ce n’est pas du cynisme. Non. Le système est simplement devenu trop vieux pour que le maquillage continue de masquer son obscénité. La cosmétique ne peut rien contre la décadence. C’est pourquoi la Covid-19 annonce une autre pandémie, celle de l’insurrection des consciences humaines contre un modèle économique destructeur des hommes et de leur environnement.
Mais cela ne signifie pas la fin des tentatives d’altération des consciences. Au contraire. Après l’épuisement relatif des ressources politiques comme la collaboration des classes ou la brutalité répressive, l’imposture médiatique alimentée par des « experts » en tout genre est leur arme ultime. En témoigne la campagne forcenée contre l’hydroxychloroquine.
La mascarade médiatique est également leur dernier recours devant la rébellion morale mondiale contre le scandale de la dette africaine. Là aussi, la pandémie est une pédagogie. Tout franc engagé dans le paiement du service de la dette est retranché du budget nécessaire aux soins des malades et à la nourriture des appauvris du confinement total ou partiel. Voilà que cette vérité évidente devient universellement admise, y compris par la bouche du secrétaire général de l’Onu ; que Macron et même le Fmi saisissent au rebond l’exigence d’annulation de cette dette remise à l’ordre du jour par la Covid-19.
Annuler la dette africaine ? Mais bien sûr ! Ainsi met-on en application le principe numéro un de la mystification : ne jamais nier l’évidence ; au contraire, toujours faire semblant de l’accepter pour mieux la travestir après. Revenons-y dans le détail, c’est très instructif. Le 13 mars 2020, juste après le soutien du pape François à l’appel du président du Sénégal, Macron se déclare « favorable à une initiative d'annulation massive de la dette africaine». Pourquoi ? « Chaque année, un tiers de ce que l'Afrique exporte sur le plan commercial sert à servir sa dette. C'est fou ! Et on a accru ce problème ces dernières années ».
Un mois plus tard, ce généreux projet d’annulation massive prend des contours un peu plus modestes : « il faut un moratoire sur la dette africaine comme étape indispensable, en attendant l’effacement total de la dette ». Mais s’il s’agit réellement d’une mesure urgente, en attendant l’annulation massive promise, pourquoi pas ? Ne serait-ce pas, malgré tout, un petit pas en avant que l’on aurait tort de bouder au nom d’un radicalisme mal placé ? Voire. Surtout, ne pas aller trop vite en besogne. Écoutons Macron expliquer sa proposition aux ministres des Finances du G20 réunis le 15 avril : « le temps de la crise, on laisse les économies africaines respirer et ne pas servir les intérêts de la dette. C'est une étape indispensable et je pense que c'est une formidable avancée ».
Revoilà comment le soutien tactique à une revendication moralement et économiquement incontestable peut porter une stratégie de conservation du statu quo ante après « le temps de la crise ». Car il s’agit bien de cela, comme le stipule sans ambages la note conjointe du G20 et du Club de Paris portant « initiative de suspension du service de la dette pour les pays les plus pauvres ». Cette initiative dépend d’une conditionnalité proprement contradictoire : pour être éligible, un pays doit être « à jour sur le service de la dette dû au Fmi et à la Banque mondiale ». La suspension proposée débute le 1er mai 2020 et s’achève fin décembre 2020 avec une éventuelle prolongation. Cerise sur le gâteau : les créanciers gardent toute latitude de mettre en œuvre cette initiative, nullement contraignante, « conformément à leur législation nationale et à leurs procédures internes ».
En clair : même durant « le temps de la crise », vous allez payer le service de la dette multilatérale ; à cette condition, on verra, pays par pays, comment suspendre le paiement de la dette bilatérale pour quelques mois. Vaste duperie, n’est-ce pas ? Et on voit, concrètement, comment une montagne peut accoucher d’une souris. Et même comment une souris peut accoucher d’une nouvelle montagne car, au final, le rééchelonnement ou refinancement aboutira, dans quelques années, comme par le passé, à un renchérissement du portefeuille de la dette. Et la « formidable avancée » sera que les populations africaines devront payer encore plus.
Les orfèvres de l’endormissement des consciences savent bien que leur rhétorique ne peut pas se contenter de ce type de subterfuge et que, pour atteindre pleinement ses objectifs, elle doit réussir à perturber les capacités de raisonnement logique de ses cibles (fowe sunu xel). En effet, quand on n’a pas la légitimité ou la capacité durable de s’opposer à une revendication universelle comme celle de l’annulation d’une dette aussi odieuse que tueuse, on est obligé de penser à un dispositif argumentaire faisant douter les récalcitrants de la moralité ou de l’utilité de leur combat.
Pour les démobiliser. Ils convoqueront alors le devoir éthique de payer ses dettes pour payer en retour la générosité des contribuables des pays riches, et se faire respecter d’eux. Ils passeront alors sous silence que cette dette est impayable : cela fait 50 ans que nous la payons et qu’elle ne cesse d’augmenter. Les pourfendeurs oublieront aussi de s’indigner, parallèlement, contre la campagne pour l’annulation de la dette des pays européens faibles, que la Banque centrale européenne (Bce) a commencé à satisfaire.
Un argument plus pervers sera que la lutte, légitime et nécessaire, pour l’annulation de la dette devrait, pour rester décente et irréprochable, être menée avant tout contre (ou en tout cas sans) « les gouvernements africains corrompus qui se sont endettés pour enrichir des élites et non pour servir les populations ».
Comme si les gouvernements africains sont plus corrompus que leurs homologues européens ou autres. Comme si la corruption, qui sert de fil conducteur à l’accumulation de cette dette, de bout en bout, est conçue et mise en œuvre sous une responsabilité principale autre que celle des prêteurs. Comme si le nœud coulant qui nous empêche de « respirer » est ajusté par des mains autres que celles des heureux bénéficiaires de notre misère. En somme, comme si la corruption n’est pas le véritable nom du capitalisme crépusculaire.
A la place du krach boursier attendu par nombre d’analystes, la pandémie du Covid-19 représente, selon toute apparence, l’épilogue de l’ordre international de Yalta-Washington, instauré par les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale. Un monde nouveau se renégocie déjà sous nos yeux. Les anciens colonisateurs, qui sont restés colonialistes aussi bien dans leurs structures économiques que dans leurs modes de pensée, ont tout intérêt à ce que l’Afrique demeure minimisée et marginale.
Mais la jeunesse africaine attend autre chose. Elle a raison de penser que l’Afrique doit, aujourd’hui, jouer ses cartes, toutes ses cartes, pour devenir un acteur majeur de l’économie mondiale et non plus une victime plaintive, indigente et frustrée.
En réorganisant l’ordre international sur un nouvel axe, la pandémie de la Covid-19 ouvre devant l’Afrique une porte nouvelle et pleine de promesses de changement positif. Si elle prend toutes ses responsabilités, l’Afrique peut progresser rapidement dans la prise en charge des grands défis que sont, entre autres, la dette extérieure, l’unité politique, la gouvernance éthique, l’autosuffisance alimentaire, la souveraineté sécuritaire, l’indépendance monétaire ou l’éradication de la misère. Au total le défi de la puissance (man sa bopp).
Mais cette chance historique ne sera saisie que par une dynamique d’unité et de cohésion de notre continent. Il ne peut s’agir d’une Afrique projetée ou rêvée mais de l’Afrique ici et maintenant, l’Afrique en chair et en os de 2020, rassemblée dans la pluralité des gouvernements et des peuples. C’est donc le moment ou jamais de réunir l’Afrique, toutes les Afriques, celle des démocraties comme des dictatures, des corrompus comme des vertueux, des riches comme des pauvres, du nord comme du sud.
Pour que, déjouant les ruses visant à perpétuer ses clivages et ses faiblesses, elle s’attaque intelligemment, pour commencer, à la « contradiction principale », celle de la quête de puissance, dont dépend la survie de ses habitantes et de ses habitants.
27/05/2020
Mamadou Bamba NDIAYE
Ancien député
Secrétaire général du Mps/Selal