McGill poursuit son essai clinique sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine
by Pauline GravelL’Université McGill poursuit son essai clinique visant à vérifier l’efficacité de l’hydroxychloroquine dans le traitement de la COVID-19, contrairement à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a suspendu les siens à la suite d’une publication dans la prestigieuse revue médicale The Lancet indiquant que ce médicament ne procurait aucun bénéfice et même pouvait s’avérer néfaste pour traiter les personnes souffrant de la COVID-19.
Il y a quelques jours, la revue The Lancet publiait les résultats d’une vaste étude observationnelle ayant porté sur 96 032 patients atteints de la COVID-19 et hospitalisés entre le 20 décembre 2019 et le 14 avril 2020 dans 671 hôpitaux du monde. Les patients étaient séparés en quatre groupes selon le traitement qu’ils recevaient, soit de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine seule, ou en association avec un antibiotique, tel que l’azithromycine. Les 81 144 patients qui n’ont reçu aucun de ces traitements formaient le groupe contrôle. Les chercheurs ont observé que les patients ayant été traités avec l’une ou l’autre de ces quatre options thérapeutiques couraient un risque accru d’arythmie cardiaque et de mortalité comparativement aux patients du groupe contrôle, et donc ne tiraient aucun bénéfice du traitement qui ne s’est pas avéré efficace pour traiter la COVID-19.
Face à ces résultats décevants, voire inquiétants, l’OMS a suspendu l’essai clinique Solidarity qu’elle soutenait et qui était mené sur des patients hospitalisés à travers le monde, comme dans l’étude du Lancet. Une autre étude conduite par le National Health Service (NHS) du Royaume-Uni a été interrompue pendant quelques jours, le temps « de regarder leurs résultats. Et comme ils n’ont pas vu de problème de sécurité, ils ont décidé de poursuivre », affirme la Dre Emily McDonald, directrice de l’Unité d’évaluation des pratiques cliniques du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
La Dre McDonald fait remarquer que les résultats publiés dans The Lancet ont été obtenus lors « d’une étude observationnelle, dont la méthodologie présente plusieurs faiblesses ». « Les patients n’ont pas été répartis au hasard dans chacun des cinq groupes ». Qui plus est, « les patients du groupe contrôle ne recevaient pas un placebo », comme cela doit être le cas dans une étude scientifique conduite en bonne et due forme, dans laquelle les patients reçoivent tous un comprimé (un médicament ou un placebo) dont les expérimentateurs et les patients ignorent la nature. « Il est possible que les patients qui n’ont pas reçu de traitement et qui formaient le groupe contrôle étaient différents des patients auxquels on a administré un traitement, et ce, pour diverses raisons. Par exemple, si dans certains hôpitaux, les moniteurs cardiaques n’étaient pas disponibles dans les chambres des patients, le médecin a pu décider de ne pas prescrire l’hydroxychloroquine sachant qu’elle augmentait le risque d’arythmie cardiaque », précise la Dre McDonald.
Autre distinction notable par rapport à l’étude de The Lancet qui portait sur des patients gravement malades qui étaient hospitalisés : celle menée à l’Institut de recherche du CUSM est « un essai clinique randomisé et à double insu dont les participants sont plus jeunes », ne souffrent d’aucune maladie chronique, et dont les symptômes de la COVID-19 sont suffisamment légers pour leur permettre de demeurer à la maison. « Parmi les 1000 patients qui sont enrôlés dans notre étude, aucun n’a fait de l’arythmie cardiaque. De plus, nous avons exclu de l’étude les patients qui prennent des médicaments, tels que des antidépresseurs et des antipsychotiques, qui sont susceptibles d’interagir avec l’hydorxychloroquine et ainsi d’augmenter le risque d’arythmie », souligne la Dre McDonald qui codirige cet essai clinique qui vise à vérifier si l’hydroxychloroquine peut empêcher le développement de complications graves chez les personnes atteintes de la COVID-19.
« La publication des résultats de cette étude observationnelle du Lancet est problématique pour les essais cliniques randomisés et à double insu dont la méthodologie est meilleure, car, d’une part, plusieurs de ces essais vont probablement s’arrêter, et d’autre part, ils auront désormais plus de mal à recruter des patients, alors que, pourtant, ils allaient fournir des résultats beaucoup plus fiables », déplore la Dre McDonald.
Justement, l’Université de Calgary et l’Université de l’Alberta qui menaient l’essai clinique Alberta HOPE COVID-19 ont décidé de suspendre leur étude [qui est similaire à celle conduite au CUSM] pour un moment, « le temps de réviser plus en détail [leurs] normes de sécurité et de discuter avec les autres groupes qui procèdent à des essais similaires sur des patients peu malades qui ne nécessitent pas d’hospitalisation et qui sont traités à la maison », précise la Dre Luanne Metz, coordonnatrice de l’étude. « Même si l’étude observationnelle décrite dans The Lancet était de très bonne qualité, notre étude porte sur une population de patients complètement différente, car nos participants ne sont pas malades et viennent tout juste de recevoir leur diagnostic. Notre étude visait à administrer l’hydroxychloroquine au tout début de la maladie dans l’espoir d’éviter des hospitalisations. De plus, les personnes ayant le moindre risque cardiaque en raison de la prise de certains médicaments ou d’une maladie cardiaque précédente n’étaient pas éligibles à notre étude. »
« L’étude du Lancet risque de changer la perception qu’auront les patients de ce médicament. Si les patients croient qu’il est dangereux, ils auront peur de participer à notre étude et nous aurons du mal à recruter de nouveaux participants. Il sera ainsi assez difficile de poursuivre l’étude. Notre comité de surveillance a révisé nos résultats et n’a rien trouvé de préoccupant. Aucun de nos participants n’a éprouvé d’effets secondaires [relié au médicament], ou eu des problèmes cardiaques. Mais ce comité se soucie, tout comme nous, des résultats publiés dans The Lancet, même s’ils présentent les faiblesses d’une étude observationnelle », souligne la Dre Metz.