​Demandeurs d’asile: bon sens et humanité

by

La conversion a été hésitante, mais elle a eu lieu. Le premier ministre François Legault a finalement accepté d’envisager d’accueillir, à titre d’immigrants, les demandeurs d’asile qui travaillent dans les CHSLD dans le difficile contexte de la pandémie.

Il y a deux semaines, à l’Assemblée nationale, les caquistes n’ont pas donné leur consentement pour que les élus votent sur une motion, présentée par Catherine Fournier, afin de reconnaître la contribution des centaines de demandeurs d’asile travaillant comme préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD. La députée indépendante proposait au gouvernement Legault de demander à Ottawa de régulariser le statut de ces demandeurs d’asile majoritairement d’origine haïtienne « dans un souci de reconnaissance ».

Dans un premier temps, François Legault a refusé qu’on puisse permettre à des demandeurs d’asile qui rentrent par le chemin Roxham — d’ailleurs fermé depuis le début de l’état d’urgence pandémique — d’obtenir, sous prétexte qu’ils occupent un emploi, la permission d’immigrer. La procédure pour être reconnu comme réfugié, qui relève du gouvernement fédéral, est sanctionnée par un tribunal, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). C’est long : 20 mois au lieu des 60 jours comme le veut la loi, avant même que la CISR ferme ses portes en raison de la crise sanitaire. On peut aussi s’attendre à ce qu’une majorité des demandeurs d’asile qui sont entrés au pays par le chemin Roxham de façon « irrégulière », mais prévue par les conventions internationales, voient leur demande rejetée, la CISR déterminant qu’ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention de Genève parce qu’ils ne risquent pas d’être persécutés ou de voir leur sécurité menacée s’ils retournent dans leurs pays. Un grand nombre d’entre eux sont en fait des réfugiés économiques : ce n’est pas les persécutions qui les attendent s’ils retournent dans leur pays mais la misère. Menacés d’expulsion par le gouvernement américain, de nombreux Haïtiens qui ont franchi la frontière par le chemin Roxham, sinon la majorité, tombent dans cette catégorie. Le Canada refoule la majorité des demandeurs d’asile et laisse en plan — et cela se comprend — les dizaines de millions réfugiés qui n’aimeraient pas mieux que de devenir citoyen canadien.

Bien que la réaction initiale fût mal inspirée, François Legault n’a fait qu’exprimer le souhait que, pour obtenir le statut d’immigrant, les entrées irrégulières ne peuvent se substituer aux procédures normales, ce qui se ferait au détriment des candidats qui s’y conforment. Mais dans le cas de ces demandeurs d’asile qui se désâment dans les CHSLD, et dans les circonstances exceptionnelles que nous impose la pandémie, il y a lieu de faire une exception.

D’abord, c’est une question de bon sens. Encore mardi, lors de la période de questions à l’Assemblée nationale, François Legault s’est encore plaint qu’il manquait 10 000 travailleurs dans le réseau de la santé. La ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, a renchéri en soulignant en substance que non seulement les bras manquaient dans les CHSLD, mais que la COVID-19 exigeait davantage de personnel pour le même volume de soins.

Alors qu’on fait appel à l’armée canadienne pour prêter main-forte au personnel décimé dans les CHSLD, on aurait tort d’ignorer l’apport de cette main-d’œuvre vaillante qui nous vient de l’étranger.

Plus important encore, c’est qu’au-delà des bonnes paroles sur le mérite des « anges gardiens », le gouvernement Legault a l’occasion d’exprimer sa reconnaissance, de façon sérieuse et concrète, à ces centaines de demandeurs d’asile dévoués. Pour beaucoup d’entre eux, c’est l’expulsion du pays qui les attend au terme de longues procédures. Leur accorder le statut d’immigrant dans les circonstances, c’est une question d’humanité.

Dans le passé, pour répondre à des situations humanitaires exceptionnelles, on avait concocté des programmes spéciaux. Mardi, le premier ministre Justin Trudeau a reconnu l’importance de reconnaître le dévouement de ces demandeurs d’asile tout en préservant un système d’immigration « robuste, rigoureux et complexe ». Maintenant qu’ils sont dans les mêmes dispositions, Ottawa et Québec doivent trouver un terrain d’entente.

Dans l’implantation de sa réforme de l’immigration, le gouvernement Legault et son ministre Simon Jolin-Barrette ont parfois oublié que des êtres humains étaient au centre de cette mission de l’État. Le dernier épisode en lice, ce fut cette course absurde en plein hiver pour déposer des demandes de parrainage de réfugiés au bureau du ministère à Montréal. Voilà que se présente une occasion de faire amende honorable.