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Les confidences de Mélissa (Wislanda Louimat, à droite) aux membres de sa sororité permettent de plonger à fond dans la culture vaudoue.Ad Vitam Distribution

«Zombi child»: généalogies mortes-vivantes

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Dans le ciel où se mêlent le charbon et l’indigo, la pleine lune luit tel un gros œil aveugle. Haïti, 1962. Une incantation, de la poudre au creux d’une paire de chaussures… Les voici aux pieds d’un homme qui s’effondre soudain dans la rue. Procession funéraire, enterrement… Déterré, l’homme est ranimé et amené dans une plantation de canne à sucre, esclave au regard absent. Paris, aujourd’hui. Au pensionnat de la Légion d’honneur, Fanny, qui cultive un vaste jardin secret, s’est liée d’amitié avec Mélissa, une consœur d’origine haïtienne. Dans Zombi child, Bertrand Bonello entrelace ces deux fils narratifs, le passé éclairant le présent, et parfois vice versa, de manière diffuse mais sensée, comme dans un songe qui génère sa propre logique et s’y tient.

Dans la première scène contemporaine, on assiste avec les étudiantes à un cours où le professeur (l’historien Patrick Boucheron) met en relief la notion de paradoxe historique. Il parle du libéralisme du 19e siècle qui associait progrès et liberté, mais occultait cette dernière, explique que Napoléon « acheva » la Révolution française dans les deux sens du terme en la complétant et en la mettant à mort tout à la fois… À terme, le professeur enjoint aux jeunes filles d’aborder l’histoire comme une succession d’épisodes discontinus mais signifiants — des expériences historiques.

Et c’est exactement la forme que revêt le film, qui alterne avec un doigté impressionniste des passages tirés des deux — et in extremis trois — époques. Ce, en plus d’intégrer les projections mentales de Fanny qui se languit de son amoureux, figure romantique évanescente qui obsède et hante l’adolescente. Sans oublier les souvenirs résurgents de Clairvius (Mackenson Bijou), le zombi du début, personnage inspiré par Clairvius Narcisse dont le cas de zombification fut documenté par l’anthropologue Wade Davis (et dont l’ouvrage The Serpent and the Rainbow fut adapté au cinéma par Wes Craven). Parvenu à s’extraire de cette torpeur mortifère, Clairvius revient parmi les vivants sans toutefois leur révéler sa présence : une part de lui semble être restée prisonnière de l’envoûtement.

Si Fanny est possédée, Clairvius a au contraire été dépossédé. Paradoxe narratif.

De la culture vaudoue

Or, en dépit de ce parti pris structurel, le film maintient une fluidité parfaite. Le montage d’Anita Roth (120 battements par minute) est exemplaire dans sa capacité à dilater le moment qui compte ; à refuser toute coupe accessoire. C’est en l’occurrence au diapason du matériel tourné en amont par le cinéaste. En effet, Bonello privilégie la durée du plan, surtout lorsqu’il filme un visage, qu’il transforme volontiers en paysage : ceux des nouvelles venues Wislanda Louimat (Mélissa) et Louise Labeque (Fanny) s’avèrent particulièrement évocateurs, même dans la retenue.

Qui plus est, en misant de façon soutenue sur le travelling latéral, Bonello imprime au mouvement d’ensemble une impression de continuité : sa caméra glisse devant le champ de canne puis devant la classe du pensionnat, brouillant la frontière entre les époques et les lieux ; l’échelle de plan évolue, mais le mouvement se perpétue. Plus économe dans sa facture (et son budget) que ses récents Saint-Laurent et Nocturama, Zombi child n’en est pas moins virtuose.

À cet égard, Bonello sait mettre à contribution chaque élément à sa disposition, du très grand au très petit. Ainsi, ces paysages haïtiens desquels il extrait mystère et beauté, pour le macro, ainsi ce bout de balustrade en fer forgé qui devient le cadre gothique d’une déambulation nocturne, pour le micro. Les cinéphiles souriront en outre devant de jolis, et heureusement discrets, clins d’œil à De Palma (un split-screen et surtout cette séquence au ralenti dans le vestiaire à la Carrie) et Argento (le spectre de Suspiria plane de-ci de-là).

Retour à la source

Plongeant à fond dans la culture vaudoue, par l’entremise des confidences de Mélissa aux membres de sa sororité, puis par l’apparition au troisième acte de la tante prêtresse de celle-ci (Katiana Milfort), Bonello ne s’intéresse absolument pas à la représentation hollywoodienne du zombi (ou zombie) affamé de chair humaine — variation dont il se moque gentiment dans un extrait de film que visionnent les adolescentes. Sa perspective, il l’annonce d’emblée, est historique (instant de grâce lorsque Mélissa récite à ses amies blanches et coites Cap’tain zombi, du poète René Depestre).

Quant à son approche, elle est oblique. Et poétique, surtout poétique.

Patiente, la progression permet en définitive d’établir des liens directs ou subliminaux au moment où les récits parallèles se soudent. À la fin, il n’y a plus ni passé ni présent. Mais le songe, lui, perdure.
 


Zombi child est disponible en VSD dès vendredi à cinemamoderne.com