Diffusion de l’épidémie : le dessous des cartes
by Nadine LevrattoPassée la stupeur face aux annonces des chiffres globaux d’une hausse quotidienne des hospitalisations, des décès liés à l’épidémie de Covid-19 et de la surmortalité, on peut s’intéresser aux données désagrégées, d’abord par classe d’âge puis par département, qui révèlent que la maladie n’a pas fait des victimes de façon indifférenciée. Bien au contraire.
Les études des chercheurs en médecine et épidémiologie, d’une part, et des démographes de l’autre, ont rapidement mis en avant la pyramide des âges des personnes concernées par la maladie. Dans les hôpitaux, celles en réanimation étaient principalement âgées, voire très âgées (plus de 75 ans), en grand surpoids ou présentaient déjà des pathologies aggravées par le virus.
Les premières statistiques descriptives publiées sur le site de l’Institut national d’études démographiques (Ined), puis par le désormais célèbre John Hopkins Institute ont permis de prendre la mesure du phénomène. A la fin du mois d’avril 2020, 61,9 % des personnes hospitalisées étaient âgées de 65 ans et plus, dont 42 % de plus de 75 ans. Regroupées, ces deux catégories ne représentent pourtant que 19,6 % de l’ensemble de la population (9,3 % pour les plus de 75 ans).
Le salaire de la peur
Dans le même registre, il est vite apparu que les hommes étaient davantage touchés que les femmes. Au début du mois d’avril, Santé publique France rapportait que 74 % des patients atteints de Covid-19 en réanimation étaient des hommes et que ces derniers représentaient 59,1 % des décès. Ces taux sont restés stables sur les semaines suivantes.
Enfin, il a été reconnu que les personnes présentant déjà des pathologies (maladie cardiovasculaire, respiratoire ou d’hypertension, diabète, cancer) et celles atteintes d’obésité couraient un risque plus élevé face à la Covid-19.
41 % des salariés dont le salaire net mensuel est au maximum égal à 1 350 euros appartenaient au groupe des travailleurs les plus exposés
En complément de ces marqueurs physiques, des indicateurs d’activité, notamment liés à l’activité professionnelle, ont été mentionnés, rendant compte d’une facette sociale de la maladie gommée par le caractère généralisé du confinement. Deux chercheuses de l’Ined ont mis ce point en relief : les travailleurs les plus exposés au risque de développer la maladie ont régulièrement des contacts directs avec le public et / ou une exposition à des agents infectieux.
Les niveaux de rémunération reflètent ce risque : 41 % des travailleurs dont le salaire net mensuel est au maximum égal à 1 350 euros appartenaient au groupe très exposé, contre 12 % de ceux gagnant 2 750 euros et plus.
Les raisons des variations territoriales
La mise à disposition de données calculées par département par Santé publique France et l’Insee a enfin permis de creuser la question des disparités territoriales au début négligées. L’emploi du terme anglais « cluster » à la place du mot français « foyer » évoquait pourtant de manière significative les techniques d’analyses de données géoréférencées !
Un premier article académique, dont je suis l’une des autrices, a mis en évidence des disparités territoriales que l’apparition du premier foyer à Crépy-en-Vallois ou le rassemblement évangélique de Mulhouse ne suffisaient pas à expliquer. L’impact de ces évènements « aléatoires » sur le développement de la maladie aux environs immédiats de leur survenance ne fait aucun doute. Mais la compréhension de la manière dont l’épidémie s’est diffusée exige une analyse méthodique allant au-delà de la simple superposition de cartes.
Les manifestations de la Covid-19 sont d’autant plus importantes qu’un département présente une forte densité et que les inégalités de revenu sont fortes
Une fois ce phénomène pris en compte, on peut chercher à déterminer la meilleure combinaison des facteurs explicatifs des écarts entre les taux d’hospitalisation, de mortalité liée à la Covid-19 et de surmortalité en 20201. Il s’avère ainsi que les manifestations de la Covid-19 sont d’autant plus importantes qu’un département présente une forte densité, une part importante d’ouvriers dans la population active et que les inégalités de revenus (mesurées par l’écart entre les 10 % les plus faibles et les 10 % les plus élevés) sont fortes.
Pas d’effet métropole
Mais, fort heureusement, l’état du système sanitaire vient atténuer ces facteurs haussiers. En effet, plus les services d’urgence (les médecins ou les pharmacies) sont nombreux (après correction de la taille du département), plus les taux d’hospitalisation, de décès et de surmortalité sont faibles.
Les résultats de la recherche ont réservé des surprises, en particulier, l’absence d’influence du taux de résidences secondaires et des déplacements de population suite à l’annonce du confinement, qui avaient pourtant agité le débat public au cours du mois de mars.
Enfin, des phénomènes de contagion, non pas entre les personnes mais entre les territoires, interviennent aussi, comme le montrent les tâches de surreprésentation significative de la maladie dans le Grand-Est et l’Ile-de-France, et sa sous-représentation à l’ouest d’une ligne allant de la Normandie à la Camargue.
Certains départements qui cernent les principaux foyers de Covid-19 ont joué le rôle de « barrières naturelles » grâce à leur faible densité
Pourquoi l’épidémie n’a-t-elle pas touché de manière égale l’ensemble du pays ? Comment expliquer la plus forte présence du coronavirus dans des sous-ensembles de départements relativement proches de son lieu d’apparition ? Le confinement a certainement joué un rôle dans le cantonnement des « points chauds ». Il en va de même de l’extraordinaire capacité de réaction du système hospitalier qui, en dépit des contraintes budgétaires qu’on lui impose depuis de nombreuses années, est parvenu à ouvrir environ 3 000 lits de réanimation en l’espace de trois semaines. La densité de population, si souvent évoquée dans l’explication de la diffusion des épidémies intervient également. En effet, certains départements comme l’Aube, l’Aisne, l’Orne, la Sarthe, etc. qui cernent les principaux foyers de Covid-19 ont joué le rôle de « barrières naturelles » grâce à leur faible densité.
C’est donc la géographie socio-économique d’ensemble du territoire français, et non l’opposition simpliste entre les métropoles et la « France périphérique », souvent prétexte à polémiques, qu’il importe de regarder pour comprendre les vecteurs de propagation de la Covid-19.
Il reste à espérer que les décideurs publics s’emparent de ces questions pour mettre en cohérence les politiques de santé, les politiques sociales et de redistribution des revenus, ainsi que les politiques de soutien aux territoires.
• 1. Le taux de surmortalité est mesuré par la différence entre le nombre total de décès par département au 30 mars 2020 et la moyenne des décès recensés à la même date en 2018 et 2019 rapportée à cette dernière qui permet de tenir compte des décès liés au virus en dehors du milieu hospitalier, dans les Ehpad notamment, dès le début de l’épidémie alors qu’ils n’étaient pas encore comptabilisés.