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Sur les plages, la ruée des promeneurs menace les oiseaux d’eau

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La fin du confinement a poussé de nombreuses personnes vers les plages du littoral languedocien. Cette « vague » perturbe l’activité de la faune littorale, en période de reproduction. Différentes institutions sont à pied d’œuvre pour protéger les oiseaux et enseigner aux humains le partage de l’espace avec le reste du vivant.


La plage de Villeneuve-lès-Maguelone étale son cordon de sable blanc et de galets sous un soleil brûlant. D’un côté, la Méditerranée, à peine troublée par quelques vaguelettes ; de l’autre, l’étang du Vic, l’une des nombreuses lagunes qui bordent la côte languedocienne. Longue-vue calée sur l’épaule, Olivier Scher se fraie un chemin entre les promeneurs et les baigneurs déjà nombreux en ce mercredi déconfiné. Depuis deux semaines, cet employé du Conservatoire des espaces naturels arpente sans relâche le lido afin de prendre soin de la faune littorale : « Avec le déconfinement, on a vu débarquer les gens sur les plages de manière disproportionnée et désorganisée, regrette-t-il. Or, c’est une période d’installation, de nidification et de reproduction essentielle pour nombre d’oiseaux. »

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Olivier Scher, du Conservatoire des espaces naturels, dans une zone de protection à l’accès interdit et sous surveillance, à Villeneuve-les-Maguelone.

Après quelques centaines de mètres, les badauds se font rares et le brouhaha humain se trouve bientôt couvert par une cacophonie aviaire. Au milieu des piaillements rieurs des mouettes [mélanocéphales | De mélano, « noir » et céphale « tête ».] — reconnaissables à leur capuchon noir — on distingue bientôt un « kriii kriii » caractéristique. « Les sternes naines cherchent un site où se cantonner pour faire leur nid », explique M. Scher en pointant du doigt un élégant oiseau dans le ciel. Les yeux cernés de noir, tout comme le dessus de sa tête, cette petite sterne à bec jaune revient à peine de sa migration africaine. Menacée par l’urbanisation de la côte, c’est une des espèces chouchoutées par le Conservatoire des espaces naturels [1].

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Vol de bécasseaux sanderling et gravelots à collier interrompu en bord de mer.

À l’aide de sa longue-vue, Olivier Scher suit le ballet des délicats volatiles. Après quelques minutes, il se redresse, en indiquant un bout de plage à une centaine de mètres : « Il y a là-bas un petit groupe de sternes, dont certaines se font des offrandes de poisson », explique-t-il. Ce « rituel » est un des signes avant-coureurs de la reproduction : « Cela signifie qu’elles sont intéressées par ce site, qu’elles vont peut-être s’y installer pour nidifier », poursuit le naturaliste. Il note dans son carnet l’emplacement exact : la zone est à protéger.


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Vol de bécasseaux sanderling et gravelots à collier interrompu en bord de mer.
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Olivier Scher, du Conservatoire des espaces naturels, dans une zone de protection à l’accès interdit et sous surveillance, à Villeneuve-les-Maguelone.
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Traces de petit passereau dans les dunes de l’Espiguette.
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Panneau d’information sur la protection des espèces nicheuses.
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Traces de limicoles dans une zone protégée.
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Plage interdite au public vers les salines de Villeneuve-les-Maguelone.
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Un chevalier sylvain, petit limicole des zones humides.
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Nourrissage de sternes naines au lever du jour.
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Un petit gravelot dans une zone humide.
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Un bécasseau sanderling limicole en bord de mer.
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Un petit gravelot dans une zone humide.
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Une bécassine des marais limicole des zones humides.
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Une bergeronnette grise en bord d’étang.
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Un crabier chevelu, petit échassier en position de pêche à la grenouille, petites anguilles, etc.
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Un héron pourpré, échassier des zones humides.
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Une avocette élégante limicole en bord de mer.
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Un tournepierre à collier limicole en bord de mer.

Car, en ces temps de déconfinement, la principale menace pour les oiseaux a des allures de promeneur imprudent ou de chien tout-fou. « Les sternes nichent en colonie, à même le sol, en creusant une petite cuvette, détaille M. Scher. Elles peuvent être facilement dérangées, et leurs œufs se confondant dans le sable, ils peuvent être involontairement écrasés. » Une fois les œufs pondus ou éclos, toute présence humaine intrusive provoque régulièrement l’envol des parents, qui abandonnent parfois pendant plusieurs heures leur progéniture ; les pertes peuvent alors se chiffrer par dizaines.

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Traces de petit passereau dans les dunes de l’Espiguette.

Pour limiter les perturbations dans cette période cruciale de reproduction, les employés du Conservatoire des espaces naturels (CEN) sont à pied d’œuvre depuis le 11 mai. Armés de filets et de panneaux de signalisation, ils balisent les espaces de la plage où nichent les oiseaux, ainsi que les lieux où ils pourraient s’installer. Une course contre la montre, alors que les beaux jours et la fin des restrictions de circulation ont provoqué une marée humaine sur le sable. Joint par Reporterre, le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) héraultaise, Pierre Maigre, ne décolère pas. « Dans les salins de Frontignan, j’ai été stupéfait de voir des chiens non tenus en laisse pourchassant les oiseaux, ou des enfants essayant d’attraper des poussins d’avocettes, raconte-t-il. Ce sont des gestes maladroits ou par ignorance. Les gens voient la nature comme un espace de liberté sans aucune contrainte. »

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Un crabier chevelu, petit échassier en position de pêche à la grenouille, petites anguilles, etc.

Des incidents qui auraient pu rester anecdotiques s’il n’y avait eu que quelques marcheurs… « Il n’y a pas eu de montée en douceur du nombre de personnes, mais plutôt un choc brutal, une ruée », constate M. Maigre. Un afflux d’autant plus dommageable que nombre d’espèces ont « profité » du confinement pour s’établir dans des lieux inhabituels, selon l’ornithologue. « À Frontignan, des avocettes nichaient littéralement à côté du chemin, décrit-il. À Agde, on nous a signalé une colonie de sternes dans des dunes proches de la plage ; au sud de Béziers, on a observé des gravelots à collier interrompu dans une zone normalement fréquentée. »

Afin d’éviter l’hécatombe, les associations de protection de la nature comme la LPO ou le CEN ont redoublé leurs efforts. « Nous avons fait des suivis de tous les endroits où pouvaient se trouver des oiseaux, et tous les sites à enjeu ont été mis en défens, interdits au public », se satisfait Olivier Scher. Avec le soutien des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), les associatifs ont également parcouru le littoral à la rencontre des promeneurs, dans le but de les sensibiliser. Le Conservatoire du littoral, l’Office national des forêts, l’OFB ainsi que plusieurs associations ont lancé l’opération « Sauvez nos poussins », diffusant les « bonnes pratiques » à adopter lors de nos balades :

• Vérifiez que l’accès du site du littoral où vous comptez vous rendre est autorisé ;
• Restez sur les sentiers balisés et habituels. Si vous avez un chien, tenez-le strictement en laisse ;
• Gagnez le plus rapidement possible le fil de l’eau pour mener vos activités sportives ou récréatives et restez au plus proche de l’eau ;
• Éviter au maximum de fréquenter le haut de plage, les dunes de sable ou végétalisées en arrière littoral, lors de vos parcours vers les stationnements ;
• Si vous voyez un oiseau posé au sol qui vous semble blessé ou pousse des cris répétés, éloignez-vous au plus vite car il s’agit d’une manœuvre destinée à vous éloigner du nid ou une alarme indiquant la présence d’un nid ou de poussins ;
• Respectez les zones balisées avec une signalétique adaptée à l’opération.
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Nourrissage de sternes naines au lever du jour.

Sur le chemin du retour, près des salines de Villeneuve-lès-Maguelone, Olivier Scher interpelle un joggeur dans un chemin fermé au public car proche d’une zone de nidification. « Certaines personnes ne comprennent pas qu’après “avoir été privées” de nature, on leur pose de nouvelles interdictions, soupire M. Scher. Elles veulent “en profiter au maximum”, comme s’il s’agissait de consommer de la nature. » Le naturaliste veut croire qu’une autre approche « plus respectueuse » est possible, pour le bien commun : « Nous voulons préserver ces milieux et ces espèces pour que nos enfants, les générations futures, puissent aussi apprécier ces espaces, dit-il. Tout l’enjeu, c’est d’apprendre à laisser de la place à la nature. »

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Un bécasseau sanderling limicole en bord de mer.

Pour favoriser cette cohabitation, le CEN mise sur la responsabilisation de chacun, à travers notamment la météo des oiseaux. Créé en 2016 par un pratiquant de kitesurf souhaitant glisser sans déranger les bêtes à plumes [2], cette carte interactive recense les sites littoraux où peuvent se trouver des oiseaux protégés. Chaque semaine, la carte est actualisée, et chaque plage se voit attribuer un pictogramme de couleur : le bleu signifie qu’il n’y a pas de risque de dérangement ; le jaune incite à la prudence ; et s’il est rouge, c’est que la présence d’oiseaux sur la zone est avérée. À chacun ensuite d’adapter ses pratiques, en toute connaissance de cause, selon Olivier Scher : « L’idée n’est pas d’interdire les plages, mais de partager l’espace avec le reste du vivant. »


[1Espèce rare et protégée, elle est inscrite à l’annexe I de la directive Oiseaux de l’Union européenne. Il est donc interdit de la détruire, la capturer, de la perturber, ainsi que de détruire les œufs et les nids, ou de dégrader son milieu.
[2] Pour effectuer, ce sport de glisse, il est nécessaire de gonfler un large cerf-volant sur la grève, ce qui peut entraîner d’importants dérangements pour les oiseaux.


Lire aussi : Retour dans la nature : la vie sauvage s’est épanouie, respectons-la


Source : Lorène Lavocat pour Reporterre

Photos : © Dominique Migliani/Reporterre
. Toutes les images ont été réalisées à l’affût sans dérangement dans le département de l’Hérault et plage limitrophe du Gard (plage de l’Espiguette au Grau-du-Roi)