Une réouverture du Puy du Fou, puis du flou pour les festivals
Philippe de Villiers prévenu directement par le Président du redémarrage, le 11 juin, du parc à thème historique de Vendée… L’information suscite l’indignation et l’incompréhension du milieu culturel qui attend, lui, toujours des consignes claires.
by Noémie Rousseau , Ève Beauvallet«L’histoire n’attend que vous», stipulent les campagnes de com du Puy du Fou. En mai, l’histoire du célèbre parc à thème historique n’attendait en tout cas qu’Emmanuel Macron. Et le chef de l’Etat est arrivé à point. Mercredi, à l’occasion d’un Conseil de défense à l’Elysée, le Président a poussé en faveur d’une réouverture rapide du parc et annoncé la nouvelle en adressant directement un message à son fondateur, une bonne relation à lui, le souverainiste Philippe de Villiers. Désormais, chaque acteur du spectacle vivant serait en droit d’attendre son SMS présidentiel pour savoir s’il peut tenir ou non son édition 2020 ?
Les réactions ont fusé dans le secteur culturel, et pas seulement sur le mode du rire jaune : «Pourquoi le climat serait-il à ce point salubre sur les banquettes du Puy du Fou, et si dangereusement malsain sur les gradins du théâtre antique d’Orange ?» synthétisait le site de Diapason. Comme l’ensemble des parcs situés en zone verte, le Disneyland médiéval de Vendée, qui propose également des «spectacles grandioses», accueillera à nouveau du public à partir du 11 juin, pendant que les autres producteurs et diffuseurs de spectacles et de concerts, grandioses ou non, tous ceux qui n’ont pas le 06 de Macron du moins, «meurent de ne pas savoir. C’est une immense solitude et un désarroi mêlés d’indignation», décrit Paul Fournier, président de la fédération France Festivals, en réaction à ce qu’il qualifie de «décision amicalo-politique». L’impression de favoritisme a illico relancé une guerre des tranchées culturelle nourrie d’affronts esthétiques, sociologiques et idéologiques. Certains ont ainsi cru bon de recentrer le débat sur la «ringardise» supposée du Puy du Fou, alors que d’autres, comme l’ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti, instruisaient à nouveau le dossier de son modèle social (fondé sur un mix entre bénévolat et contrats payés au minimum légal, qui interroge régulièrement les syndicats de salariés) ou de ses valeurs morales (le parc vendéen, généreux donateur à une association anti-IVG, est accusé par des historiens de promouvoir une histoire de France revue et corrigée à la sauce souveraino-monarchiste).
«Bazar»
Mais c’est surtout le manque criant de responsabilité gouvernementale vis-à-vis du secteur culturel qu’une telle annonce mettrait soudain en lumière. Les conditions d’anticipation et de production ne sont pas les mêmes entre des festivals accueillant des stars et des compagnies internationales, et un parc d’attractions comme le Puy du Fou, fédérant des acteurs essentiellement locaux. Les festivals, néanmoins, se sont-ils sabordés en jetant l’éponge trop rapidement ? Et si oui, avaient-ils le choix ? Le manque de cadre réglementaire se fait cruellement sentir. Seule consigne claire pour l’heure : l’interdiction de rassembler plus de 10 personnes jusqu’au 2 juin, et plus de 5 000 jusqu’au 1er septembre. Entre les deux, charge à chacun d’arbitrer.
Face aux incertitudes, nombreux sont ceux qui ont choisi de renoncer, contraints, pour certains, par des collectivités territoriales trop inquiètes des risques sanitaires et donc judiciaires. «On peut dire que la gestion des annulations de festivals par le gouvernement a été un peu chaotique, se risque Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS. Le ministre de la Culture était-il conscient qu’en annonçant la réouverture possible des "petits" festivals de moins de 5 000 personnes, il désignait à peu près la moitié des festivals français ? Pas sûr. Il a ensuite rétropédalé en annonçant des consignes sanitaires contradictoires avec l’esprit même d’un concert. Evidemment que ça a mis le bazar.»
Paul Fournier : «Pour les cafés, les bibliothèques, c’était douloureux mais clair. Les festivals ne disposent pas de l’expertise scientifique dont se targue l’Etat pour trancher. S’il est impossible de réunir des gens pour un concert, il faut avoir le courage politique de le dire. C’est là toute l’habileté de l’Etat : ne pas assumer. La stratégie consiste à ne pas se mouiller. Même à la cellule d’accompagnement des festivals, ils ne savent pas comment avancer.»
Où est le fonds d’urgence pour les festivals, s’étonne-t-on dans le milieu culturel, où est le guide des recommandations (un outil national promis lui aussi depuis des semaines devant permettre aux autorités locales, en lien avec les organisateurs d’événements, de statuer sur la tenue de chaque manifestation) ? Du côté de Technopol, on se dit «curieux». Le réseau des acteurs de la musique électronique entend scruter le protocole sanitaire des Villiers pour s’en «inspirer» : «Si leur parc rouvre, c’est que ça tient la route, à moins que ce ne soit un passe-droit. […] Si le Puy du Fou devient un cluster de malades, cela ne servira à personne», lance Tommy Vaudecrane, président de l’association.
«Coût énorme»
Le président du parc, Nicolas de Villiers, a détaillé sur France Info «les conditions» de réouverture. Outre «les activités très oxygénées» du site s’étendant sur 150 hectares en plein air, seront menées de grandes opérations de désinfection des lieux, des distributions de gel hydroalcoolique… «Toutes ces mesures ont un coût énorme, alerte Tommy Vaudecrane. Sans un fonds pour accompagner les petites structures déjà très fragilisées, seules les grosses machines s’en sortiront.» Paul Rondin, directeur délégué du Festival d’Avignon, espère que la «surprenante nouvelle sur le Puy du Fou en appellera d’autres. S’il est trop tard pour la plupart des festivals de l’été, il est possible d’imaginer d’autres réouvertures, celles des théâtres notamment, qui pourraient se faire dans des conditions faciles, rapides à mettre en place et économiquement viables, et garantir ainsi un démarrage de la saison dès septembre».