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L’initiative de relance ou l’arrêt de Karlsruhe ?

Ces deux événements, qui semblent presque contraires économiquement, pointent tous les deux la question, cruciale mais silencieuse, du degré et des modes d’intégration politique.

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Le jugement de la Cour constitutionnelle allemande du 5 mai sur le programme d’achat de titres publics (PSPP) de la Banque centrale européenne (BCE) a suscité beaucoup d’interrogations sur la possibilité de poursuivre une politique monétaire visant à contrer les effets de la dernière crise financière, voire ceux de la pandémie actuelle. Le jugement a un double aspect juridique et économique.

Sur ce dernier point, la Cour de Karlsruhe ne remet pas en cause la légalité du PSPP au motif que le financement des Etats par la BCE est prohibé. Elle motive son arrêt par la nécessité de justifier la proportionnalité du programme en regard des effets économiques et fiscaux induits. L’arrêt mentionne diverses conséquences des achats d’obligations publiques : sur les taux d’intérêt, l’épargne privée et les retraites (par capitalisation), les prix de l’immobilier ou la politique budgétaire.

La Cour constitutionnelle est parfaitement fondée à souligner les interdépendances des diverses décisions de politique économique, monétaire et budgétaire. Un point important est que le PSPP a des implications sur des éléments de politique économique qui sont de la compétence des Etats. Si la Cour reconnaît en quelque sorte l’inévitabilité de ces interdépendances, elle demande qu’elles soient prises en compte dans l’évaluation de la proportionnalité de la politique de la BCE.

Le référentiel de politique économique plus ou moins explicite de la Cour constitutionnelle allemande est un cocktail d’ordolibéralisme, de monétarisme et de nouvelle économie classique : le PSPP ne doit pas être équivalent à un financement monétaire des dépenses publiques, les Etats doivent rester soumis à la logique de marché et aux contraintes qui s’y rattachent. L’arrêt voit d’un mauvais œil l’assouplissement des conditions de refinancement des Etats permis par le PSPP, alors que la baisse du coût de l’endettement est la raison d’être de ce programme.

L’aspect juridique est lié aux questions économiques. La Cour de Karlsruhe a remis en cause un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui validait le PSPP. La question est de savoir qui a le dernier mot dans une décision de cette nature. La Cour de Karlsruhe souligne que l’Union européenne n’est pas une construction politique achevée et que les Etats membres ont la possibilité de contrôler si la BCE ou la CJUE opèrent dans les limites prévues dans les traités, d’autant plus que ces organisations ne possèdent pas de légitimité démocratique directe.

Ceci est intéressant indépendamment de la vision conservatrice de la politique monétaire sous-jacente à l’arrêt de Karlsruhe. Il existe encore des barrières constitutionnelles nationales à l’activisme de la CJUE, laquelle s’est par le passé distinguée par une interprétation des traités européens qui impliquait une remise en cause de la protection de l’emploi au profit d’une concurrence «libre et non faussée».

Un autre évènement a implicitement soulevé la question du degré d’intégration politique de l’UE. L’initiative franco-allemande pour la relance européenne face au coronavirus du 18 mai propose de créer un fonds de relance au niveau de l’UE doté de 500 milliards d’euros pour contrer les effets négatifs de la pandémie. La dotation du fonds (l’équivalent de 3 % du PIB européen) n’est ni négligeable ni mirobolante pour un programme pluriannuel. La création de ce fonds représente une innovation institutionnelle car il serait financé par un emprunt de la Commission au nom de l’UE et il s’agirait de transferts aux Etats et non de prêts.

Le service de cet emprunt, voire son remboursement, implique une capacité financière non négligeable, ce qui a des conséquences fiscales : il faudrait un impôt européen ou des normes européennes minimales pour les impôts nationaux. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agirait d’un degré supplémentaire d’intégration politique dans un domaine à haut potentiel de conflit inter-Etats.

Les transferts seraient conditionnés aux inévitables «réformes structurelles» ; la promotion de l’agenda néolibéral est donc toujours d’actualité. Enfin, la chose revêt pour la France comme pour l’Allemagne un aspect de politique intérieure. C’est flagrant pour Emmanuel Macron, dont la base sociale, le bloc bourgeois, a sérieusement besoin d’être consolidée après les diverses péripéties des trois premières années de son mandat. La gestion hasardeuse de la pandémie a fragilisé le régime, mais la crise du coronavirus fournit une occasion de rassembler le bloc bourgeois autour du thème fédérateur central de ce bloc social : l’intégration européenne.

Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioana Marinescu, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard.