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Supplique à la deuxième vague pour qu’elle nous oublie

Lettre inquiète au redouté rebond de l’épidémie, mésestimé, surévalué ou démenti, à l’heure du verdict des statistiques d’après déconfinement.

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Ma chère deuxième vague,
J’ai enfin compris l’ambivalence des injonctions des pouvoirs en place. Ceux qui ont barricadé les rivages français deux mois durant viennent d’autoriser les bains de pieds et les trempettes express, les crawls glorieux et les brasses de couleuvres, les plongeons en canard et les longe-côtes cérémonieux. Mais, ils interdisent toujours la sieste ensablée, la bronzette replète, la contemplation d’horizon avec main en visière. La plage doit être active et le passage en bord de mer aussi vif que l’éclair.

J’ai d’abord cru que cela tenait d’une condamnation de l’oisiveté, mère de tous les vices, d’une injonction à se bouger les fesses après ramollissement confituré, d’un refus hygiéniste du droit à la paresse. Mais non ! En fait, on craint que les plagistes se statufient en vigies et passent leur vie à guetter ta survenue, ma chère deuxième vague. Comme nos bons maîtres ne savent plus à quel saint se vouer ni quelle prophétie gober, ils préfèrent que leurs ouailles rétives et rébarbatives, râleuses et rouspéteuses, se dispensent d’aviver leurs angoisses en lisant l’avenir dans les viscères des méduses et en filtrant l’écume d’où naîtrait, à défaut de Vénus, l’embolie ultime.

Ma chère deuxième vague, personne ne sait si tu déferleras demain, à l’automne prochain ou jamais plus. Chacun ignore même si tu verras le jour, mais on t’imagine à profusion car ta devancière a laissé des souvenirs d’autant plus terribles qu’on ne l’avait pas vue venir. Goguenards, on la prévoyait friselis, elle fut tsunami. Alors, évidemment, on te fantasme d’autant plus cruelle qu’on vient de desserrer la jugulaire, d’ouvrir le col de chemise, de décranter la ceinture.

En chats échaudés, les gouvernants craignent ton eau froide. Les chiffres du moment ont beau esquisser ton évanescence, ils refusent d’y croire. On peut comprendre leur méfiance devant toute bonne nouvelle non certifiée. Ayant choisi la prudence sanitaire contre la continuité économique, ils ne changent pas de cheval au milieu du gué, même s’ils savent qu’ils ne pourront pas traverser ce double désastre à pied sec. Leurs conseillers scientifiques, qui ont perdu de leur crédit pour avoir beaucoup pataugé, persistent dans leur logique sécurisée, à défaut d’avoir sorti de leur chapeau un remède miracle ou un vaccin instantané. Ils sont rejoints par les médecins guerroyeurs. Ceux-ci réclament un repos bien mérité mais tentent aussi de pousser leur avantage. En lieu et place d’hommages médaillés, ils veulent obtenir des dommages et intérêts justifiés. Ce qui s’entend mieux s’ils continuent à hurler au loup.

Ma chère deuxième vague, tout ce beau monde, qui adore sermonner, te craint et te respecte. Par avance, il te dépeint en géante terrorisante. Car, sans toi, la justification de son action passée serait fragilisée. Tu as aussi le soutien plein et entier de la préfectorale qui, agitant le risque que tu représentes, garde sous clé les parcs et jardins parisiens tout en hurlant contre les frais libérés qui s’entassent sur les trottoirs où l’interdit les a parqués. Tes derniers alliés sont les chaînes d’info qui vivent du flip réactivé. Leurs téléobjectifs écrasent la perspective et font croire que la distanciation est inexistante le long du canal Saint-Martin et aux abords de la tour Eiffel, sous les remparts de Saint-Malo ou en contrebas du remblai de La Baule.

Ma chère deuxième vague, tu as aussi des ennemis qui renforcent leurs rangs à mesure qu’en météorologistes des maladies, ils scrutent les ondulations de ta houle et les comparent au swell des temps anciens. Tes contempteurs parient sur la saisonnalité des épidémies, la versatilité des virus et les ressources des immunités croisées. A l’inverse des anxieux et des prudents qui pointent l’imprévisibilité du Covid-19, ces optimistes refusent que l’on se gausse de la loi de Gauss. A titiller les statistiques du moment, ils entendent tinter le carillon de la courbe en cloche, comme si la population avait moins le bourdon maintenant qu’elle met le nez au balcon. Ton opposant le plus constant est le fameux Didier Raoult. L’urgentiste Patrick Pelloux vient de le rejoindre, à l’image d’autres chercheurs moins sulfureux et d’autres soignants moins volubiles.

Ma chère deuxième vague, tu vas m’en vouloir, mais j’espère que ceux qui doutent de ton existence ont raison. Je rêve de calme plat et de mer d’huile. J’accepterais même de bronzer séparé de ma voisine par des carrés de plexiglas, si ça peut me dispenser de sentir ton haleine fétide me souffler dans les naseaux. Et ceci, d’autant plus que je n’ai vraiment pas le niveau requis pour te chevaucher en surfeur masqué.