Coluche président, vous en aviez rêvé, Fabrice et J.M. Erre en ont fait une bande dessinée !
by JEREMY BERNEDELe 3 juin prochain, les frères Erre, Fabrice (le dessinateur) et Jean-Marcel (l'écrivain), originaires de Perpignan et installés dans la région montpelliéraine, publient la bande dessinée "Coluche président !" (Fluide Glacial). Une réussite désopilante qui méritait qu'on interroge un de ses auteurs, Fabrice Erre.
Comment est née cette bande dessinée, la première de vous faites avec votre frère écrivain ?
J’avais commencé tout seul quelque chose autour de Coluche en président, mais j’étais coincé. Comme mon frère écrit pour l’émission “Groland”, sur Canal +, qui est l’héritière de l’esprit Hara Kiri et dont l’un des principes de mettre au pouvoir des gens complètement dingos, je l’ai appelé à la rescousse et lui ai proposé le projet. On a toujours eu envie de faire quelque chose ensemble.
Pourquoi Coluche, précisément ?
Un jour, je me suis juste demandé ce qu’il se serait produit s’il avait été jusqu’au bout en 1981 et qu’il avait gagné les élections... mais pourquoi ? Pfff... La question m’est peut-être venue en raison du contexte international ? En Ukraine, par exemple, un comique a pris le pouvoir et en Italie le mouvement lancé par Beppe Grillo a fini par entrer au gouvernement... On a beaucoup écrit, glosé sur l’aventure électorale de Coluche mais moi, jusque-là, je n’y avais pas réfléchi. Sa candidature avait été une telle blague !… Jusqu’au moment où ça a mal tourné : les sondages étaient élevés, ça devenait sérieux, les menaces affluaient... On était dans le dur alors il a arrêté. Rétrospectivement, on peut se dire que ça aurait pu arriver, Coluche président,. Marcher, je ne sais pas, mais arriver...
C’est poilant mais aussi très pertinent. Vous ne manquez pas d’aborder par exemple le populisme...
Dans ses appels à « tous les damnés de la terre », on pourrait trouver un écho de techniques opportunistes employées par les populistes. Mais à titre personnel, je suis convaincu qu’il ne serait pas allé là-dedans : il avait dynamité tellement de choses, y compris l’image que les gens se faisaient de lui, qu’il aurait esquivé l’écueil.
Derrière le délire de sa présidence, vous montrez que c’est du boulot !
Au début on pensait qu’on allait faire quelque chose de très déconnant, que tout partirait en vrac tout le temps. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe au début avec son décret d’apéro général ! Mais peu à peu s’est posée la question de la responsabilité : quand on a un pouvoir, quel qu’il soit, vient un moment où il faut savoir ce qu’on en fait ! C’est aussi une façon de mettre en perspective la carrière de Coluche qui était comique, mais une dimension populaire comme la sienne, exceptionnelle, l’a forcément conduit à s’interroger sur le pouvoir qu’elle conférait. Il y a eu cette campagne, qu’il a finalement mal vécue, et plus tard, les Restos du cœur, qui sera sa vraie réaction politique.
Chaque chapitre aborde un sujet “sérieux” : la relance, l’utopie, la politique, la religion, etc. On sent que vous avez fait tous les deux des études supérieures !
Il faudrait voir ça avec mon frère, ça ! À partir du moment où il a repris en main le scénario, on n’en a plus discuté. Je lui ai juste demandé que Coluche ne passe pas tout son temps à picoler ! Je ne voulais pas faire quelque chose de négatif vis-à-vis de lui, c’est une personnalité importante de notre paysage culturel et je l’aime beaucoup. Pour le reste, ce sont les thèmes qu’il a voulu aborder. On ne voulait pas que ce soit trop enfermé dans le passé, coincé dans les enjeux du début des années 1980. Il fallait que ça résonne avec aujourd’hui. Malheureusement ou heureusement il y a des permanences dans notre société... comme les pressions sur la liberté d’expression et de conscience, l’humour, etc.
Pour le dessinateur que vous êtes, cet album a été un plaisir particulier ?
Cela n’a pas été facile à dessiner de faire le palais de l’Elysée : quand je voyais tous les détails qu’il y avait à respecter, les moulures, j’en avais des malaises. J’ai essayé de mettre en scène le contraste entre toute cette raideur, propre aussi à l’institution, et le personnage de Coluche, tout en rondeur et en souplesse. Après je me régale toujours à faire des tronches dépitées. C’est le conseiller du président que j’ai eu le plus de plaisir à faire : à chaque fois il essaie de remonter la pente, redresser la situation, et chaque fois il finit desespéré...
Il rappelle le prof de votre série “Une année au lycée” !
C’est vrai. C’est un peu la même chose, il essaie de garantir une espèce d’ordre mais bienveillant il veut bien faire, le conseiller, comme le prof. Mais il incarne l’ancien monde, et Coluche veut aller ailleurs, alors il souffre ! C’était important qu’il soit là, comme partenaire de comédie.
C'est l'histoire d'un mec... y rentre à l'Elysée...
Hilarant ! Il va vous falloir patienter jusqu’au 3 juin pour découvrir "Coluche président !" (éditions Fluide Glacial) mais vous serez récompensés : c’est un petit chef-d’œuvre comique ! Les frères Erre, Fabrice pour le coup de crayon virtuose (les bédés "Une année au lycée", "Walter Appleduck", "Z comme Don Diego") et Jean-Marcel pour la plume trempé dans l’acide et l’absurde (les romans "Série Z", "La Fin du monde a du retard", "Le Grand n’importe quoi"), se sont donc amusés à imaginer la première année du mandat de Coluche. Décret d’apéro général, programme de l’inaction, concertation avec les leaders politiques, dialogue avec les représentants des cultes... chaque acte du président en salopette est l’occasion d’une fable désopilante, bourrée de clins d’œil (et parfois tout court) qui fait du bien au moral, et à la morale. Ça vous épatera !