En attendant le dégel : la vie, un livestream tranquille
Jusqu’à la réouverture des salles de cinéma, de spectacles et d’expositions, «Libé» vous propose une sélection consommable à demeure.
by Gilles Renault , Clémentine Mercier , Julien Gester , Marie Klock , Lelo Jimmy Batista1- Avec les cow-boys d’un nouveau western
Compton. South Central. Los Angeles. Les gangs. Les meurtres. Les hélicoptères de police. Et les chevaux. Une poignée à peine, mais impossible de les rater. Parqués dans une étable de fortune et montés par des cow-boys pas vraiment ordinaires non plus, ex-gangsters qui ont redécouvert le sens de la vie et de la liberté avec un Stetson et des éperons aux pieds. Le simple fait de les voir raconter leur mode de vie, leurs déboires passés, s’entraîner au lasso, ou galoper le long des voies rapides entre les Hummer klaxonnants, aurait presque suffi à faire ce documentaire, tant le sujet est original et passionnant. Mais la charpente est consolidée par des arcs narratifs soigneusement élaborés (un cow-boy doit choisir entre sa famille et son cheval aimant-à-minettes, l’étable prend feu, déclenchant la traque d’un propriétaire fantôme) même s’ils s’aventurent parfois aux limites du cliché (dont la bande-son qui en fait des caisses). Pas suffisamment toutefois pour gâcher le film, parfait antidote à Tiger King, où les animaux sont radieux, où l’optimisme est de tous les plans et où tout est dit en à peine plus d’une heure.
Fire on the Hill de Brett Fallentine sur Prime Video.
2- Avec les poules
Les portes s’ouvrent à nouveau, les orteils se hasardent par l’embrasure, certains même vont jusqu’à faire trempette parmi les canetons fraîchement éclos, un semblant de début de détente se fait sentir, et même l’ukulélé, soudain, ne nous paraît plus si horripilant que ça, finalement - à plus forte raison quand c’est Neil Young qui le dégaine, comme dans son dernier livestream mis en ligne il y a deux jours sur son site. Une vidéo profondément ravissante qui s’ouvre non pas sur un mais DEUX lamas et un poney en plein farniente sous les conifères. Un museau vient renifler la caméra, moment parfait pour effectuer un fondu-enchaîné sur le vieux Neil et sa petite gratte, qui chante Tumbleweed, planté en casquette et chemise à carreaux dans un enclos où s’ébrouent des colverts sous le soleil couchant. Le reste de ce récital enchanteur se déroulera sur une petite scène improvisée devant un parterre de poules et de coqs, pour qui le barde folk interprète Homegrown, Harvest, Old Man et Everybody Knows This Is Nowhere, allant même jusqu’à gratifier son public reconnaissant d’une coda caquetée. Pendant vingt-huit minutes, nous sommes au paradis, et les poules aussi.
Sur le site Neil Young Archives.
3- Avec véhémence
Mardi 19 mai, un spectacle était présenté dans un théâtre. Mais sans public. Ainsi naquit l’initiative maso de l’humoriste Christophe Alévêque, proposant le très seul-en-scène le Trou noir, devant la marée de fauteuils rouges inoccupés de la salle Renaud-Barrault du Rond-Point (la plus grande des trois que compte le lieu, avec quelque 750 places). L’occasion pour l’histrion de piétiner deux mois de crise pandémique, sur fond d’exaspération alimentée par les approximations, volte-face et autres contradictions d’un aréopage de «sachants» (politiques, scientifiques, médias), plus ou moins mis dans le même sac avec un manque de nuance tel que l’effet comique supposé se dilue vite dans la diatribe forcenée. Plus troublant, sinon touchant, ces instants fugaces où Alévêque baisse la garde en contemplant le vide. Jusqu’à se surprendre, comme mû par tel réflexe pavlovien, en train d’interpeller un auditoire qui, jusqu’à nouvel ordre, n’existe plus que dans ses rêves d’harangueur sevré d’esclaffements.
Le Trou noir de Christophe Alévêque en accès libre sur YouTube.
4- Avec Michel, Brigitte, Jean-Luc...
En guise d’hommage à Michel Piccoli, la Cinémathèque française rend disponibles deux courts et beaux films rares sur sa plateforme Henri, «salle virtuelle» où elle exhume chaque jour, en accès libre, des trésors de ses collections. Deux films réalisés par Jacques Rozier sur le tournage italien du Mépris en mai 1963, manières de making-of grand luxe du chef-d’œuvre de Jean-Luc Godard. Le plus long plante le décor (la baie de Naples, le soleil de Capri, la villa Malaparte) par la voix de Piccoli, avant de dériver du tournage vers sa périphérie pour se fixer sur le ballet de ces étranges oiseaux du cru qui assaillent l’icône Bardot : les «paparazzi» - inventé par Fellini, le terme n’avait alors pas encore passé les Alpes et donne son titre au fringant petit film. Le second, le Parti des choses, arpente les coulisses du Mépris et «les raisons mystérieuses du cinéma» pour dépeindre comment ses splendeurs Technicolor s’inventent au jour le jour autour de ses acteurs, plus particulièrement de la relation entre le cinéaste et son actrice («Brigitte Bardot n’est pas devenue Camille, mais Camille est devenue Brigitte Bardot»), aiguillé par cette intuition de Rozier, amplement vérifiée depuis : «Si le phénomène Bardot doit représenter plus tard quelque chose dans le cinéma au même titre que Garbo ou Dietrich, c’est peut-être dans le Mépris qu’on le trouvera.» Et c’est aussi là que se donne à voir la bascule dans un demi-siècle d’intouchable âge d’or de la trajectoire du plus grand acteur que l’on ait connu.
Paparazzi et le Parti des choses de Jacques Rozier visibles sur le site de la Cinémathèque française : www.cinematheque.fr/henri/
5- Avec des tas de projets
Pendant le confinement, des artistes, designers et jeunes talents ont ouvert leurs portes à News From Somewhere, le live du compte Instagram de la revue DECOR. Créés par l’école des Arts-Déco de Paris et la Fondation d’entreprise Ricard, ces livestreams gracieusement lo-fi sont pilotés par Eric Loret (ancienne plume de Libération) et par les élèves. Dans de courts formats adaptés au smartphone, le micro a été tendu à Hugo Deverchère, en résidence à Madrid, qui collecte des pierres et parle de son projet d’archipel imaginaire (l’île des 7 cités), au graphiste Jocelyn Cottencin à Paris, à Sun Cunming, plasticien à Changsha (Chine) qui dévoile sa caméra Super-8 et une boîte rose où se cache une drôle de plaque de marbre mi-iPhone, mi-chocolat blanc, ou à Nine Antico, auteure de BD à Marseille, qui s’est lancée dans la réalisation d’un film autobiographique.
@revuedecor sur Instagram