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Sur une plage d’Accra, en juin 2017. RUTH MCDOWALL/AFP

Au Ghana, la pandémie de coronavirus a mis à l’arrêt le prometteur secteur du tourisme

Les frontières et les hôtels du pays sont fermés depuis fin mars. Le syndicat représentant les groupes hôteliers du pays estime que l’année « est fichue ».

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Le portrait d’Elizabeth II trône dès l’entrée du Labadi Beach Hotel. L’établissement, bordé par l’océan Atlantique, y a accueilli la reine en 1999 lors de sa visite d’Etat au Ghana. Depuis sa construction en 1991, de nombreux dignitaires étrangers se sont arrêtés dans cet hôtel d’Accra, premier du pays à obtenir le statut de 5 étoiles. Dans un couloir s’alignent les photos de François Fillon, alors premier ministre, ou bien encore de la reine du Danemark, qui y ont séjourné. Le chef de l’Etat du Ghana, Nana Akufo-Addo, a ses habitudes au restaurant. Certains concerts, donnés dans les jardins de l’établissement, peuvent rassembler plusieurs milliers de personnes.

« Mais tout s’est arrêté le 22 mars à 9 heures », soupire René Vincent-Ernst, le manager général de l’hôtel, le regard posé sur une réception et un bar désespérément vides. Depuis cette date, le président du pays a ordonné la fermeture des frontières, des écoles et des hôtels, pour tenter de contenir l’épidémie de coronavirus. « En trois semaines, nous avons eu une avalanche d’annulations pour un montant de 15 millions de cédis [2,5 millions d’euros] », poursuit René Vincent-Ernst.

Dans l’immense réception, seuls les ventilateurs et la climatisation, qui sont encore allumés, donnent un semblant de vie. A l’extérieur, les transats installés devant les immenses piscines restent inoccupés. « L’année 2020 sera dévastatrice pour le secteur touristique », avance de son côté Edward Ackah-Nyamike Junior, le président de la Ghana Hotels Association, syndicat représentant les groupes hôteliers du pays, pour qui « cette année est fichue ».

L’industrie touristique, qui emploie directement et indirectement quelque 600 000 personnes et représente 6 % du PIB, avait connu une année 2019 record marquée par « l’année du retour ». L’opération, lancée par le président ghanéen, avait pour but de commémorer l’arrivée des premiers esclaves africains aux Etats-Unis en août 1619 et d’inciter les touristes afro-américains et de la diaspora à visiter le pays pour y faire du tourisme mémoriel, voire à s’y installer. De nombreuses stars ont fait le déplacement en 2019, d’Idriss Elba à Naomi Campbell en passant par Beyoncé et Jay Z. Selon les données du ministère ghanéen du tourisme, l’opération a permis de faire venir quelque 200 000 touristes supplémentaires. « L’année dernière fut une période record avec un taux de remplissage des hôtels de près de 70 % », avance Edward Ackah-Nyamike Junior.

Signaux contradictoires

Portées par ce succès, les autorités ont lancé Beyond the return (« au-delà du retour »), un plan sur dix ans pour faire du Ghana une destination touristique de marque. Les premiers résultats étaient encourageants. « Nous avons eu de très bons débuts cette année, avant que l’épidémie n’arrête tout », souligne René Vincent-Ernst. Depuis deux mois, le Labadi Beach Hotel a réduit de 50 % la paie de ses 200 salariés.

D’autres se sont retrouvés sans aucun moyen de subsistance. Koebena Condua est guide au Elmina Castle, l’un des principaux forts où les esclaves ont été acheminés au Ghana avant d’être déportés aux Etats-Unis et dans les Caraïbes. En 2019, quelque 15 000 personnes l’ont visité, un atout pour la région, située à quelque 150 km à l’ouest d’Accra et qui vit essentiellement de la pêche et de l’agriculture. Depuis la fermeture du fort en mars, Koebena Condua n’a plus aucun revenu. « Je reste à la maison car je n’ai rien d’autre à faire. Le pire, c’est que nous ne sommes encore qu’au cœur de la tempête et nous n’en voyons pas le bout », souligne-t-il. Le pays comptabilise, lundi 25 mai, 6 808 de cas de contamination et seulement 32 décès.

« Tant qu’un vaccin n’aura pas été trouvé, nous n’avons aucune visibilité », poursuit Edward Ackah-Nyamike Junior. D’autant que les instances nationales envoient des signaux contradictoires. Le 11 mai, la Ghana Tourism Authority publiait un communiqué indiquant que les hôtels, en respectant un protocole sanitaire extrêmement stricte, pouvaient rouvrir leurs portes. Un communiqué contredit le même jour par le ministère du tourisme.

Les professionnels du secteur attendent du gouvernement un plan de soutien massif pour faire face à la crise. Les autorités ont mobilisé 600 millions de cédis (100 millions d’euros), pour venir en aide aux petites et moyennes entreprises du secteur. « Le plan est largement insuffisant pour répondre à la situation », juge Edward Ackah-Nyamike Junior. De son côté, René Vincent-Ernst préfère voir « le verre à moitié plein car le plus dur est derrière nous ». Certains clients ont pour l’instant maintenu leurs réservations pour la fin de l’année, en attendant de voir comment la situation évolue. Depuis la fermeture du Labadi Beach Hotel, le manager gère la formation des équipes aux nouvelles règles sanitaires qui vont s’appliquer dès la réouverture des établissements. « Cette crise nous impose de nous adapter et de prendre des mesures d’hygiène pour rassurer la clientèle », prévient-il.