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De longues heures d'attente pour obtenir un sac de nourriture, une image devenue habituelle à Genève. JPDS

Quinze millions pour resserrer les mailles du filet

Le Conseil d’Etat genevois entend aider les travailleurs qui ont perdu leur revenu en lien avec le Covid-19 et qui n’ont eu droit à aucune aide fédérale ni cantonale.

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Depuis des semaines, les associations et syndicats demandaient que le canton de Genève débloque une aide financière pour les travailleurs qui, privés de revenus en lien avec l’épidémie de Covid-19, ne bénéficiaient d’aucune aide fédérale et cantonale. A commencer par les employées domestiques, avec ou sans papiers, nombreuses à faire la queue aux Vernets chaque samedi pour obtenir un cabas de vivres (lire ci-dessous).

Thierry Apothéloz, conseiller d’Etat en charge du Département de la cohésion sociale, avait annoncé début mai dans Le Courrier qu’une solution se dessinait. C’est désormais chose faite, ou presque, la commission des finances devra se prononcer demain sur le projet de loi du Conseil d’Etat.

Elaboré en concertation avec la CGAS (Communauté genevoise d’action syndicale), l’UAPG (Union associations patronales genevoises) et les associations, celui-ci prévoit un fonds d’urgence doté de 15 millions de francs pour venir en aide à ceux qui sont passés entre les mailles du filet. «Nous avons tous été très choqués et émus par les files d’attente le samedi», a reconnu Thierry Apothéloz, à l’occasion d’un point de presse du Conseil d’Etat, ce lundi.

Salaire médian de 2500 francs

Entre 1500 et 3000 personnes pourraient bénéficier de cette prestation. Il s’agit de salariés qui n’ont pas droit aux indemnités fédérales ou cantonales – intermittents du spectacle, travailleurs sur appel, personnes actives dans le transport de personnes ou de repas, employés de l’économie domestique, travailleuses du sexe, étudiants pratiquant de petits jobs ponctuels, personnes sans titre de séjour – ou qui n’ont pas suffisamment cotisé pour avoir droit au chômage. Leur salaire médian est estimé à 2500 francs mensuels. L’indemnité est, elle, plafonnée à 5880 francs, sur le modèle des allocations perte de gain.

Pour en bénéficier, les personnes doivent habiter le canton depuis au moins une année et avoir exercé une activité lucrative dans les trois mois précédant la mi-mars. L’indemnité sera unique et compensera 80% de la perte de revenu sur deux mois, soit entre le 17 mars et le 16 mai. Elle devra être «délivrée rapidement». «Nous visons des personnes qui se tenaient à l’écart des prestations sociales, malgré des difficultés à vivre. Il s’agit d’une loi d’urgence et non d’une refonte de l’aide sociale, qui fait l’objet d’un autre projet de loi. Nous voulons faire en sorte que ceux qui ont perdu leur revenu puissent en avoir un pour vivre dans la plus grande dignité possible», a encore précisé le magistrat.

«Nous visons des personnes qui se tenaient à l’écart des prestations sociales» Thierry Apothéloz

Les dossiers devront être le plus complets possible. Thierry Apothéloz reconnait que la perte de revenu peut être difficile à prouver. «Le revenu annoncé devra être plausible, un employé de maison qui gagnerait 12 000 francs par mois, cela ne jouerait pas.» Des contrôles auront lieu, a averti son collègue Mauro Poggia.

Les travailleurs répondant aux critères auront jusqu’au 30 juin pour établir leur demande, avec l’aide des syndicats et associations. Ces derniers seront-ils rémunérés pour cette tâche ou s’agira-t-il de travail bénévole? «Le projet de loi prévoit que nous puissions indemniser les mandataires», répond M. Apothéloz.

Les frontaliers exclus

Par ailleurs, le professeur Jean-Michel Bonvin, de l’université de Genève, a été mandaté pour étudier la situation des personnes les plus précaires et donner des pistes pour les aider. Enfin, une campagne de communication est prévue concernant les droits et devoirs des employeurs. «Ils n’ont pas le droit de licencier du jour au lendemain une personne qui fait du ménage ou s’occupe des enfants», rappelle encore le conseiller d’Etat.

«Le projet de loi était attendu et va dans le bon sens», a salué, dans un communiqué de presse, la Plateforme pour une sortie de crise sans exclusion, réunissant les syndicats genevois et des associations caritatives, sociales et culturelles. Ceux-ci rappellent que nombre de salariés se retrouvent exclus de toute couverture d’assurances sociales en raison des «formes atypiques d’emploi qui se développent à une vitesse exponentielle depuis quelques années». S’ils se réjouissent que le dispositif soit ouvert aux travailleurs sans statut légal, ils demandent au Grand Conseil de corriger certains aspects, notamment l’exclusion des travailleurs frontaliers de l’aide d’urgence ou le plafonnement à 80% du salaire.


Des Vernets aux grandes communes

La Ville de Genève a annoncé, la semaine dernière, que des discussions étaient en cours entre les associations, les principales communes du canton et le Département de la cohésion sociale pour envisager la suite des distributions de sacs de nourriture qui, depuis un mois, se déroulent chaque samedi aux Vernets.

Celles du samedi 30 mai et du 6 juin auront lieu dans le centre sportif. Les suivantes, en revanche, devraient être décentralisées dans les communes. «Le dispositif aux Vernets a atteint ses limites», a indiqué Thierry Apothéloz, magistrat en charge de la Cohésion sociale, hier à l’occasion du point de presse du Conseil d’Etat. «Après l’urgence, et en vue de reprendre un rythme ordinaire, les discussions avec 5 à 7 communes partenaires vont bon train. Il y a des éléments pratiques à organiser, notamment avec Partage, notre banque alimentaire cantonale.»

En effet, Partage n’a plus reçu d’invendus pendant deux mois. «Nous avons pallié ce manque par la distribution de bons d’achats. Les invendus reprennent, mais le manque est important, d’autant que la grande journée de récolte de denrées dans les magasins prévue en juin n’aura pas lieu», a encore signalé M. Apothéloz.

Par ricochet, Inspiracion Colombia connaît également des difficultés et a lancé un appel aux dons. Cette association culturelle livre à domicile des biens de première nécessité et des bons aux personnes sans statut légal qui ne peuvent se déplacer aux Vernets pour des raisons de santé, par peur ou par honte de la situation. La semaine dernière, elle a livré 670 cabas grâce à Partage. «Malheureusement, Partage vient d’annoncer qu’elle ne pourrait plus nous soutenir par manque de moyens, fait savoir l’association. La demande est énorme, on sent que les gens sont désespérés.» CPR