#JamaisSansElles : la mixité ne doit pas reculer
TRIBUNE. La crise sanitaire fragilise les avancées récentes pour promouvoir l'égale participation et visibilité des femmes dans les entreprises. Certaines s'engagent.
by Tatiana F-Salomon*Signe d'une évolution profonde de notre société et du monde du travail, de plus en plus d'entreprises adoptent des chartes innovantes développées en partenariat avec le mouvement #JamaisSansElles, qui propose depuis 2016 des actions concrètes et immédiates pour promouvoir l'égale participation et visibilité des femmes dans les instances de décision ainsi qu'aux postes de responsabilité et de représentation. Alors que la pandémie de Covid-19 fragilise les avancées récentes constatées dans ce domaine, ces entreprises réaffirment aujourd'hui leur engagement dans le contexte de la crise sanitaire.
« Il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse, pour que les droits des femmes soient remis en question. » À cette mise en garde de Simone de Beauvoir, sans doute faudrait-il ajouter aujourd'hui : il suffira d'une crise sanitaire…
Bonds en arrière
Car si l'on peut estimer faible, dans l'immédiat, le risque que les droits proprement dits reculent, la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 a en revanche montré que le lent mouvement vers la mixité effective des instances décisionnelles et organisationnelles, des cercles de réflexion et des diverses formes d'intervention médiatiques, publiques ou privées, pouvait faire des bonds en arrière vertigineux !
Il n'aura fallu que quelques semaines pour que dans de nombreux médias, plateaux télé, couvertures de presse, conférences en ligne, les femmes redeviennent aussi invisibles que ce virus qui nous tient ces jours-ci à distance les uns des autres – comme s'il fallait, elles aussi, les tenir à l'écart ! Faudra-t-il se résoudre à ce que les hommes restent officiellement les porte-parole privilégiés, les experts, les chefs de guerre, les prescripteurs ?
Les femmes en première ligne
Pourtant, chacun l'a noté, les femmes sont largement majoritaires dans les métiers les plus directement concernés par la pandémie – cette fameuse « première ligne », où les premiers seront les derniers à prendre la parole –, ainsi que dans de nombreuses activités moins reconnues et souvent non rémunérées, sans lesquelles pourtant notre société ne fonctionnerait tout simplement plus. C'est pourquoi il est important, plus que jamais, d'œuvrer main dans la main, femmes et hommes, pour consolider les avancées, et empêcher que le « naturel » d'un autre temps ne revienne au galop submerger le présent, à la faveur d'incertitudes économiques dont nous savons déjà qu'elles accroîtront les inégalités, exacerberont les rapports de domination entre les êtres humains, et alimenteront cette idéologie délétère du soi d'abord et du « chacun pour moi ».
Néanmoins, dans ces temps troublés, il est important de célébrer aussi les bonnes nouvelles. Sur le front de la mixité, les reculs mentionnés nous ont aussi permis de mesurer la force de la mobilisation citoyenne, et l'engagement sincère de nombreuses entreprises qui seront la clé de la transformation active de la société. Alors que les difficultés se sont déjà accumulées pour les femmes pendant la période de confinement, avec une augmentation inégalement répartie de la charge mentale liée à la nécessité de s'occuper d'un foyer, dans un contexte de violence, hélas, parfois accrue, de faire l'école à la maison, tout en poursuivant une activité professionnelle, la période de transition risque de voir s'opérer de nombreux choix en conséquence desquels les femmes resteront en télétravail ou en temps partiel, tandis que les hommes reprendront plus souvent le chemin de leur lieu de travail habituel.
Dans certains contextes, y compris de reprise partielle de l'école, ou du fait des écarts de salaire injustifiés déjà à déplorer, la tentation sera grande, souvent inconsciemment, de maintenir préférentiellement les femmes au foyer, avec des conséquences importantes en termes de visibilité, de reconnaissance et de progression professionnelles.
L'enjeu du télétravail
Consciente de ces difficultés et de la nécessité de maintenir une vigilance accrue pour assurer une juste reconnaissance et une participation égale des femmes dans tous les secteurs de la société, la communauté #JamaisSansElles fait bloc, sur les réseaux sociaux ainsi qu'au sein des entreprises, pour d'une part continuer à refuser et à dénoncer l'invisibilisation de la moitié de l'humanité, et d'autre part réaffirmer ses engagements et les adapter en les renforçant encore dans la période de crise et de distanciation que nous traversons.
C'est ainsi, notamment, que les chartes co-élaborées avec #JamaisSansElles par des entreprises cumulant conjointement plus de 200 000 collaborateurs, dont Microsoft France, Dentsu Aegis Network France, SAP France, BNP Paribas ou les Collectionneurs, prochainement rejointes par Sanofi France et EDF, viennent d'être actualisées pour intégrer les situations nouvelles induites par l'élargissement du télétravail et la généralisation des événements, réunions et interventions médiatiques à distance.
L'enjeu est de taille, compte tenu des circonstances et des difficultés inévitables à venir. Il n'est plus question de se résigner aux ravages de l'exclusion, quelle qu'elle soit. Et si la pandémie de Covid-19 a eu au moins un mérite, ce sera de rappeler à chacun la réalité de l'interdépendance humaine. Nous ne pouvons persister dans le déni des liens qui nous unissent, et ignorer la richesse d'une diversité indispensable à l'équilibre de nos sociétés. Nous ne pouvons éluder la question de la gouvernance, et minimiser l'importance d'un partage équitable des responsabilités et de la visibilité. Car rappelons-le, notre féminisme est un humanisme, et la crise actuelle révèle et accentue les travers de notre organisation sociale bien au-delà des inégalités femmes/hommes.
Conscients de cette interdépendance qui fait de nous profondément ce que nous sommes, nous invitons toute la communauté qui accompagne déjà ou se reconnaît dans les valeurs de #JamaisSansElles à redoubler d'efforts afin que cet élan commun en faveur de la mixité, de l'égalité et de la gouvernance partagée poursuive son chemin ascensionnel vers un monde plus humain, plus équitable, plus juste et plus respectueux des droits et des libertés ! Plus reconnaissant, enfin, de la valeur de tous et toutes. Un monde de coopération, où chacun se sentira responsable de tous, y compris de la Terre, notre maison commune.
Restons donc tous collectivement et individuellement vigilants, et agissons ensemble. Tous ensemble. Nous y arriverons !
* Tatiana F-Salomon est présidente du mouvement #JamaisSansElles.
À propos de #JamaisSansElles
Fondée par des hommes et des femmes entrepreneurs et personnalités du numérique réunis autour de Tatiana F-Salomon, Natacha Quester-Séméon, Laurence Parisot, Guy Mamou-Mani et Xavier Alberti, l'association promeut la mixité dans tous les secteurs de la société.
#JamaisSansElles propose des actions concrètes pour promouvoir l'égale participation et visibilité des femmes dans les instances de décision et aux postes de responsabilité et de représentation. L'association développe des chartes en partenariat avec des entreprises et acteurs de la gouvernance, et s'investit dans le champ de l'éducation pour lutter contre les stéréotypes de genre, avec le soutien du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.
320 leaders hommes et femmes sont engagés à titre individuel avec #JamaisSansElles : dirigeants, politiques, ministres de plusieurs pays (France, Allemagne, Danemark), ministère français des Affaires étrangères, ambassadeurs et députés français, ONG et grandes entreprises. Les signataires masculins s'engagent à ne jamais participer à des événements non mixtes.
#JamaisSansElles est chef de la délégation française du Women 20, groupe d'engagement du G20.