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Plusieurs responsables politiques veulent ressusciter le vote par correspondance à l’occasion du second tour des municipales prévu le 28 juin.
© Sipa Press

Le vote par correspondance ne passe pas comme une lettre à la poste

Pour épargner aux électeurs un déplacement dans l’isoloir le 28 juin, des responsables politiques demandent au gouvernement de rétablir le vote par correspondance en vigueur jusqu’en 1975. Une fausse bonne idée

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Le gouvernement a décidé que le second tour des élections municipales se tiendra le 28 juin. Le contexte de crise sanitaire fait craindre une participation aussi faible que lors du premier tour, le 15 mars.

Si les Français ne vont pas voter, pourquoi le vote ne viendrait-il pas à eux ? Dans une tribune publiée par Le Journal du dimanche, le maire de Nancy, Laurent Hénart suggère de rétablir le vote par correspondance, supprimé en 1975. Rachida Dati et François Bayrou proposent également aux Français de profiter de la douceur de leur foyer pour désigner leur maire le 28 juin prochain.

Dans un entretien au Parisien, Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, a balayé l’idée : si le vote postal a été remplacé par les procurations en 1975, c’est que les fraudes étaient trop nombreuses. C’est déjà ce que disait, le gouvernement de Jacques Chirac à l’époque.

De quelles fraudes l’exécutif parlait-il alors ? Les archives du Conseil constitutionnel recensent trente décisions concernant des demandes d’annulation de scrutin pour des irrégularités dans l’envoi et le décompte des votes par correspondance. Avant 1975, une seule a abouti. C’était en 1967 à l’occasion d’une élection législative dans les Côtes-du-Nord, aujourd’hui Côtes-d’Armor. Dans plusieurs communes, les électeurs autorisés à voter par correspondance n’avaient pas été définis en amont. Ainsi, « 58 épouses d’agents du haras, dont l’éloignement n’était justifié que par des motifs d’ordre personnel » n’auraient pas dû profiter de cette facilité.

Facteurs communistes. A l’inverse, en 1959, le Conseil constitutionnel avait rejeté la demande d’annulation du « sieur Alloin » dans une législative du Rhône alors que le requérant soutenait « qu’au bureau de vote de la grande-rue de la Guillotière » la disparition des enveloppes contenant les bulletins de vote par correspondance permettait « tous les trafics ».

Les cas de fraudes avérées sont donc extrêmement rares. Les soupçons se multiplient en revanche lors des législatives de 1973, deux ans avant l’interdiction du vote postal. Le Conseil constitutionnel est saisi à cinq reprises cette année-là pour autant de rejets. Les communistes forment alors la première force de gauche et une rumeur passe de zinc en zinc. Noyautés par le PCF, les PTT, ancêtre de La Poste, subtiliseraient les bulletins de vote.

Aujourd’hui, les communistes ont perdu de leur influence, y compris dans les bureaux de poste, mais le vote par correspondance reste banni, sauf dans le cas des élections législatives pour les Français de l’étranger.

Le système coûte trop cher, il pose des difficultés d’application et il comporte trop de risques d’annulation pour un résultat sur la participation trop modeste

A deux reprises, en 2018 et 2019, le député MoDem Frédéric Petit a tenté de le rétablir dans une question écrite adressée au gouvernement. A chaque fois, le ministère des Affaires européennes a déroulé une longue liste d’arguments. Le système coûte trop cher, il pose des difficultés d’application et il comporte trop de risques d’annulation pour un résultat sur la participation trop modeste. Quelques mois auparavant, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs annulé l’élection législative dans la 5e circonscription des Français de l’étranger pour un défaut d’acheminement du matériel de vote. Dix ans plus tôt, une proposition de loi déposée au Sénat poursuivait le même objectif. Elle n’a jamais été examinée.

« Pensée magique ». A la faveur de la crise du Covid-19, la bonne vieille lettre postale revient à la mode. En Pologne, le parti au pouvoir a tout fait pour maintenir l’élection présidentielle prévue début mai en promettant que le scrutin ne se tiendrait que dans les boîtes aux lettres. En avril, les électeurs du Wisconsin auraient dû départager Joe Biden et Bernie Sanders dans la primaire démocrate par un vote postal. Les républicains, qui tiennent cet Etat américain, s’y sont opposés, Donald Trump qualifiant même ce mode de scrutin « d’horrible » car il permet « des fraudes dans de nombreux cas ».

Le bureau de vote a encore de longs jours devant lui, quand bien même Emmanuel Macron souhaite généraliser le vote électronique pour les élections qui concernent les Français établis à l’étranger. Une mauvaise idée pour la docteur en informatique et professeure à l’université de Nantes, Chantal Enguehard, auteur d’une étude comparée des votes électronique et postal : « Il existe une pensée magique, qui consiste à dire qu’avec l’ordinateur, tout est simple. En réalité, la technique ne résout pas les problèmes, elle les dissimule. Une fraude massive de votes par correspondance se voit tant elle mobilise d’intervenants. Au final, le vote électronique, ce n’est pas de la modernité, c’est de la technicité. »