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Le romancier chez lui à Paris, le 20 mai.(Eric Dessons/JDD)

PORTRAIT. Guillaume Musso, le complexe du best-seller

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Guillaume Musso, qui publie mardi La vie est un roman, est depuis dix ans l’écrivain français le plus vendu dans notre pays. Snobé par la critique, cet ancien professeur d’économie s’assume en auteur populaire et confie sa passion pour la littérature.

La romancière anglaise Virginia Woolf est formelle : pour bien écrire, il faut posséder une "chambre à soi", à l’écart des cris d’enfants ou d’un conjoint trop étouffant. Bien sûr, un penthouse inhabité fera aussi parfaitement l’affaire. Depuis son déménagement rive gauche, Guillaume Musso travaille dans son ancien appartement, près du quartier de l’Opéra : un dernier étage à terrasse avec vue sur une forêt de zinc. Quand il me reçoit en cette troisième journée déconfinée, il flotte dans ces lieux une atmosphère engourdie. Musso n’y a pas mis les pieds depuis deux mois. "J’ai passé la plus longue période de ma vie sans écrire", glisse-t-il, apportant deux tasses d’expresso.

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L’atelier de Guillaume Musso conserve quelques vestiges de son ancienne vie domestique : cuisine équipée, table à manger en bois transformée en bureau et décoration soignée, avec au mur une toile carrée du peintre de street art américain JonOne.

L’écrivain le plus lu de France est un inconnu

Il parle d’une voix douce qui s’interrompt parfois au bord du bégaiement, timidité d’adolescent restée coincée dans la bouche. L’écrivain le plus lu de France – et l’auteur francophone le plus lu du monde – est un inconnu : peu d’apparitions à la télévision ou de portraits dans la presse. Il peut aller chercher ses deux enfants à l’école sans être dévisagé. Musso ne mange pas de fruits avariés comme Amélie Nothomb, ne vit pas une histoire d’amour avec son welsh corgi comme Michel Houellebecq. Bref, il n’affiche aucune de ces petites mythologies dont les journalistes raffolent. "Guillaume est un garçon normal et discret dont la passion est d’écrire, alors on va trouver des aspérités en parlant d’argent, c’est un peu injuste", note son ami Philippe Robinet, le patron de Calmann-Lévy.


Guillaume Musso en 5 dates

6 juin 1974 : Naissance à Antibes

2001 : Premier roman publié, Skidamarink (Anne Carrière)

2004 : Premier succès avec Et après... (XO)

2017 : Quitte XO pour rejoindre Calmann-Lévy

26 mai 2020 : Nouveau livre : La vie est un roman (Calmann-Lévy)


La biographie de Guillaume Musso, 45 ans, s’efface toujours derrière un chapelet de chiffres à six zéros. Normal : son succès commercial est écrasant. Des livres traduits en 44 langues vendus à plus de 30 millions d’exemplaires et une place de numéro un des ventes ravie à Marc Levy depuis dix ans. Le "phénomène Musso" a même ce pouvoir : il est immunisé contre les fléaux pandémiques. La version poche de son dernier opus a été en tête des ventes pendant tout le confinement, alors que La vie est un roman, qui sort mardi, bénéficiera d’une mise en place monstre de 400.000 exemplaires.

Fils d’un directeur financier et d’une mère bibliothécaire

L’affaire est entendue depuis Balzac : en chaque écrivain sommeillent un poète et un épicier. Dans le monde de l’édition, Musso a la réputation d’être aussi doué pour tisser ses intrigues à triple tiroir que pour négocier ses droits d’auteur. Il connaît la chaîne du livre dans ses moindres replis, adore parler aux commerciaux et aux libraires et chapeaute lui-même la conception physique de ses romans, de la commande de couverture à un graphiste au choix du papier.

Chez son imprimeur de la Sarthe, on ne s’étonne même plus de le voir assister à l’impression de son dernier bébé. "Guillaume a conscience de l’investissement que représente l’achat d’un livre : il veut proposer un objet en plus d’une belle histoire", dit l’illustrateur Mathieu Persan, qui a signé la couverture de La vie est un roman. Musso, donc, n’est pas exactement un pur esprit et ne compte pas s’en excuser. Il dit pour- tant s’être lancé dans l’écriture pour "échapper à la rationalité de l’économie".

Fils d’un directeur financier devenu secrétaire général de la ville d’Antibes et d’une mère bibliothécaire, il connaît une enfance heureuse ; la famille possède une maison de village à Biot, dans les Alpes-Maritimes. Chez les Musso, on est littéraires mais pas bégueules : lui et ses deux frères lisent aussi bien Flaubert et Proust que Marcel Pagnol et Stephen King. "À 14 ans, j’aimais autant Les Bronzés que Kieslowski, j’ai grandi dans l’idée que la culture était là pour le plaisir", indique le romancier.

Alors que ses deux frangins se lancent dans des études de lettres – discipline dont ils seront tous les deux agrégés –, Guillaume choisit l’économie. "J’avais été fasciné par la lecture du Suicide de Durkheim, de découvrir qu’un tel acte intime puisse s’expliquer pour des raisons sociales", détaille-t-il. Il réussit le concours du Trésor, mais se rabat sur l’enseignement et devient prof d’économie de lycée en Lorraine. C’est en faisant cours qu’il aurait affûté son sens du récit. "J’ai toujours essayé d’enseigner pour tout le monde, assure-t-il. Quand vous expliquez les rudiments des théories de Ricardo sur le commerce international, mieux vaut être clair."

Écrire le démange. Il y a pris goût après avoir gagné un concours de nouvelles au lycée. Ses textes naissent le soir, après les cours et les corrections de copie, "de 20 heures à 3 heures du matin". Skidamarink, son premier roman, est envoyé par la poste à plusieurs éditeurs. L’argument : quatre personnes qui ne se connaissent pas, de nationalités différentes, reçoivent un quart de La Joconde déchiquetée.

Alors qu’il est à Nancy pour ses cours, Musso découvre un message sur son répondeur : Anne Carrière est d’accord pour le publier. Mélange "de surprise et d’évidence" : "Je savais de toute façon que ma vie s’organiserait autour de l’écriture", dit-il aujourd’hui.

Passé près de la mort

Coup d’essai en demi-teinte, Skidamarink, qui paraît en 2001, ne dépasse pas les 2 000 exemplaires. Curieux hasard du destin, c’est à la suite d’un drame évité de justesse que les ventes de Musso décollent. À la même époque, il file de nuit sur l’autoroute qui va de Nice à Montpellier quand surgit un sanglier. Embardée, sa Renault 5 rebondit contre une barrière de sécurité. Musso s’en sort avec quelques contusions. Passer près de la mort lui donne l’idée d’Et après..., roman surnaturel dans la veine de Sixième Sens, qui s’ouvre sur la noyade d’un enfant.


Ses 5 livres les plus vendus*

Et après... : 1.899. 700 exemplaires

Sauve-moi : 1.713.695 exemplaires

Parce que je t’aime : 1.675.428 exemplaires

L’Appel de l’ange : 1.584.781 exemplaires

Central Park : 1.547.195 exemplaires

* Cumul grand format-poche, source GfK.


Cette fois, il l’envoie aux éditions XO. Le manuscrit est réceptionné par une jeune assistante qui deviendra son éditrice historique. "Quatre-vingts pages à la croisée des genres qui donnaient irrésistiblement envie de lire la suite", se souvient Caroline Lépée. Le patron et fondateur de XO est un grand nom du métier. Bernard Fixot, homme de coups, découvreur de Marc Levy, écoule les livres de Christian Jacq, Max Gallo ou encore Nicolas Sarkozy par camions porte-conteneurs.

Fixot convainc le club de livres France Loisirs de proposer Et après... en avant-première. Résultat, 230.000 exemplaires sont vendus avant même la sortie en librairies. Le roman est adapté en film avec Romain Duris et John Malkovich et s’écoulera au total à près de 2 millions d’exemplaires.

Comment fabrique-t-on un best-seller? Musso jure n’appliquer aucune recette et se contenter d’écrire "le livre [qu’il] aurait envie de lire". Ses romans se situent à la croisée des genres : entre thriller, fantastique et comédie sentimentale. Des livres courts à la tonalité joyeuse, riches en rebondissements. "Avant tout le monde et avec plus de talent, Guillaume Musso a inventé la littérature feel good, il a su s’adresser de façon claire à un public large qui va de la caissière de supermarché au PDG qui ne lit que deux livres par an", explique Fixot.

Ses livres sont boudés par les critiques

Dès 2004, chaque parution annuelle voit Guillaume Musso gagner de nouveaux lecteurs. Le sens du marketing de Bernard Fixot n’y est pas pour rien : titres courts flirtant parfois avec le développement personnel (L’Instant présent, Seras-tu là?) et jaquettes tape-à-l’œil. Le Musso annuel prend germe à la fin du printemps. Le romancier écrit d’abord le canevas du livre, la "tuyauterie", comme il l’appelle, résumée sur une vingtaine de pages, rassemble de la documentation.

Puis, lui qui se décrit comme "un laborieux voire un besogneux" écrit "tous les jours de 9 heures à 19 heures". Sa mère relisait ses premiers romans, avant que sa femme et son éditrice ne prennent le relais. Il peut quitter l’enseignement et troquer sa vieille Clio contre une Mini. Mais les millions qui s’accumulent sur son compte ne l’apaisent pas tout à fait. Ses livres sont boudés par les critiques, qui lui reprochent, pas forcément à tort, un recours exagéré aux clichés (chez Musso, le désir est "brûlant", la passion, "ravageuse").

Lui se console en compagnie d’autres figures de la littérature populaire abonnées aux classements des meilleures ventes davantage qu’aux louanges des Inrockuptibles. Ses amis s’appellent Maxime Chattam, Jean-Christophe Grangé, Michel Bussi ou encore Joël Dicker. Avec Bernard Fixot, des premières lézardes apparaissent à la fin des années 2000. L’auteur reproche à son éditeur de lui imposer des titres trop mièvres ou certaines couvertures pas à son goût. Pauvre Guillaume Musso. Quand il le voit "souffrir de ne pas être reconnu par le petit monde de Saint-Germain- des-Prés", son éditeur le rassure : "Des millions de gens vivent avec toi chaque année, c’est sans précédent dans l’histoire de la littérature!"

Guillaume Musso aime la littérature et tient à le faire savoir

Sur la table basse de son salon, à côté d’une biographie d’Aragon par Philippe Forest et des œuvres complètes de Nabokov trône une machine à écrire de collection. "Une Corona offerte par ma femme", précise-t-il. En deux heures d’entretien, je l’ai entendu citer une dizaine d’écrivains, d’Anaïs Nin à Douglas Kennedy. Ses deux derniers livres racontent les coulisses de la création littéraire.

Guillaume Musso aime la littérature et tient à le faire savoir. On murmure que c’est aussi une des raisons qui l’ont conduit à quitter XO pour Calmann-Lévy en 2017. Un éditeur vieux de deux siècles qui édita jadis Flaubert, Anatole France et Les Trois Mousquetaires de Dumas. Comme un pied de nez à "l’entre-soi putride de Saint-Germain-des-Prés" (expression de son dernier livre). Lui met en avant le besoin de « sortir de [sa] zone de confort », citant un de ces mantras self-help que ses lecteurs adorent.

"Le fait générateur est une histoire d’amitié ; certains éditeurs lui ont proposé des sommes importantes qu’il n’a pas acceptées", jure Philippe Robinet, patron de Calmann-Lévy. Robinet a connu Musso chez XO. Quand il a créé sa propre maison, Kero, le romancier en est devenu actionnaire. Chez Calmann-Lévy, Musso a aussi retrouvé Caroline Lépée, son éditrice de toujours. On s’en doute, il a été accueilli dans des conditions princières. Il touche 20 % sur chaque exemplaire au-delà de 500.000 ventes, un pourcentage hors norme : la plupart des auteurs plafonnent autour de 10%.

En arrivant chez Calmann-Lévy, il passe sous la bannière d’Hachette Livre (groupe Lagardère, propriétaire du JDD), un géant mon-dial. Idéal pour conquérir de nouveaux lecteurs. Aux États-Unis, marché dont il était absent, Musso est maintenant publié chez le prestigieux Little, Brown and Company.

Musso laisse derrière lui un éditeur meurtri. "J’ai perdu un ami, quelqu’un que j’ai toujours aidé, soutenu, un auteur inconnu qui a gagné grâce à nous plus de 36 millions d’euros, grince au téléphone Bernard Fixot. Au fond, Guillaume est un garçon très malheureux, qui n’en a jamais assez. Il aurait voulu être publié chez Gallimard et vendre des millions de livres." 

Il est rare d’obtenir à la fois le succès commercial et l’estime des lettrés. Fixot accuse aussi Musso d’inélégance. Lors d’un dernier déjeuner chez Nolita, restaurant italien des Champs-Élysées, il n’aurait pas eu le courage de lui annoncer en face son départ. "Faux!" bondit Musso, regrettant "des chamailleries de couple qui se sépare". Il ajoute : "Quantité d’auteurs changent d’éditeur, c’était le moment de faire bouger les choses. Tout ça est derrière moi." Dans la vie comme dans ses livres, Musso n’a de goût que pour les happy ends.

Musso rêve d’écrire une pièce de théâtre ou une série télé originale

Est-ce la conséquence de son changement d’éditeur? Depuis deux livres, les contempteurs de Musso se font plus discrets. Frédéric Beigbeder peut bien comparer dans Le Figaro Magazine ses romans à de la "barquette de veau génétiquement modifié", Musso est maintenant invité à La Grande Librairie sur France 5, émission la plus prescriptrice pour les livres. "Aujourd’hui, les critiques n’ont pas plus d’impact sur lui qu’une contrariété passagère, assure Caroline Lépée. En revanche, moi, ça m’énerve. Quand je me retrouve dans un dîner avec des gens qui disent des vacheries sur lui, dans la totalité des cas ils ne l’ont jamais lu."

Cet homme apaisé se retrouve aujourd’hui les bras ballants. "Pour la première fois de ma vie, je n’ai aucun projet de livre en cours", dit-il. Pendant le confinement, Guillaume Musso a fait classe à Nathan et Flora, ses deux enfants. "Je leur lisais des histoires, j’essayais de jouer un rôle de réassureur." Son roman La Jeune Fille et la Nuit va bientôt être adapté en série pour France Télévisions ; aux manettes, le producteur Sydney Gallonde, un ami. 

Sinon, il rêve d’écrire une pièce de théâtre - son épouse enseigne l’art dramatique – ou une série télé originale. En attendant, il s’attelle à la promotion de La vie est un roman, locomotive pour un monde de l’édition sinistré par les effets de la crise sanitaire. En exergue du livre, une phrase d’Umberto Eco : "Pour survivre, il faut raconter des histoires."