Lamine Gharbi : "Le privé ne doit pas être le grand oublié du Ségur de la santé"
by Recueilli par Y. POVILLONLe président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) rappelle que le système a tenu durant l'épidémie grâce à la mobilisation de tous les acteurs de la santé et exige que l'hospitalisation privée soit prise en compte dans le Ségur de la santé.
Vous craignez que le Ségur de la Santé ne focalise sur l'hôpital public ?
Le Ségur de la santé ne doit pas être le Ségur de l’hôpital public. N’oublions pas que si notre système de santé a finalement pu faire face à l’épidémie, c’est grâce à la mobilisation de tous, hospitaliers publics et privés ainsi que professionnels de santé de ville. Ne reproduisons pas les erreurs du passé. Notre système de santé souffre de son hospitalo-centrisme, focalisé sur l’hôpital public, et doit s’appuyer sur l’ensemble des acteurs de santé pour répondre aux enjeux de santé publique.
De leur côté, les hôpitaux et cliniques privés représentent 30% de l’activité hospitalière et sur certains territoires, l’activité de soins est réalisée à plus de 50%, voire à 60%, par le privé, comme en Occitanie par exemple. En France, nous accueillons 9 millions de patients par an. Pendant la crise, nous avons répondu présents en prenant charge 25 % des patients en réanimation en Ile-de-France et en jouant un rôle déterminant en Grand Est et dans les Hauts de France. Nous restons pleinement mobilisés sur les effets post covid en soins de suite et réadaptation ou en psychiatrie. Le privé ne mérite donc pas d’être marginalisé ! Un exemple : la prime pour les soignants de l’hôpital public. Il était acté que nos professionnels mobilisés dans la crise du covid-19 seraient gratifiés de la même façon. À ce jour, ce n’est toujours pas le cas et ce n’est pas acceptable.
En quoi est-ce important d'évoquer également l'hospitalisation privée ?
Nous sommes un acteur incontournable avec nos propres difficultés, nos revendications et nos forces. À ce titre, nous allons contribuer largement au débat qui s’ouvre sur l’avenir du système de santé : qualité et pertinence des soins, organisations plus souples… Tirons les leçons de ce qui a fonctionné pendant la crise. Nous avons beaucoup d’idées pour l’avenir. Nous comptons bien être une force majeure de propositions dans ce Ségur de la santé
Que répondez-vous à ceux qui pensent qu'un déséquilibre existe avec le public à l'avantage du privé ?
Aujourd’hui, un tiers des cliniques est en déficit. Il ne faut donc pas croire que la situation économique des établissements privés est florissante. Je rappelle également que contrairement à une idée reçue nous prenons en charge tous les patients, quels qu’ils soient. 25% des patients défavorisés sont accueillis dans nos établissements, et cela dans tous les territoires : périurbains, ruraux ou défavorisés. Dans nos services d’urgence, c’est le tiers-payant intégral : il n’y a rien à payer, ni à avancer. Aucun dépassement d’honoraire n’est demandé. En ce qui concerne les missions de service public, je souhaite que nous puissions exercer plus largement les mêmes que celles qui sont assignées au public. Nous pouvons participer davantage à l’enseignement des paramédicaux, à la formation des internes et des médecins comme à la recherche. Il faut pour cela que les pouvoirs publics nous accordent les autorisations nécessaires, majoritairement délivrées à l’hôpital public. Nous revendiquons les mêmes droits que le public, et sommes prêts naturellement à accepter les mêmes devoirs et les mêmes contraintes .
Quel a été l'investissement du privé dans la crise sanitaire et pensez-vous qu'il a été à la hauteur de l'ampleur de l'épidémie ?
Nos établissements et nos professionnels se sont totalement investis, faisant preuve d’un engagement exceptionnel. Dès le 13 mars, les cliniques ont déprogrammé toutes les opérations non urgentes pour augmenter leurs capacités de réanimation. Plus de 400 000 interventions non urgentes ont été déprogrammées depuis le début de l’épidémie.
Avez-vous été suffisamment sollicité ?
Après des débuts difficiles dans le Grand Est ou nous n’avons pas été assez sollicités et l’appel que j’ai lancé, les coopérations avec le public se sont mises en place de façon très positive sur le reste du territoire, en fonction des besoins. Les Agences régionales de santé ont alors pleinement assumé leur rôle de coordination. Lorsqu’elles exercent une régulation pertinente et impartiale, l’organisation est performante comme cela a été le cas en en Ile-de-France ou en Occitanie, ou l’ARS a su associer avec pragmatisme tous les acteurs hospitaliers. Il faut aujourd’hui renforcer leur rôle dans les territoires.
Les différences de salaires entre public et privé sont souvent fustigées ?
C’est une erreur de croire que les salaires du privé sont supérieurs à ceux du public. Au contraire, la rémunération des infirmiers et infirmières est en moyenne inférieure dans les cliniques. Comme on le sait, certains se détournent effectivement de l’hôpital public pour nous rejoindre mais ils ne le font pas pour une question de salaire. Ce sont des raisons d’organisation et des conditions de travail favorables qui les motivent car la taille moins importante de nos établissements nous permet une plus grande souplesse, notamment dans le management. Tout comme le secteur public, nous avons donc besoin de moyens pour mener une politique sociale ambitieuse.
Trouvez-vous ces critiques fondées ?
Enfin, il faut vraiment cesser d’opposer les secteurs public et privé alors que c’est leur coopération qui a permis de faire face à la crise. Cette coopération doit impérativement perdurer au-delà. C’est une voie d’avenir comme le savent les Français qui sont 77 % à la plébisciter dans le sondage que nous venons de mener avec l’institut ViaVoice.