Mort de Jimmy Cobb, maître des balais du jazz
Accompagnateur de Miles Davis ou Billie Holiday, l'élégant batteur américain est mort dimanche à 91 ans.
by Jacques DenisUn coup de cymbale, juste après la minute trente d’introduction de So What, que l’on n’oubliera pas de sitôt. Un coup de cymbale unique, comme le signal que le temps serait suspendu à tout jamais. C’était en 1959, et Jimmy Cobb entrait dans la légende du jazz pour avoir participé à ce qui allait devenir le classique de toutes les discothèques : A Kind of Blue, chef-d’œuvre du Miles Davis modal et best-seller qui aura traversé les générations. «Miles Davis a mis la lumière sur moi», se souvenait encore et toujours le batteur à l’hiver de sa carrière dans un documentaire revenant sur la fameuse séance (1). Tout le disque porte la trace de ce maître des balais, l’élégance à souhait, sans donner l’impression de suer sous le costard.
Sessions historiques
Débarqué en 1957 en remplacement d’Art Taylor, Jimmy Cobb restera jusqu’au début de l’année 1963 auprès du trompettiste, clé de voûte d’une rythmique superlative, avec Paul Chambers, Bill Evans et puis bientôt Wynton Kelly. Le genre de combo avec lequel le trompettiste était assuré de voyager à la cool. C’est aussi avec Miles qu’il tiendra le cap, tout en retenue, pour les sessions tout aussi historiques avec Gil Evans. En ce début des années 60, le natif de Washington est du genre très demandé. Sur Giant Steps, il fait une pige pour Coltrane, qu’il fréquente depuis les années Prestige. Il est aussi souvent avec Julian «Cannonball» Adderley, l’autre saxophoniste de la séance Kind Of Blue. Il est avec Wayne Shorter pour ses débuts, et puis avec Wes Montgomery, notamment pour Smokin’ at the Half Note, disque de chevet de tout guitariste. A l’époque, il forme avec Wynton Kelly et Paul Chambers le trio classique dans son excellence, du genre à magnifier le leader. Une matrice, comme le confiera Brad Mehldau lorsqu’il jouera, jeune premier, aux côtés de Jimmy Cobb.
Puits de science du swing
C’était tous ceux-là que portaient ce batteur nonagénaire, une mémoire du jazz qui continuait à caresser les fûts en 2019. La fine barbichette taillée avait blanchi, mais sous la casquette, l’homme avait bon pied, au taquet. Et pouvait repartir, avec des «petits» jeunes comme Peter Bernstein, guitariste qui aura été parmi ses fidèles partenaires durant les vingt dernières années, pour son ultime disque sous son nom, This I Dig of You en février 2019. Pas blasé par les années. Et pourtant, l’autodidacte en avait connu d’autres.
Il avait à tout juste 18 ans accompagné Billie Holiday, dirigé Dinah Washington, avec laquelle il convola quelques années, ou plus récemment – voici un demi-siècle tout de même – joué aux côtés de Sarah Vaughan pour le compte de Mainstream Records. Disque après disque, difficile de prendre en défaut ce maître du tempo, puits de science du swing auquel viendront s’abreuver les jeunes générations branchées bop, Roy Hargrove en tête. Pas de doute, l’enfant du ghetto avait contribué à écrire des chapitres de l’histoire des Etats-Unis, la première puissance n’aura pourtant pas su lui rendre l’attention qu’il méritait : début février 2020, sa fille Serena Cobb lançait un appel à l’aide sur le grand réseau pour financer des soins médicaux.
(1) Miles Davis: Birth of the Cool de Stanley Nelson Jr. (2019).