[Benedetti] Éclatement de la majorité, défaite idéologique… le bateau ivre de la Macronie
by Arnaud BenedettiPour survivre, la majorité présidentielle godille sans cap, ballottée entre des aspirations contradictoires. Son groupe parlementaire se disloque entre une aile droite, une aile gauche et un bloc plus central, occultant presque l’existence des oppositions externes au pouvoir, analyse Arnaud Benedetti.
Le déconfinement trace son chemin dans le brouillard. La question n’est pas tant de savoir comment y procéder (la méthode des petits pas prônés par un Premier ministre tout en prudence semble entendue), mais de discerner les issues sur lesquelles il débouchera. Rien de plus incertain que d’entrevoir un début de visibilité dans l’amas des problèmes qui s’amoncellent. Qu’il s’agisse des conséquences économiques, sociales et politiques de la drôle de crise que nous traversons, il est possible de discerner deux lignes fortes qui ne manqueront pas de s’affronter dans l’ère post-covid : la bataille idéologique qui s’engage n’est au demeurant que celle qui ne cesse de sourdre depuis des années entre ceux, partisans d’une restauration de l’Etat-nation et ceux qui, fédéralistes sans le dire ou à moitié, préconisent son dépassement.
La question n’est plus de sauver la France; mais de sauver le mandat
L’épidémie a sur-souligné le clivage et a accéléré le combat. Entre les deux, le président de la République s’efforce de godiller pour mieux avancer, alors que sa majorité est soumise à des mouvements browniens, signaux d’une inquiétude existentielle qui ne parvient plus à se contenir. La création d’un groupe parlementaire de macronistes de gauche ainsi que l’initiative de 40 députés marcheurs visant à peser de l’intérieur traduisent l’effervescence qui secoue, à moins de deux ans de la fin du mandat, le parti majoritaire. C’est une réalité que l’épidémie en a rabattu dans la foi inextinguible des macronistes dans leur propre doxa. La question triviale qui se pose à eux n’est plus tant de savoir comment transformer la France mais comment sauver le mandat, et ce faisant, comment préserver la maison "Macron". À la surface, cette ébullition n’est pas sans avantage immédiat. Elle suscite "facialement" la perception d’une occupation large du spectre politique où tout se jouerait in fine à l’intérieur de la majorité entre une aile droite, une aile gauche et un bloc plus central, occultant presque l’existence des oppositions externes au pouvoir. Faute d’alternative crédible à l’exécutif, c’est au sein de l’espace majoritaire que se construirait la scène future entre des options dont in fine le chef de l’Etat serait l’arbitre.
De ce point de vue, les paramètres médiatiques sont au vert puisque les vraies oppositions n’apparaîtraient pas en mesure d’offrir, par-delà leur anti-macronisme, une alternative au pouvoir. Le stratagème de l’illusion politique fournirait une sorte d’assurance-vie permettant de tenir à distance la puissante et continue défiance dont l’exécutif est l’objet depuis deux ans. Mais d’autres paramètres demeurent au rouge-vif, que la crise sanitaire, loin s’en faut, n’a pas éteint malgré la tentative infructueuse d’appel à l’unité nationale, mais au contraire renforcer. La sociologie élitaire du macronisme tenait sa force de sa capacité à incarner une certaine forme d’hégémonisme idéologique qui lui permettait d’organiser son offre partisane et électorale autour de cette dernière. La collision épidémique met inévitablement sous tensions cette hégémonie, la bousculant et obligeant le Président à s’adonner à un exercice incertain, voire artificiel de triangulation autour de notions (la souveraineté, l’affranchissement budgétaire, la production, etc…) peu opérable avec son corpus politique d’origine et qui en viennent même à infirmer de manière spectaculaire celui-ci. Cette retraite idéologique d’une macronie déjà socialement minoritaire contient en germes tous les facteurs de démembrement d’un mouvement qui, jusqu’à maintenant, avait fait de sa capacité à s’organiser autour des idées dominantes de ses clientèles la martingale de son succès. La bataille des idées en passe d’être perdue ne reste plus que le frêle esquif d’une organisation dont la boussole des idées n’indique plus le cap…