Procès Netanyahou : le Likoud dénonce une nouvelle affaire Dreyfus
Bien qu'ajourné, le procès du Premier ministre continue de diviser Israël. Son camp dénonce une procédure « délirante » et établit de douteux parallèles historiques.
by Danièle Kriegel à JérusalemIl y eut bien sûr l'emballement médiatique, avec ses heures de directs et ses commentaires tous azimuts. Pourtant, dimanche 24 mai, jour de l'ouverture du procès de Benyamin Netanyahou pour corruption, fraude et abus de confiance, c'est un cliché et un discours qui auront créé la surprise. La photo, d'abord : elle a été prise dans le tribunal avant le début de l'audience. On y voit Benyamin Netanyahou, sans masque, entouré de plusieurs ministres, les fidèles parmi les fidèles, bouche cousue. Car, Covid-19 oblige, ils portent le fameux masque bleu chirurgical. Tous, debout, en un groupe compact, ils écoutent, sans broncher, leur Premier ministre qui, devant la caméra, accuse : « La gauche et les médias dont la seule volonté, dit-il, est de [le] renverser, [lui] et le camp de droite, au mépris de la volonté du peuple ». Puis vient le tour des policiers et procureurs qui « ont conspiré, inventé ces folles accusations » contre lui et décidé de « ce procès délirant ». Une conspiration dont le but est non seulement d'entraîner sa propre chute, mais aussi de contrecarrer son intention d'empêcher tout démantèlement de colonies israéliennes en Cisjordanie.
Comme en écho, dehors, rue Salah-A-Din, à Jérusalem Est, là où se trouve le tribunal de district, plusieurs centaines de ses partisans, parfois venus de très loin, scandent des slogans dont le point commun est leur amour pour « Bibi » et leur haine des juges et procureurs. Ils sont aussi nombreux ceux qui reprennent un tweet de Yaïr Netanyahou, le fils aîné. Il y qualifiait son père de « nouveau Dreyfus ». Enfin, ce fut l'audience qui n'aura duré qu'une cinquantaine de minutes. Prochain rendez-vous : le 26 juillet. Il s'agira cette fois encore d'une audience purement technique. Le Premier ministre ne devrait se présenter devant les juges que début 2021. La date reste à fixer.
D'ores et déjà, on le sait, ce procès s'annonce très long. Certains experts parlent de plusieurs années jusqu'au verdict. Ne serait-ce qu'en raison du nombre de témoins cités à la barre : 331. Un défilé qui ne devrait commencer, dans le meilleur des cas, qu'à la fin du printemps prochain. Et puis il faudra compter avec la volonté de la défense de faire traîner les choses, autant que faire se peut. Sans rire, un expert n'a pas exclu que cela puisse mener jusqu'à une nouvelle élection de Benyamin Netanyahou, dans trois ou quatre ans… Mais, et il faut le rappeler : par ce procès, la justice israélienne montre que nul n'est au-dessus de la loi, pas même le Premier ministre en exercice.
Reste que la tâche s'annonce difficile pour le système judiciaire. Professeur de droit émérite, Mordehaï Kremnitzer en a fait l'analyse dans le quotidien Haaretz. Pour lui, la stratégie de Netanyahou est claire. « D'abord, envoyer un message à ses juges : "Avec mes ministres, nous sommes sur la même ligne : je suis victime d'un coup monté. Et malheur à vous si vous ne suivez pas cette ligne. Nous réglerons nos comptes avec vous." L'autre objectif recherché : rallier le public autour du postulat "nous sommes tous Netanyahou ; nous sommes tous sur le banc des accusés". » Ce qui, explique le Pr Kremnitzer, « revient à lancer au tribunal ce défi : "Allez-vous juger la moitié du pays ?" »
« C'est eux ou nous »
Pour Yaacov Katz, du Jérusalem Post, cette stratégie est très dangereuse : « En transformant son procès en une équation binaire : « eux ou nous », Benyamin Netanyahou tente de créer un narratif selon lequel son procès n'a pas pour objet la corruption dont il est accusé, mais, en réalité, le fait qu'il est le chef de la droite. Ainsi trace-t-il une ligne claire entre ceux qui le soutiennent et ses opposants. Une rhétorique susceptible de saper les fondements de toute démocratie, surtout dans un pays comme Israël qui n'est pas doté d'une constitution et où la séparation des pouvoirs est souvent ténue. »
Mais il faut aussi citer le point de vue du grand avocat américain, Alan Dershowitz. Évoquant, sur la chaîne I24, l'acte d'accusation, ce proche du Premier ministre israélien affirme : « Israël devrait avoir vraiment honte ! C'est le premier pays au monde à traduire en justice un leader politique à la recherche d'une couverture favorable dans les médias… Cela ne peut être considéré comme un crime. » C'est d'ailleurs l'une des questions à laquelle vont devoir répondre les trois juges du tribunal de district de Jérusalem.