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Véhicules détruits sur une base reprise aux forces du maréchal Haftar par les forces du gouvernement d’union nationale de Fayez al-Sarraj (GNA) au sud-ouest de Tripoli.© MAHMUD TURKIA / AFP

Libye : des enfants syriens enrôlés dans l'armée de Tripoli

Des milices syriennes financées et encadrées par la Turquie envoient des enfants combattre en Libye contre le maréchal Haftar, révèle le rapport d'une ONG.

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C'est la première fois que des experts reconnus documentent le recrutement de mineurs depuis le déclenchement de la guerre civile en Libye en 2014. L'ONG Syrians for Truth and Justice (STJ), basée en France et soutenue par différents fonds européens, a récolté plusieurs témoignages en Syrie et en Libye, levant un coin du voile sur les méthodes des milices syriennes pro-turques.

Son rapport, publié le 11 mai dernier, assure que « des enfants recrutés par des factions de l'Armée nationale syrienne (coalition de groupes rebelles soutenus par la Turquie) sont actuellement en train de combattre en Libye » aux côtés du gouvernement d'union nationale de Fayez al-Sarraj (GNA), allié d'Ankara, contre l'armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar (LNA).

3 000 dollars pour combattre en Libye

Selon les estimations d'observateurs et diplomates, la Turquie aurait acheminé entre 2 000 et 4 000 combattants syriens sur le front libyen depuis le début de l'année. Si la part des mineurs reste probablement limitée, ces recrues sont organisées et planifiées par plusieurs groupes rebelles syriens. Un membre de l'équipe de STJ (souhaitant rester anonyme) assure au Point qu'une fois recrutés, « ces jeunes sont envoyés dans des camps militaires pendant plusieurs semaines avant de se voir confier des tâches militaires ». Au moins 25 enfants auraient été entraînés en vue d'aller combattre en Libye par un des principaux alliés d'Ankara dans le nord de la Syrie, la brigade al-Moutasim.

En janvier dernier, quelques jours avant d'être envoyés au front, trois adolescents « entre 15 et 16 ans » se sont confiés à un commerçant de Marea, dans la région d'Afrine sous le contrôle de l'armée turque et de ses alliés depuis mars 2017. Accompagnés en permanence par un « commandant de la brigade al-Moutasim », les trois jeunes se préparaient à partir pour la Libye « avec l'accord de leurs familles » et « en échange d'un salaire mensuel de 3 000 dollars », selon le témoignage recueilli par STJ. Une somme considérable pour des jeunes Syriens, dont l'écrasante majorité vit dans la misère et a connu plus d'années de guerre que de paix. Rien qu'entre janvier et juin 2019, près de 300 enfants ont été recrutés pour combattre dans le conflit syrien, selon l'Unicef.

Faux documents

Les groupes armés syriens évitent pour autant d'attirer l'attention sur ces bataillons de mineurs. Les recruteurs falsifient les documents d'identité de ces enfants-soldats en inventant de nouveaux lieux et dates de naissance. Ils sont ainsi enregistrés dans les rangs de l'Armée nationale syrienne sous un faux nom, parfois emprunté à celui de leur grand frère.

Un combattant de la division du Sultan Mourad envoyée à l'ouest de la Libye en février dernier assure à l'ONG qu'au moins cinq enfants font partie de son groupe d'une vingtaine de soldats, soit un quart de l'effectif. Cette faction de combattants turkmènes, décrite comme particulièrement alignée sur Ankara par le spécialiste Historicoblog, fait partie des trois principaux recruteurs de mineurs syriens avec la brigade al-Moutasim. Le troisième groupe identifié par les experts syriens est celui du sultan Souleymane Chah, des rebelles également nostalgiques de l'Empire ottoman.

Officiellement, la Turquie n'est pas impliquée dans le recrutement de combattants syriens en soutien aux forces de Fayez al-Sarraj ; l'opération étant financée par le gouvernement d'union nationale (GNA) reconnu par l'ONU. Mais en assurant le transfert aérien des combattants syriens vers la Libye, la Turquie peut difficilement ignorer leur existence, comme le montre cette photo prise sur le tarmac de Gaziantep, dans l'est de la Turquie. Les visages enfantins sont crispés sur ce selfie nocturne pris devant un appareil militaire des forces aériennes turques et diffusé par un média proche de l'armée d'Haftar.

Sans parler du recrutement, le transport de mineurs combattants est en soi une violation de la Convention relative aux droits de l'enfant, un protocole des Nations unies signé par la Turquie ainsi que la Syrie et la Libye. « Tous les participants au conflit doivent respecter le droit international et ceux qui le violent seront tenus pour responsables », réagit Peter Stano, le porte-parole pour les affaires étrangères et la sécurité de l'Union européenne, qui peine depuis deux mois à mettre en place la mission navale Irini, censée faire appliquer l'embargo sur les armes.

Un vœu pieux pour Claudia Gazzini, spécialiste de la Libye pour l'ONG International Crisis Group : « La notion de responsabilité n'existe plus depuis longtemps en Libye, les bombardements se succèdent et les violations sont continuelles. » Depuis 2011, l'embargo sur les armes n'a cessé d'être piétiné par les deux parties et leurs alliés étrangers.

Tripoli nie et accuse Haftar

« C'est Haftar qui envoie des mineurs combattre, pas l'armée libyenne », assure au Point une source du gouvernement d'union nationale (GNA), niant les accusations de l'ONG Syrian for Truth and Justice. Selon ce conseiller, « quelques soldats entre 16 et 17 ans ont été arrêtés le mois dernier au sud de Tripoli et sont détenus depuis dans une prison pour mineurs ». L'un d'entre eux aurait même moins de 15 ans, selon le centre de communication officielle de Tripoli cité par l'agence de presse turque Anadolu.

En 2019, le gouvernement d'al-Sarraj avait déjà dénoncé l'emploi « d'enfants-soldats » par son rival de l'Est, qui venait de lancer une offensive contre la capitale à l'ouest du pays.

Alertée, l'ONG Human Rights Watch avait tenté de rendre visite en décembre dernier à des prisonniers présentés comme « mineurs » par les geôliers du GNA. Mais les bombardements des forces d'Haftar sur le centre de détention avaient empêché les humanitaires de s'en approcher.