"Le manager est une mère célibataire"
Ancien drh, journaliste à Radio Classique et Canal+, David Abiker, nous livre ses impressions sur la charge qu'on demande aux managers.
"Maman !" C’est ce que j’ai crié en jetant un oeil à la liste de toutes ces choses qu’un manager doit savoir, savoir faire ou faire savoir pour accomplir le job. "Mais c’est trop ! ai-je dit au rédacteur en chef de Management, ils vont s’épuiser à la tâche !" Il y a tant à faire sur la to do list ! Parler vrai, bien recruter, recadrer un collaborateur sans le vexer, poser un problème avec l’équipe sans provoquer un pugilat, se faire respecter, retenir un démissionnaire, supporter la solitude, faire face à la concurrence, innover avec des bouts de ficelle, et j’en oublie.
Oui, j’ai crié "Maman !" car la ou le manager descendu(e) du piédestal que lui conférait le statut quasi militaire d’autrefois ressemble désormais à une mère célibataire. Beaucoup de contraintes, pas mal de responsabilités, une reconnaissance très variable et des horaires à rallonge. On demande au manager de savoir tout faire. Prenez seulement ces deux expressions qui courent en ce moment dans les open spaces : "faire grandir" et "accompagner". Les consultants et les patrons n’ont que ces mots à la bouche. C’est le nouveau rôle du manager et c’est le quotidien de la mère qui élève seule ses enfants. Faire grandir et accompagner.
Oui, le manager est une mère célibataire (ou un père, mais ils sont plus rares à se retrouver seul pilier de la famille). Il porte la charge mentale, doit s’occuper des millennials, de leurs aînés, songer aux seniors, arbitrer les conflits, donner l’exemple et le plus souvent cumuler en solo ces rôles modèles. Car au manager on demande désormais de savoir animer les ressources humaines, d’expliquer la stratégie même quand il n’y en a pas et surtout de faire avec les moyens et les équipes qu’il a. Et en plus, ses équipes, il les supporte dans les deux sens du terme. Guy Roux, entraîneur historique de l’AJ Auxerre, m’a confié un jour : "On ne peut pas faire de management si on n’aime pas les gens." Voilà pourquoi je crie encore "Maman !" quand j’envisage l’ampleur de la tâche.
J’oubliais. Le manager est à lui seul une fabrique de reconnaissance. C’est lui qui donne envie et, mieux, qui pratique un management inclusif. N’oublier personne. Quels que soient les talents, les compétences, les origines, les diplômes, les parcours, il paraît qu’on a tous quelque chose à apporter à l’entreprise. C’est la plaquette RH qui le dit. C’est le président qui l’affirme, bien briefé par ses communicants. Et qui doit tenir leur promesse ? Le manager.
Oui, ces managers modernes me font penser à cette mère célibataire entourée d’enfants, débordée, qui s’efforce de consacrer à chacun une part de son temps, de son attention, de son énergie. Sans oublier de faire adhérer au projet.
Alors ces managers se posent des questions. "Ai-je bien dit ?" "Ai-je bien fait ?" "Ai-je assez délégué ?" "Ai-je bien contrôlé ?" Telles ces mères toujours exigeantes avec elles-mêmes (trop), les managers d’aujourd’hui sont sur la brèche, se remettent en question, se mettent à jour et s’auto-évaluent ou sont évalués par leurs collègues. Pour toutes ces raisons et parce que entourés de leurs équipes, ils m’évoquent ces mères couteaux suisses qui font leur maximum. Ces managers ont toute ma sympathie et mes encouragements dans cette tâche ardue : faire progresser un collectif vers un résultat.