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Archéologie du mensonge institutionnalisé (Par Alassane k. KITANE)

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« Les citoyens mêmes qui ont bien mérité de la patrie doivent être récompensés par des honneurs et jamais par des privilèges… » Rousseau, In Tome V de l’Encyclopédie  (1755)

Y aurait-il un moyen d’ériger, en toute impunité, le vol et la concussion comme mode de gouvernance ? La réponse à cette question est donnée par une petite archéologie du mensonge politique. Dans une discussion sur la toile je disais à un ami que le mensonge institutionnalisé du Prince est la floraison d’une république en ruine, d’une république où la vertu a quitté et les citoyens et les chefs. Comment peut-on accepter que des décrets se suivent et se contredisent sans que le chef de l’État ne fasse une sortie pour rassurer le peuple de la pérennité de l’État de droit ?  Comment se fait-il qu’un Président passe le plus clair de son temps non seulement à mentir, mais à se servir de l’État pour donner à ses mensonges l’apparence de normalité ?

Quand le mensonge devient le ressort principal d’une gouvernance, on a les signes annonciateurs de la décadence, de la ruine d’un Etat. Certes, l’homme politique ment, il ment beaucoup même, mais quelle que soit sa mythomanie, il doit veiller à ce que son mensonge ne soit pas identifié à l’institution qu’il incarne, qu’il ne devienne pas le symbole de cette institution, le pilier fondamental qui la sous-tend. Aujourd’hui, à moins de vouloir faire preuve de mauvaise foi éclatante, on est obligé d’admettre que le mensonge est devenu souverain dans notre pays, et que l’institution appelée république est désormais au service de ce mensonge.

Curieuse dialectique du maître et de l’esclave ! On mobilise toute une intuition rien que pour avaliser un mensonge. Comble du cynisme. On partage le gâteau en pleine peste ! Les hommes politiques de ce pays nous coûtent déjà trop cher, il bénéficient de privilèges qui, dans un pays où les citoyens sont exigeants, susciteraient une révolte violente. L’homme qui se sert de la république pour conserver son pouvoir a envoyé croupir en prison ses deux adversaires les plus dangereux sous le prétexte de la bonne gouvernance : Karim Wade et Khalifa Sall ont fait moins flagrant que le concert de scandales qui rythment quasi quotidiennement son funeste et répugnant règne. C’est cet homme dont chaque acte politique posé est un abus de pouvoir éhonté que certains journalistes créditent de génie politique.

Quand on a la force en main, il n’y a point d’art à faire trembler tout le monde… » Rousseau ibid.

C’est cet homme armé de pouvoir jusqu’aux ongles qui écrase tous ses adversaires et garantit l’impunité aux siens ; cet homme qui snobe son peuple meurtri par des mesures populistes et par une gestion ultra clanique de l’État. Comment peut-on envoyer en prison et puis exiler Karim Wade après un procès sommaire et laisser autant de scandales impunis ? Comment peut-on emprisonner Khalifa Sall, lui priver du droit de participer aux élections présidentielles et passer sous silence le scandale de la distribution du riz, celui de l’achat de matériel médical, celui du pétrole, le rapport explosif de l’OFNAC sur le Centre des œuvres universitaires de Dakar (COUD), l’affaire Prodac, l’affaire Mamour Diallo, l’affaire du fonctionnaire qui a bénéficié dans son compte bancaire d’un virement de 5 milliards de FCFA dans le cadre du Programme de défense des intérêts économiques et sécuritaires, etc. ? Dieu est juste ; et tous ceux qui savent observer objectivement les évènements politiques peuvent comprendre qu’il y a une main invisible derrière ces évènements, une justice divine immanente.

Ceux qui faisaient la surenchère pour vouer Karim Wade et Khalifa Sall aux gémonies sont aujourd’hui obligés de blanchir ou de banaliser des crimes infiniment plus graves que ceux reprochés à ces deux adversaires de Macky Sall. La fumisterie des pseudos journalistes d’investigation et des vils intellectuels n’y changera rien : la mauvaise gouvernance et la corruption sont devenues endémiques dans ce pays. Le plus grave, c’est que notre république est en train de glisser dangereusement vers le communautarisme et l’ethnicité ; on ne peut plus le nier ! Ce que nous avions, en 2013, pudiquement appelé la stratégie d’essaimage de la république est devenu ostensible. Buur du mbokk avait pourtant prévenu Kocc Barma : cette formule ambivalente interpelle notre époque et notre conscience citoyenne. La préséance et la prééminence des institutions sur les individus et leur famille sont la seule garantie de la pérennité d’un État, serait-il un royaume.

« Un imbécile obéi peut comme un autre punir les forfaits : le véritable homme d’état sait les prévenir…» ibid.

Macky Considère l’État comme un gisement d’or à exploiter pour corrompre les citoyens et se maintenir au pouvoir. Ce n’est pas un hasard si un député de sa majorité est aujourd’hui dans les liens de la détention pour raison de trafic de faux billets. La morale de ces gens-là est que l’État est une source de rentes et qu’il faut donc tout faire pour garder le pouvoir. Pour y arriver ils ne reculent devant aucune cruauté, ils ne répugnent à aucune forme de bassesse. Ils recrutent les âmes viles pour verrouiller le débat serein et rendre caduque toute forme d’altérité. Ils font la promotion de personnes que rien ne prédestine aux premiers rôles en les gavant de fortunes.

Voici comment on corrompt la jeunesse d’un peuple : on exhibe des richesses indûment soutirées à l’Etat pour épater et appâter les jeunes en leur faisant miroiter le luxe brandi comme un trophée politique. Les jeunes tombent ainsi dans le mirage de la vie facile et perdent la patience du labeur bien fait, de la morale du travail et l’amour des études. Les adultes dont les orgies et les excès sont encore retentissants sont recyclés pour incarner le rôle de chiens de garde. C’est à une véritable servitude à la vilénie que s’adonnent ces jeunes : une débauche à la tâche. Ils s’accommodent dès lors à la morale de la politique-métier : les plus frivoles d’entre eux sont réénumérés pour lyncher et insulter les opposants dans les sites indirectement contrôlés par le Palais. Les jeunes se dépossèdent ainsi des principes qui doivent fonder la dignité humaine et deviennent de vils ustensiles politiques. Ces gens au pouvoir volent aux citoyens leurs richesses, les maintiennent dans la pauvreté et se permettent de parader devant eux. Ils leur enlèvent leur dignité, leur foi en eux-mêmes et le culte du mérite. Ceux qui s’offusquent de la manière dont le fonds d’aide à la presse est gérée font semblant de ne pas savoir que ce fonds est d’abord politique pour ce pouvoir. Ce régime a corrompu tous les ressorts de la démocratie et du pluralisme.

La vérité est qu’on vit sous une oligarchie dénuée de pudeur. On créé des institutions dont ni l’utilité ni le nom ne sont connus des citoyens les mieux formés. Haut conseil du dialogue social, HCT, le machin du dialogue des territoires, etc., à quoi ça sert dans un pays comme le nôtre ? Une oligarchie est soumise à la même nécessité naturelle que le vivant : la reproduction de l’espèce. Le décret controversé de Macky Sall a pour finalité de maintenir en vie un groupuscule en lui assurant des moyens de subsistance. A la place de la reproduction sexuée nous avons ici une reproduction pécuniaire : il faut utiliser les moyens de l’État pour empêcher les espèces les plus aptes à prendre la place de celles dégénérescentes. Les patriotes, les vertueux et les travailleurs, de ce pays sont écartés du pouvoir par le complot de l’argent. Toutes les révolutions violentes sont nées a peu près pour les mêmes raisons : voyant que l’horizon était bouché et que les oligarques avaient mis en place un fort de pacotilles institutionnelles, la seule issue qui s’offrait à eux était la violence.

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

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