https://medias.liberation.fr/photo/1315214-prodlibe-2019-1613-journee-manifestation-retraites-fil-rouge-roland-lescure.jpg?modified_at=1590402663&width=960
Roland Lescure, le 10 décembre à Paris.
Photo Denis Allard

Roland Lescure : «Un nouveau mandat commence» pour Macron

Sans fantasmer sur une hypothétique union nationale, le député LREM estime possible de bâtir des unions de projet, notamment dans le domaine écologique. Président de la commission des affaires économiques à l'Assemblée, il juge que la majorité a «quinze mois utiles» devant elle.

by

Le président LREM de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a passé son confinement à réfléchir à «l’après». A la rentrée de septembre, il estime que les «quinze mois utiles» jusqu’à la fin du quinquennat devront être consacrés à la réalisation d’une poignée de projets concrets derrière lesquels l’unité devrait, selon lui, pouvoir se faire. Il souhaite que le chef de l’Etat s’exprime sur le sujet avant l’été.

Vous êtes, au Parlement, un ardent promoteur d’une politique économique fondée sur l’attractivité et la compétitivité. Tout indique que les priorités du «monde d’après» seront toutes autres. Tout ça pour rien ?

On peut dire qu’un nouveau mandat commence. Mais les réformes structurelles des trois dernières années ont eu un impact réel. Cela va nous aider à sortir de l’ornière où nous sommes aujourd’hui.

Pas de regrets de devoir abandonner l’emblématique réforme des retraites ?

Cette réforme garde sa raison d’être : construire une protection sociale universelle. Mais pour plein de raisons, notamment la nécessité impérieuse de faire l’unité, elle doit être reportée sine die.

Le chef de l’Etat prépare un plan de relance. Quel est votre rôle de parlementaire dans cette réflexion ?

J’ai profité du déconfinement pour consulter beaucoup de monde : chefs d’entreprises, syndicalistes, économistes ou anciens responsables politiques comme Jean-Louis Borloo ou Dominique Strauss-Kahn. Comment faire repartir la machine différemment, en traitant les inégalités sociales et la soutenabilité de la croissance ? A condition de changer de logiciel, je crois qu’il y a une énorme opportunité de faire avancer l’Europe, bloquée depuis le référendum de 2005. On doit aussi interroger, en France, l’efficacité de l’action publique. On a fait beaucoup de réformes en trois ans, mais on s’est souvent heurté à un obstacle dans la mise en œuvre.

Dans la majorité, certains souhaitent une prise de parole rapide d’Emmanuel Macron, d’autres recommandent d’attendre la rentrée. Qu’en pensez-vous ?

Le plus tôt sera le mieux. Avant l’été plutôt qu’à l’automne. Aujourd’hui, nous sommes encore dans la gestion de l’urgence. Mais il va falloir, le plus vite possible, essayer de donner une perspective aux Français pour les deux ans qui viennent.

Le Président consulte beaucoup. Avez-vous échangé avec lui ?

Je ne communique jamais sur mes échanges avec le Président. Mais je participe à beaucoup de réunions de réflexion sur l’après. Nous avons quinze mois utiles entre septembre 2020 et décembre 2021. Il va falloir se concentrer sur quelques grandes priorités autour desquelles il faut se rassembler au maximum.

L’unité nationale, vous y croyez ?

Elle peut se construire sur des choses très concrètes. Par exemple sur la rénovation thermique des bâtiments. Bonne manière de relancer le BTP tout en prenant en compte les enjeux de réchauffement climatique. La rénovation des bâtiments, ce n’est ni de gauche ni de droite. C’est une nécessité dont on parle depuis dix ans. On doit pouvoir s’unir derrière ça. Aujourd’hui, trois ministères sont impliqués dans ce dossier (Logement, Environnement, Finances) et on est incapable de dire combien de logements on rénove par an ! Il faut confier cela à une personne, avec des objectifs très concrets.

Cette unité, vous la construisez avec qui ?

Je ne suis pas dupe des manèges des uns et des autres. Dans cette crise, il y a des responsables politiques qui sont dans l’action – je pense par exemple à la présidente de l’Ile-de-France, Valérie Pécresse, qui organise le déconfinement dans sa région – et puis, il y a ceux qui sont dans le commentaire, qui donnent leur avis sur la chloroquine et prétendent qu’ils feraient bien mieux s’ils étaient aux affaires. J’ai des doutes sur la volonté de ces derniers de s’inscrire dans une logique de rassemblement. Il ne s’agit pas de faire l’unité sur ce qu’on appelle «le monde d’après». Ça, c’est le sujet de la présidentielle de 2022. Il s’agit de se mettre d’accord sur les priorités des quinze mois qui viennent.

Mais ce qui se dessine pour 2020-2021 relève déjà presque d’un projet présidentiel. Ne faut-il pas tirer les conséquences institutionnelles de cette situation ? Certains parlent de référendum, d’autres de dissolution…

J’ai consulté une quarantaine de personnes : aucune ne m’a parlé de ça ! Il y a, en revanche, des réflexions sur les moyens de mieux associer les citoyens à la décision pour réconcilier démocratie parlementaire et démocratie participative. Par exemple, en organisant d’autres conventions citoyennes, peut-être plus agiles que celle qui planche aujourd’hui sur le climat.

Cette relance française n’est-elle pas conditionnée au succès de l’initiative franco-allemande qui prévoit de lever 500 milliards d’euros pour financer des investissements ?

Le fonds européen est un élément essentiel du dispositif. Et je suis confiant sur notre capacité à le mettre en œuvre. Quand la France et l’Allemagne se mettent d’accord, on arrive en général à convaincre. La France a longtemps été considérée comme faisant partie des cigales. Depuis trois ans, on a montré qu’on pouvait aussi être fourmis. Je pense que cela a beaucoup aidé dans l’accord entre Emmanuel Macron et Angela Merkel. La France est perçue comme plus sérieuse qu’elle ne l’était.

A quoi bon se réinventer si vous avez tout bon ?

Quand on vous reproche des choses, il y a un fond de vrai. On a été élus sur une promesse d’union et sur le dépassement des clivages. Avec la crise des gilets jaunes et le mouvement sur les retraites, il faut bien reconnaître que cela n’a pas totalement réussi… J’ai pris du temps pour me poser des questions, sans tomber dans ce que les sciences sociales appellent le biais de confirmation. Je pense, effectivement, sortir un peu différent de cette réflexion.

Jusqu’à revenir sur la suppression de l’ISF ?

Je préfère les gestes efficaces aux gestes symboliques. Je ne pense pas que l’ISF soit la bonne manière de poser la question, bien réelle, des inégalités de revenus. Là encore, je pense que le sujet doit avant tout se poser au niveau européen. C’est à ce niveau qu’on doit réfléchir aux moyens d’améliorer la distribution des revenus par la fiscalité.

Après la naissance d’un neuvième groupe à l’Assemblée, voilà que se constitue un courant écolo-social au sein de votre groupe parlementaire. La majorité n’est-elle pas en train de se déliter ?

La promesse originelle d’En marche, c’est «unis dans la diversité». Il faut qu’on arrive à faire vivre la diversité de nos opinions. Je ne crois pas que les courants soient la bonne manière de le faire. Les autres partis en sont morts. Mais, là encore, si des tendances centrifuges s’expriment, c’est qu’on n’a pas réussi à les contenir. Il faut donc qu’on interroge notre fonctionnement.