Macron-Philippe : un dernier tour de piste avant la rupture
by François MartinMembre fondateur du Fonds de Recherche Amitié Politique, François Martin analyse les derniers temps d'une valse au sommet.
On a dit, mais sans doute pas suffisamment, à quel point les actions d’Edouard Philippe, celles d’une partie du gouvernement et de l’administration toute entière, étaient dictées par le “principe de précaution” (précaution pour eux plus que pour nous…), en d’autres termes par l’ouverture systématique des parapluies, ceci dans une logique unique, celle de se protéger contre un futur “méga-procès”.
Tout, absolument tout, peut être vu à travers ce prisme : l’application si exhaustive du confinement (sauf dans les banlieues, qui obéissent, il est vrai, à une autre logique), au point de verbaliser les petites vieilles devant chez elles, la prudence du déconfinement (parcs et jardins, cafés et restaurants, musées, plages même, toujours fermés, églises qui l’auraient été sans la saisine du Conseil d’Etat, etc…), le caractère réversible à tout moment de ces mesures, le rappel permanent aux “experts” du Conseil Scientifique (de façon à pouvoir les mettre en cause et s’en servir de fusibles si nécessaire), et j’en passe.
Protégé par la Constitution, Emmanuel Macron n'encourt qu'un seul risque, celui de sa non-réélection
Parapluie donc, mais aussi ceinture et bretelles, sans oublier, dans la poche, les peaux de banane d’un côté et le savon de l’autre, pour coller la responsabilité aux petits camarades. N’est-ce pas, Mme Buzyn ? Couverture pour soi, croche-pattes pour les autres, c’est la loi du genre. Macron, lui, n’a pas ce problème. Protégé par la Constitution contre le risque juridique des décisions prises durant son mandat (risque que Philippe, donc, assume à plein), il n’a qu’un risque politique, celui de sa non-réélection.
Or ce risque est économique et non pas sanitaire. En effet, dans deux ans, tout le monde aura oublié si l’épidémie a fait, en fin de compte, 28.000 ou 30.000 morts. Par contre, chacun aura bien en tête le nombre de chômeurs. S’il y en a 500 000, 1 ou 2 millions de plus qu’aujourd’hui, cela changera totalement la donne, et on en accusera le Président.
Des agendas politiques discordants
Pour Philippe, le déconfinement doit, dans toute la mesure du possible, se passer sans anicroche, quitte à durer encore longtemps. En effet, s’il ne pense pas être, demain, le concurrent de Macron pour la présidentielle, il sait que la situation économique ne lui sera pas reprochée. Par contre, s’il est condamné pour sa gestion de l’épidémie, c’est sa carrière qui est brisée Pour Macron, au contraire, ce délai doit être raccourci au maximum, quitte à prendre quelques petits risques avec la santé des français, de façon à ce que l’activité reparte de la façon la plus vigoureuse possible, parce que c’est son quinquennat qui est en jeu. C’est de lui, probablement, que vient l’idée de la réouverture des petites classes à l'école. Sanitairement, c’est dangereux (pourquoi, en effet, faire courir des risques aux plus petits ?), et scolairement, c’est désastreux (ce sont les lycéens qu’il aurait fallu ramener dans leurs classes. Livrés à eux-mêmes, ils courent de graves risques de déstructuration). Mais économiquement, c’est un avantage, parce qu’en faisant de l’éducation une garderie nationale, on libère les parents pour aller travailler.
Aujourd’hui, donc, les priorités politiques et les agendas des deux protagonistes sont devenus tout à fait divergents. Comme il est exclu que Philippe renonce à sa couverture, donc à sa stratégie du « doucement, mais sûrement », que Macron est tout affairé à briguer un second mandat et à sa stratégie « à fond la relance ! », le départ du premier semble inévitable. La décision est certainement déjà prise, puisqu’on laisse fuiter à dessein, bien qu’à doses homéopathiques, les petites phrases et autres « frustrations » du Président vis-à-vis de son Premier Ministre, toutes choses que l’on s’applique d’ordinaire à cacher soigneusement.
Ce départ aura un autre avantage : celui de mieux identifier Philippe, et les décideurs de son gouvernement, dans le cas d’un procès. Inutile « d’insulter l’avenir », en faisant en sorte que Macron lui reste trop proche. Ainsi, dans cette partie de Mistigri qui se joue (« qui assumera le procès ? »), nous saurons qui a quitté la table en dernier avec le valet de pique. C’est bien plus confortable pour le chef de l’Etat…
Un jeu de dupes
Naturellement, il est important que ce départ s'accomplisse dans les meilleures conditions. En effet, Philippe est aujourd’hui assez populaire, alors que la cote de Macron baisse. Si, d’après ce que l’on dit, le Président en est jaloux, il est très important qu’il le dissimule. Si demain, Philippe est en difficulté juridique, il est clair qu’on le laissera tomber, et même qu’on l'accompagnera un peu dans la tombe pour protéger les autres. Mais aujourd’hui, il faut encore souligner la qualité de son travail, le remercier chaleureusement et justifier son départ par « un changement de politique » ; ce qui, dans l'absolu, n'est pas incongru et très compréhensible pour les français. Pour Philippe lui-même, un départ avec « du sang sur les murs » serait aussi préjudiciable. L'on pourrait, le cas échéant, lui reprocher d’avoir entaché l’image du président et d’avoir compromis ses chances de réélection, avec celles de toute l’équipe. Que l’on se rassure sur ce point, tous connaissent le récital et savent que les choses iront pour le mieux.
Dans une même logique, Philippe doit partir « avec les honneurs ». Pas question qu’il redevienne un citoyen lambda. C’est probablement pour cette raison qu'Emmanuel Macron a tranché pour un second tour des municipales en juin. Sur le plan sanitaire, ça n’a aucun sens, et sur le plan médiatique non plus : comment en effet, justifier que l’on prenne de telles précautions pour déconfiner « sans risques », qu’on le martèle à tout le monde, et que l’on décide « en même temps » une telle opération politique dans un mois ? Laquelle nécessite, plus que toute autre, contacts et rassemblements ? L’incohérence est manifeste. Sur le plan politique, évidemment, la manœuvre n'est pas innocente : il s'agit de rendre au Premier ministre sa mairie du Havre. C’est probablement la raison principale qui a motivé une décision aussi peu logique. Ainsi, réélu triomphalement en juin dans sa ville, il pourra être congédié du gouvernement en juillet. Il partira la tête haute, et tout le monde sera content.
Quant au successeur de ce dernier, Bruno Le Maire apparaît comme le candidat logique. Mais s’il occupe convenablement la fonction, il pourrait être un futur rival. L'idéal pour le président de la République serait d'opter pour une personnalité qui ne constitue pas in fine un danger. Soit un nouveau profil malléable (mais il faut un solide profil pour réussir une phase aussi cruciale), soit un « vieux cheval de retour », matois, compétent, connaissant le peuple et la province mais sans destin élyséen. « François Bayrou, tu fais quoi cet été ? Pourrais-tu passer me voir pour discuter, s’il te plaît ? »