#JeSuisWAN : « La transformation digitale sera le socle du modèle africain de développement »
ENTRETIEN. Au projet de solidarité WAN contre le Covid-19, Afrobytes a apporté sa dimension innovation avec 21 start-up africaines invitées. Décryptage avec ses cofondateurs.
by Malick Diawara, Viviane ForsonActeur important de la scène tech africaine, dont elle branche un maximum d'acteurs avec des entreprises de toutes les régions du monde, Afrobytes a fait participer quelque 21 start-up africaines. Il faut dire qu'à côté de sa dimension solidarité le projet WAN (Worldwide Afro Network)*, initié pour sensibiliser les populations aux risques d'infection, engager une réflexion collective sur l'Afrique et donner une visibilité aux acteurs de la construction postcrise du continent, est en soi un projet dont la scène principale se trouve portée par le numérique. Tous les échanges, entre artistes ou entre entrepreneurs, tous les concerts, tous les débats, auront été rendus accessibles par ce biais. Quoi de plus normal, donc, que d'associer des acteurs africains de la tech au moment où le Covid-19 vient rappeler à tous la fragilité de ce secteur stratégique parti pour être vital pour une Afrique résolument tournée vers sa reconstruction à partir d'un paradigme renouvelé. Les deux cofondateurs que sont Haweya Mohamed et Ammin Youssouf ont répondu au Point Afrique pour illustrer avec leurs mots la pertinence d'une présence forte de start-up africaines à un tel événement.
Le Point Afrique : pour les spécialistes de l'écosystème de nouvelles technologies africaines que vous êtes, en quoi la présence de 21 start-up du continent à un événement comme WAN dans une Journée de l'Afrique fait-elle sens ?
Haweya Mohamed et Ammin Youssouf : La crise est destructrice. Elle ravage les économies en Afrique comme partout ailleurs. Mais, comme dirait Schumpeter, l'enjeu est de la rendre « créatrice ». L'impératif de distanciation sociale a mis en exergue des usages qui seront essentiels non seulement pour réduire l'impact sanitaire et économique immédiat, mais aussi pour transformer durablement le continent : télétravail, télémédecine, e-commerce, paiement mobile…
Avec cette crise, l'Afrique a rendez-vous avec son histoire économique. La transformation digitale n'est plus une option, mais sera le socle du modèle africain de développement. Elle ne peut s'opérer qu'avec l'adoption massive et accélérée des nouveaux usages par les populations. L'événement WAN, qui sera diffusé avec le soutien de l'Union africaine de radiodiffusion sur toutes les chaînes nationales du continent, va permettre de mettre en avant de manière exceptionnelle les modèles développés par les start-up. Avec plus de 150 chaînes publiques et privées africaines, la reprise potentielle du contenu par les homologues asiatiques de l'UAR, le relais sur Internet avec l'Unesco, on parle de plusieurs centaines de millions de téléspectateurs potentiels. C'est totalement inédit.
Quels sont les traits de force autour desquels vous avez choisi les start-up qui accompagneraient cette journée ?Comme il était impossible en trois semaines de faire un appel à candidatures, la sélection s'est donc opérée sur l'expérience d'acteurs engagés depuis des années et qui connaissent parfaitement l'écosystème. Nous ont rejoints pour cela Africa Tech Summit, TechPoint. Africa, GreenTec Capital, Afric'Up et African Tech Roundup. Le premier des impératifs était une parfaite parité hommes-femmes. Onze entrepreneuses ultra-brillantes pour une sélection de vingt et une start-up. Le second était une approche résolument panafricaine avec 13 nationalités sur 21 projets. Ainsi, l'Égypte et le Zimbabwe vont découvrir le Bénin et la Tunisie.
C'est également toute une batterie de critères qui font une sélection pour adresser un message fort :
- les secteurs où l'Afrique excelle : Fintech (Tudo, Paydunya) et Social Commerce (Mustard) ;
- l'innovation dans la santé (GoMedical, Medsaf, Sila Health) ;
- le développement durable (Coliba) et l'« upcycling » (Reform Studio), qui est une tendance très forte de l'économie circulaire et dans laquelle l'Afrique excelle depuis toujours (« valoriser les objets ou produits usagés en leur donnant une nouvelle vie plus qualitative ») ;
- l'agriculture de pointe (Seabex) et traçable (Kahawa 1893), tout en connectant ce secteur avec celui de la beauté (Kadalys, Skin Gourmet) et du fooding bio africain (Glow) ;
- l'ébauche d'une vision industrielle avec l'ingénierie de pointe africaine qui s'exporte dans le monde entier (Enova Robotics, iCog Labs) ;
- la ville de demain : quel design de service (Bridge Labs) dans la mobilité (Teliman), l'énergie (Shyft Power) ?
- la musique, bien sûr, avec de nouveaux outils pour les artistes africains (Mookh) ;
- et enfin l'inclusion numérique (Hope Tech Plus, Akira Chix), car nul ne devra être laissé au bord du chemin !
Quel est l'impact actuel de la crise du Covid-19 dans l'écosystème de la tech africaine ?
En Europe ou aux États-Unis, les investisseurs ont très largement reporté leurs investissements de 1 à 2 ans pour se concentrer sur le sauvetage de ce qu'ils ont déjà en portefeuille. Autant dire une éternité, qui sera fatale à de nombreuses start-up. Alors, imaginez ce que cela va être pour l'Afrique ! Au mieux, seuls les deals en discussion depuis des mois vont peut-être se finaliser. Et le problème, c'est que beaucoup des fonds investis dans la tech venaient d'investisseurs étrangers. On va trouver ici et là quelques investissements, mais c'est quasiment anecdotique au regard des besoins. Et c'est toute la chaîne qui est en danger, car vous avez beau investir en amorçage, si personne ne prend le relais sur les phases suivantes de développement, ce sera très compliqué pour les start-up dont les modèles brûlent beaucoup de cash.
Seuls les entrepreneurs qui avaient déjà compris que le meilleur des investisseurs est le client vont passer la crise. Toutefois, les start-up africaines recevaient déjà très peu d'investissements, donc elles sont plus ou moins habituées à avancer avec cette contrainte. Elle sera beaucoup plus forte, mais l'écosystème est plus résilient qu'ailleurs. Les entrepreneurs africains sont pragmatiques et sauront vite adapter leurs modèles.
Les investisseurs tech qui quittent le continent font une erreur. Khadijat Abdulkadir, fondatrice de Tudo, une des start-up sélectionnées, résume bien les choses quand elle dit qu'« il faut oser prendre un risque avec l'Afrique parce qu'il n'y a pas grand-chose à faire ailleurs ». Assefa Getnet, de iCog Labs, dit, lui, aussi simplement que, « dans une décennie, l'Afrique sera trop grande pour ceux qui n'auront pas pris pied sur le continent maintenant ».
Quelles sont les pistes envisagées ici et là pour relancer cet écosystème désormais défié par les multiples besoins des Africains ?
Il y a un besoin de plus de visibilité pour la tech africaine.
Le show WAN est une première réponse. Nous ne remercierons jamais assez Amobé Mévégué, l'initiateur de ce projet, qui a tout de suite adhéré à l'idée de créer ce cocktail musique, leadership et innovation. Le projet WAN, c'est une approche progressiste et fédératrice et qui va se développer dans les prochains mois.
Il y a besoin de plus de collaborations.
Ces cinq dernières années, avec Afrobytes, nous avons organisé des événements tech aux États-Unis (San Francisco, New York), en Asie (Hongkong), en Europe (Paris, Londres) et bien sûr en Afrique (Nairobi, Addis-Abeba). Des liens ont été tissés avec des acteurs globaux comme PayPal, Google, IE Business School, Facebook, le Medef International, Station F, Eutelsat, GIZ, Kaspersky… Sur le continent, nous sommes membres d'Afrilabs, qui est le plus grand rassemblement de tech hubs africains. Nous sommes aussi membres de Startup Sesame, qui réunit les événements tech majeurs en Europe (Slush, The Next Web, Hello Tomorrow…).
Nous lançons donc prochainement la plateforme AfricanTechIndustry.com, qui aura pour vocation d'accélérer les partenariats commerciaux entre tous ces acteurs.
Il y a besoin de plus de confiance en nos capacités.
Les start-up africaines vont avoir massivement besoin des utilisateurs africains pour grandir. Les populations peuvent bénéficier de produits et services pensés par les Africains pour les Africains dans tous les domaines essentiels de leur vie. Il s'agit de construire de la manière la plus inclusive possible une « african tech industry ». L'écosystème tech africain doit en effet créer son propre narratif et cesser de vouloir s'appeler « Silicon ceci » ou « Valley cela ».
Au regard de votre expérience dans le domaine, par quoi faudrait-il enrichir l'existant pour installer un cercle vertueux dans cet environnement tech ?
Nous avons trois challenges à relever qui ne coûtent pas des milliards de dollars d'investissements étrangers mais dont le succès repose uniquement sur notre capacité à nous rassembler autour d'objectifs communs : le challenge du transfert de technologie pour diffuser plus rapidement l'innovation à travers le continent ; le challenge de l'inclusivité pour être certains de concevoir des produits et services qui s'adressent au plus grand nombre ; le challenge de la transformation locale pour conserver plus de valeur dans nos échanges commerciaux.
* Le Point Afrique retransmet en Facebook Live sur sa page officielle le « WAN (Worldwide Afro Network) Show 2.0 »