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Avoir un ordinateur à soi, ce n’est pas pareil qu’en avoir un pour cinq. © gaujard christelle

Reconnecter les élèves hors circuit : des profs de la Creuse témoignent de situations injustes générées par la crise sanitaire

Les inégalités scolaires ont été accentuées par le confinement, et donc par l’accès au numérique, que ce soit une question d’équipement ou de débit. Des profs du secondaire de la Creuse témoignent de situations injustes générées par la crise sanitaire.

A Guéret, Lynette Thomas, principale du collège Martin-Nadaud cite un fait édifiant aux allures de double peine : « Durant le confinement, un papa s’est fait verbaliser alors qu’il venait chercher les devoirs photocopiés de son fils au collège » L’inspecteur d’académie a promis qu’il allait tenter de faire sauter l’amende.

Les photocopieuses  en surchauffe

Il y a 480 élèves au collège Martin-Nadaud et « nous avons identifié 87 familles qui n’avaient pas accès aux outils numériques. Avec l’équipe de direction nous avons imprimé les cours et les devoirs. Durant les deux premières semaines, il a d’ailleurs fallu refroidir les ardeurs de certains enseignants : 61 pages à photocopier pour un cours sur les proportions, ça faisait beaucoup ! », sourit Lynette Thomas.
Les parents, dont certains étaient aussi en difficulté avec la langue française, se sont montrés consciencieux : « Au final, il n’y a que 4 ou 5 élèves avec lesquels nous avons perdu le contact ».

La photocopieuse a chauffé aussi au collège Marc-Bloch de Bonnat : « La principale et le conseiller principal d’éducation ont pris sur eux de fournir les devoirs photocopiés à une dizaine d’élèves vivant en zone blanche », relate Maud d’Alençon, professeur de lettres, qui ajoute cette anecdote caractéristique de la ruralité : « Un jour, pour trouver un élève et lui donner ses devoirs, notre principale s’est même fait escorter par un tracteur ! ».
Dans les lycées guérétois, « tout le monde est sur le pont, l’administration, les assistants d’éducation », souligne Isabelle Pénicaud, professeur d’anglais à Pierre-Bourdan, qui ajoute : « On n’hésite pas à rappeler les élèves pour les remotiver. […] quand il y a un souci de communication, on accepte tous les supports, y compris une photo du devoir. Cela dit, corriger à partir d’une photo ce n’est pas simple ».
Les soucis de connection ne concernent pas que les élèves. « Notre plate-forme de communication avait une capacité trop faible. On a passé des journées entières sans pouvoir se connecter. Notamment les élèves ou les profs qui habitent à la campagne, avec des lignes saturées », témoigne Dominique (*), prof de lettres à Guéret. L’occasion de révéler des « élèves méritants ».

Course d’obstacles dans  le secteur de Vassivière

Dominique qualifie de « formidable » une élève qui « habite vers le lac de Vassivière et qui m’avait signalé ses problèmes de connexion. Eh bien, au final elle me rend systématiquement ses devoirs. Elle se débrouille peut-être avec des voisins ».
Si les « élèves perdus de vue » semblent vraiment faire exception dans les collèges creusois, l’évaporation est beaucoup plus forte au lycée.

 

« Il n’y a que le tiers des élèves qui travaille. Les autres, c’est zéro »

Stéphane Garel, prof de maths au lycée Favard, fait ce constat : « Les élèves qu’on a perdus, ce sont ceux qui étaient déjà démotivés en classe. Il ne fallait pas grand-chose pour les décourager ». Des élèves déjà « hors circuit », avant le basculement général vers l’enseignement à distance, confirme Isabelle Pénicaud. Dominique cite le cas d’une classe de première : « Il n’y a que le tiers des élèves qui travaille. Les autres, c’est zéro. Ils n’ont rien fourni depuis le début du confinement ». A contrario, elle cite la bonne surprise » que lui a offerte « une classe en difficulté dont les élèves se sont retrouvés très assidus depuis la mi-mars. Hormis cinq élèves qui ne travaillent pas du tout, qui n’ont jamais rien envoyé ni jamais communiqué avec nous, les 25 autres sont très réguliers et presque plus motivés qu’ils ne l’étaient en classe ».
Avec la réforme du bac, le confinement et l’incertitude qui perdure s’agissant des oraux de français « les élèves de première ont pris cher », convient un prof guérétois. « Le bac de français ça reste la grosse inquiétude, renchérit Isabelle Pénicaud, les oraux de français provoquent une crispation. Élèves et parents sont inquiets »

Pour les années à examen, d’autres « injustices » en perspective

La reprise ou non des cours en juin pourrait provoquer des injustices. « Les internes ne seront pas acceptés », relève Dominique, prof de lettres. Dans le secondaire, le risque d’« injustices » est particulièrement élevé pour les deux « années à examen », la troisième et la terminale.
Si la prof d’anglais Isabelle Penicausd se félicite que « les inscriptions à Parcoursup ont pu se terminer juste avant le confinement », elle n’en regrette pas moins qu’« au troisième trimestre nous mettons des notes juste pour la forme. Ce qui désavantage les élèves un peu tangents qui ne pourront pas se rattraper ».
A contrario, les élèves qui ont eu des notes correctes sur les deux premiers trimestres ont parfois levé le pied. Stéphane Garel se veut compréhensif avec ceux qui « savent déjà qu’ils ont le bac ».
Un relâchement qu’observe aussi Maud d’Alencon chez ses élèves de troisième : « Depuis que le ministre a annoncé que le brevet des collèges ne reposerait que sur le contrôle continu, des excellents élèves qui n’avaient pas le profil de décrocheurs mais qui savent qu’ils ont le brevet, sont devenus très difficiles à mobiliser. Pour eux c’est fini ».

Des efforts mal récompensés

Et le fait de ne pas avoir pu évaluer ses élèves durant le confinement pose un cas de conscience à la jeune prof de français de Bonnat : « Les conseils de classe du troisième trimestre sont maintenus début juin et ça va être un casse-tête, car il y a des élèves en grande difficulté qui ont été hyper assidus, certains ont même demandé des cours de soutien durant les vacances. Logiquement, malgré tous leurs efforts, ils n’auront pas le brevet ».
Tant qu’à bouleverser toutes les règles, et si ce brevet des collèges et ce bac 2020, étaient donnés « au mérite »?? 

Julien Rapegno

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