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«Accord Macron-Merkel: enfin!» La chronique de Matthias Fekl

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L’Union européenne, née en réponse à la pire barbarie du siècle passé, est enfant de la crise ; souvent, elle grandit et progresse lorsqu’elle est confrontée aux blocages et à l’urgence. La récente et ambitieuse initiative franco-allemande en offre une nouvelle illustration. La pandémie du Covid-19 aura ainsi permis au président de la République et à la chancelière allemande, non seulement d’inaugurer un nouveau concept – la visioconférence de presse à distance, mais simultanée et conjointe – mais aussi de poser un premier acte fort pour répondre ensemble aux nouveaux défis d’aujourd’hui et de demain.

Les Européens convaincus se doivent de saluer ces annonces franco-allemandes, en même temps qu’ils ne peuvent que regretter la faiblesse des réactions politiques comme la relative modestie du traitement médiatique qu’elles ont suscitées : le projet européen ne mérite-t-il pas des analyses plus fouillées, et la lassitude y fait-elle désormais figure de principale forme de réponse ? Notre débat politique est-il devenu si pauvre qu’une telle initiative ne provoque qu’indifférence et polémiques faciles, en lieu et place de propos argumentés sur l’Europe que nous voulons construire ? Cet état de fait est d’autant plus marquant qu’en Allemagne, le sujet a fait la une de tous les journaux, papier comme télévisés, et qu’il irrigue le débat public dans son ensemble depuis une semaine.

Il est vrai que les annonces communes, en particulier sur la dette, marquent une inflexion profonde des positions allemandes sur ce sujet sensible. Les totems et tabous allemands sur la question viennent de loin. La crise économique des années 1920 et 1930 a laissé jusqu’à aujourd’hui des traces profondes dans l’inconscient collectif outre-Rhin : l’hyperinflation, la ruine de millions d’Allemands précipités dans la misère, le rôle de cette crise parmi les nombreuses causes de la montée du nazisme ont marqué des générations entières. En sens inverse, le miracle économique allemand après la guerre (Wirtschaftswunder) a constitué l’un des rares éléments de fierté nationale pour un pays par ailleurs honteux de son passé récent.

Constance. Par voie de conséquence, le Deutsche Mark était devenu le symbole de cet attachement à une économie robuste et résiliente. En période plus récente, s’y ajoute, outre les transferts massifs d’Allemagne de l’Ouest vers l’Allemagne de l’Est après la réunification, le sentiment d’avoir consenti d’importants efforts via des réformes structurelles difficiles et souvent douloureuses, et le refus assez répandu de payer pour des pays réputés moins bien gérés.

Ces éléments d’importance diverse, cumulés sur cent ans d’histoire, expliquent l’attention portée par l’Allemagne à sa réputation économique et financière internationale comme à la stabilité de l’euro, et son attachement viscéral à la qualité de sa signature. L’infléchissement récent n’en est que plus significatif.

En plus de la constance remarquable de la diplomatie française sur ce dossier, l’on peut trouver deux explications principales à cette évolution de fond. D’abord, sans doute, la volonté d’Angela Merkel de laisser sa marque dans l’histoire européenne. Après quinze années d’exercice du pouvoir, le temps semble venu de conforter son bilan européen et de prendre clairement position sur les sujets d’avenir.

Au-delà, cependant, les inflexions allemandes me semblent répondre à des objectifs plus structurels. En effet, la violence de la pandémie, les réponses d’abord étroitement nationales qui y ont été apportées, les tentations de replis nationalistes durables font désormais peser un risque réel sur la pérennité même du projet européen. Comment les peuples pourraient-ils aimer une Union « projet de solidarité », lorsque celle-ci échoue à agir en temps utile alors que l’essentiel est en jeu, et que son temps d’action se compte en semaines alors que la vie et la mort sont devenues une question d’heures ? Comment l’euro pourrait-il être viable sur le long terme, alors que l’intégration budgétaire est insuffisante pour assurer le fonctionnement optimisé de l’union monétaire faute, notamment, de mécanismes de transferts satisfaisants ?

Ces questions, de longue date sous-jacentes, sont apparues crûment ces dernières semaines. L’Allemagne croit en l’intégration communautaire, qui fait l’objet d’un relatif consensus politique depuis des décennies, même s’il est aujourd’hui moins solide ; elle a aussi besoin de l’euro et de l’intégration européenne, gages de stabilité.

Ces derniers temps, les commémorations du passé – toujours nécessaires – semblaient avoir absorbé l’essentiel de l’énergie franco-allemande, au détriment d’une imagination créatrice davantage tournée vers l’avenir. Il est réjouissant de voir que France et Allemagne donnent de nouveau des impulsions fortes à la construction européenne

Des incertitudes demeurent, bien sûr, quant à l’avenir de cette initiative franco-allemande. Les réticences, voire l’hostilité de nombreux pays européens ne sont pas surmontées ; en Allemagne même, les propositions sont devenues un sujet de politique intérieure, le chancelier autrichien Kurz ayant même été invité à un débat du CSU, parti allié d’Angela Merkel mais, comme l’Autriche, largement hostile à toute mutualisation de dettes ; enfin, si les contours de la proposition sont clairs, les modalités concrètes de mise en œuvre doivent encore être précisées, en particulier pour définir le degré de solidarité et de transferts auxquels procédera le nouveau dispositif.

Il n’en demeure pas moins que le couple franco-allemand a réussi à se sortir de la naphtaline dans laquelle il risquait de se confiner, et que le moteur franco-allemand a cessé de ronronner. Ces derniers temps, les commémorations du passé – toujours nécessaires – semblaient avoir absorbé l’essentiel de l’énergie franco-allemande, au détriment d’une imagination créatrice davantage tournée vers l’avenir.

Illusion rétrospective. Depuis la rencontre fondatrice entre Charles de Gaulle et Konrad Adenauer à La Boisserie, France et Allemagne ont, certes, connu de nombreuses périodes d’incompréhension et de malentendus. Que ce soit en raison de déconnexions de leurs cycles économiques, d’intérêts divergents ou de différences de cultures politiques, les relations bilatérales n’ont jamais été simples, et il convient, ici comme ailleurs, de se méfier de l’illusion rétrospective du long fleuve tranquille. Pour autant, l’Europe a toujours avancé lorsque les deux pays sont parvenus à se mettre d’accord sur l’essentiel, à surmonter leurs différences, et à se projeter dans l’avenir en proposant ensemble une vision commune, conjuguant la poursuite d’intérêts légitimes et la défense de valeurs supérieures.

Il est réjouissant de voir que France et Allemagne donnent de nouveau des impulsions fortes à la construction européenne, et souhaitable qu’elles redeviennent durablement une force de propulsion pour une Europe de projets concrets et de nouvelles solidarités de fait. Ainsi nos deux pays pourront-ils offrir à leurs partenaires européens une vision d’avenir ouverte, indispensable pour tracer une réponse européenne commune aux nombreux défis à relever ensemble.

Matthias Fekl est avocat, ancien ministre.