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Des champs de blé en France.
© Sipa Press

«Pour une souveraineté alimentaire solidaire de la France». La chronique de Sébastien Abis

« Combinons les forces de la France et des autres pays membres de l’Union européenne pour demain préserver une puissance alimentaire à la hauteur des enjeux géopolitiques, des attentes sociétales et des défis climatiques »

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Sébastien Abis est directeur du Club Déméter et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Il est aussi codirecteur de l’ouvrage annuel Le Déméter, qui explore les grandes thématiques agroalimentaires mondiales. Il propose, avec la série « Le dessous des tables​ », une prise de hauteur sur les défis agricoles et alimentaires.

La crise actuelle du Covid-19 amène certains sujets sur le devant du débat stratégique en France. La souveraineté et l’agriculture en sont deux illustrations. La première interroge la puissance de notre pays et notre rapport au monde qui change. La seconde concerne un invariant de la sécurité humaine : pouvoir se nourrir quotidiennement. Pour penser la souveraineté alimentaire solidaire de la France, une approche combinatoire et pyramidale s’avère indispensable.

Le premier étage est évidemment national. C’est mettre l’agriculture comme secteur clef de nos territoires, de notre économie et de notre vivre-ensemble. La France est riche de productions variées, en quantité et en qualité. Des complémentarités régionales permettent de proposer aux consommateurs une multitude d’aliments. Les départements, régions et collectivités d’outre-mer complètent aussi cet éventail productif. Il convient toutefois d’entretenir cette hétérogénéité spatiale dans un cadre politique national. La France agricole repose sur une base fondamentale : ses territoires. Mais pour eux, le meilleur moyen de valoriser des atouts locaux et de formuler des solutions raisonnables, c’est de les inscrire dans une perspective française.

Demain, pour être cohérent dans la solidarité entre agriculteurs et consommateurs, c’est le made in France qu’il convient avant tout de soutenir. Avec l’accessibilité de ces produits pour tous, y compris les plus démunis. La solidarité, c’est aussi de faire en sorte que tous les Français puissent consommer des aliments de qualité : le made in France ne peut être l’affaire d’une minorité. Et si nous voulons renforcer notre souveraineté alimentaire, il sera en outre essentiel d’investir sur la pêche et l’aquaculture, car les seuls produits de la terre ne suffisent pas. Combinons l’économie verte du rural avec l’économie bleue du littoral.

« Peu de secteurs offrent encore à notre pays un rôle central dans les affaires mondiales, qui correspondent non seulement à nos atouts et nos valeurs, mais aussi aux besoins globaux »

Arme de protection massive. Le second étage est nécessairement européen. Notre sécurité alimentaire s’amplifie grâce aux solidarités continentales. Des marchés mis en commun, des normes de sûreté sanitaire, des protections géographiques, des exigences environnementales : c’est l’histoire d’une politique agricole commune (PAC) qui aura cimenté la construction européenne et conditionné le progrès de la France depuis plus d’un demi-siècle. L’Europe, ce sont des agricultures en partage et une arme de protection massive pour les populations. Mal comprise, la PAC est aussi mal nommée : c’est en réalité une politique alimentaire citoyenne pour un demi-milliard de consommateurs. Demain, le pacte vert européen sera climatique et agricole, sinon rien. Combinons les forces de la France et des autres pays membres de l’Union européenne pour demain préserver une puissance alimentaire à la hauteur des enjeux géopolitiques, des attentes sociétales et des défis climatiques.

Le troisième étage de la souveraineté alimentaire solidaire est international. La France possède un vaste tissu d’acteurs, publics et privés, qui participent au développement des agricultures dans le monde. Quand des ministères et des agences de l’Etat, des collectivités territoriales, des associations, des établissements scolaires, des organismes de recherche et des entreprises agissent sur les questions de sécurité alimentaire, ce sont autant d’initiatives en faveur de la paix. Le poids de la France en la matière est réel et positif. Peu de secteurs offrent encore à notre pays un rôle central dans les affaires mondiales, qui correspondent non seulement à nos atouts et nos valeurs, mais aussi aux besoins globaux.

« Si nous voulons être solidaires du futur, la santé de la planète s’impose comme dernier étage de cette pyramide combinatoire. La souveraineté, c’est tout sauf l’enfermement et le refus du monde »

Dimension géopolitique. Ce rayonnement ne doit être ni exagéré, ni sous-estimé. Il n’est pas que commercial et lié à l’attractivité de nos produits. Il est scientifique, humanitaire, socio-organisationnel et tactique. Avec les questions alimentaires, la France doit conjuguer sa générosité et ses intérêts internationaux. Développement, diplomatie et défense forment un seul triptyque pour exprimer une coopération française plurielle et responsable. Demain, cessons de distinguer celles et ceux en France qui travaillent en direction d’un monde où les problématiques de l’insécurité alimentaire sont si prégnantes et tellement complexes.

Voilà donc les trois étages d’une souveraineté alimentaire solidaire : national, européen et international. Etre bon d’abord à domicile grâce à ses territoires, jouer ensuite l’Europe et rester ouvert sur l’extérieur, y compris parce que nous devons compter sur les autres pour nous apporter des matières premières, des aliments, de l’innovation et des expériences. Et si nous voulons être solidaires du futur, la santé de la planète s’impose comme dernier étage de cette pyramide combinatoire. La souveraineté, c’est tout sauf l’enfermement et le refus du monde.

La souveraineté, c’est savoir classer, pour un Etat, des secteurs d’activité dans un agenda stratégique prioritaire, en mobilisant efficacement ses opérateurs publics, privés et associatifs, afin d’en avoir la maîtrise, parce qu’ils sont considérés comme des piliers de la sécurité nationale et de l’influence internationale. La dimension géopolitique de l’alimentation vaut en tout temps et sur tous les territoires. Demain, la France ne saurait l’oublier. Pour la santé de ses citoyens, pour son rayonnement dans le monde et pour sa contribution aux objectifs de développement durable, ses forces agricoles doivent être cultivées, dans toute leur diversité.