«Les ZAD ? Un besoin et une envie de sens !»
Dans un documentaire empathique, diffusé ce 26 mai sur France 2, les réalisateurs Thierry Kübler et Stéphanie Molez donnent la parole à ceux qui font vivre les «Zones à défendre», de Bure à Notre-Dame-des-Landes.
by Christelle Granja«Qu’est-ce qu’une ZAD?» Nouvelle forme de contestation politique, laboratoire d’expérimentation sociétale, utopie, matière à réflexion ? La question ouvre le documentaire de Thierry Kübler et Stéphanie Molez, et guide le spectateur de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) à Kolbsheim (Alsace) ou encore à Bure (Meuse), à la rencontre de ceux qui ont choisi de vivre et de travailler dans ces Zones d’aménagement différées, au nom de baptême détourné et désormais bien connu, les «Zones à défendre».
«La ZAD est un besoin, dont nous sommes le symptôme», avance l’un ; «C’est un besoin et une envie de sens, de vivre autre chose, de faire sécession», renchérit un autre. «La ZAD est perçue comme le dernier moyen d’action possible, elle naît de l’impossibilité d’agir autrement», observe la réalisatrice et monteuse Stéphanie Molez. Occuper de manière permanente le site d’un projet d’aménagement pour empêcher le début des travaux : si le principe de base est simple, ses ressorts et sa mise en œuvre le sont moins.
Des gens normaux
Alors, une année durant, à partir de l’été 2018 (plusieurs mois donc après l’annonce par Edouard Philippe de l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes et les démolitions d’habitats qui ont suivi), et à raison de cinq semaines de tournage, les réalisateurs ont posé leurs micros et caméra au cœur des bocages et forêts où se sont créés de nouveaux villages en lutte, pour capter le quotidien de leurs habitants, écouter leurs espoirs, leurs incertitudes, leurs colères, leurs conflits aussi.
Sans militantisme, mais avec une bienveillance subjective, et une ambition : «Donner à voir les zadistes comme les journaux télévisés les ont peu montrés : dans leur vie au jour le jour, au-delà des moments d’évacuation et de confrontation. Les filmer sans caricature, comme des gens normaux, tout simplement», défend Thierry Kübler (qui fut journaliste et pigiste à Libération, il y a une dizaine d’années).
Démonstration par l’image avec Benji, arrivé sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2014. «Gamin, j’étais pressé de bosser, je ne supportais pas le système scolaire […] mais quand j’ai commencé, j’ai eu l’impression de m’engager pour une longue peine de prison. La société aujourd’hui ne rend pas hommage aux gens qui consacrent leur énergie à la faire tourner», explique le jeune homme, voix claire et visage ouvert, tout en s’affairant, raclette à la main, à la réalisation des joints du carrelage d’une salle de rencontre et de débats ouverte à tous, l’AmbaZADa. Ici, qu’il s’agisse de nourriture, de cagnottes quotidiennes ou de prise de décisions – souvent longues, recherche du consensus oblige –, le mot d’ordre est de «mettre en commun».
Garder espoir…
Après Notre-Dame-des-Landes, «ZAD victorieuse, filmée après la bataille», les documentaristes nous amènent à Bure, où le projet d’enfouissement de déchets radioactifs baptisé Cigéo (pour Centre industriel de stockage géologique) cristallise la lutte antinucléaire. «Les enjeux sont énormes, ils se chiffrent en dizaine de milliards d’euros et surtout en centaines de milliers d’années», estiment les réalisateurs, qui interviewent des zadistes, des militants anonymes mais aussi Claude Kaiser, membre de l’association Eodra (Elu·e·s contre l’enfouissement des déchets radioactifs), pour dévoiler la débauche de moyens judiciaires déployés contre les opposants au projet, récemment dénoncée par une enquête conjointe de Mediapart et Reporterre.
Autre combat, autre ZAD : à Kolbsheim, en Alsace, la mobilisation contre le projet de Grand contournement ouest de Strasbourg (GCO) s’est soldée par un échec. La ZAD a été évacuée pendant le tournage, et le chantier a débuté. Mais si les Zones à défendre sont démantelées, certaines des aspirations qu’elles véhiculent peuvent-elles essaimer dans la société ? «La crise du Covid-19 montre que le mode de vie des zadistes, axé sur le local, la préservation de zones naturelles, le refus de l’hyperconsommation, est vertueux. Sur ces points-là, ils ont un coup d’avance», défend Thierry Kübler. Les derniers mots du film sont laissés à John, zadiste de Notre-Dame-des-Landes : «Gardons toujours espoir dans l’inattendu.»
ZAD, une vie à défendre. Infrarouge, mardi 26 mai à 23 h 50 sur France 2.
Et encore…
En attendant le festival Agir pour le vivant, initialement prévu mi-avril et reporté à cet été, à Arles, en partenariat avec Actes Sud, la rédaction de Libération propose à ses lecteurs un minisite composé de tribunes, interviews et éclairages, ainsi que d’une sélection d’articles sur le thème de la biodiversité issus de nos archives ou de notre rubrique Le Fil vert. A retrouver ici.