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Cédric O, le secrétaire d'État au numérique, chargé du dossier StopCovid.(AFP)

Lancement de StopCovid : vers la fin d'une épique bataille politique

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Le lancement de StopCovid, le dispositif de traçage des contaminations, a été une course d'obstacles. Il a fait l'objet d'une intense bataille au sein même de la majorité.

Le métro était fermé au public, mais la RATP avait tout de même mis son réseau souterrain à sa disposition. En milieu de semaine dernière, Cédric O, le secrétaire d'Etat au numérique, est venu assister en personne au premier essai grandeur nature de StopCovid, son application numérique, dans les transports en commun. D'autres tests ont aussi eu lieu en extérieur, des militaires se prêtant au jeu. "Nous attendons encore une partie des résultats, mais les premiers retours sont positifs", explique Cédric O au JDD.

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Mercredi, il défendra devant l'Assemblée nationale cette application très décriée, pensée pour aider à enrayer l'épidémie. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, et la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, prendront aussi la parole. "Si nous avons décidé d'aller devant le Parlement, c'est bien parce que nous sommes prêts", assure O, qui confie : "J'ai déjà une première version de l'appli sur mon téléphone." Si les députés votent en faveur de ce dispositif, l'application sera déployée dès le 2 juin. La fin d'une épique bataille politique.

Tout commence le mardi 24 mars. Cédric O découvre, étonné, le communiqué de l'Élysée amorçant une réflexion autour du traçage des personnes contaminées grâce à leur téléphone portable. Depuis que le professeur Christophe Fraser, de l'université d'Oxford, en avait vanté les mérites quelques jours plus tôt, Cédric O étudiait ce dispositif. Mais il pensait avoir du temps.

"Cette annonce a un peu mis le feu autour de ce sujet", reconnaît un conseiller ministériel. Dépistage sanitaire pour les uns, pistage sécuritaire pour les autres : le clivage s'installe. Y compris au sein du gouvernement. À l'Assemblée nationale, Olivier Véran fait part de son opposition. Et le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, souligne que cela ne fait pas partie de la "culture française". Tous deux changeront d'avis.

"Un véritable vaudeville"

Alors que le débat prend de l'ampleur, beaucoup de ministres se contentent du service minimum. "Où est passée Nicole Belloubet? s'étrangle un poids lourd de la majorité, hostile au projet. C'est la ministre de la Justice, et il est quand même question des libertés individuelles…" Quant à Christophe Castaner, s'il s'est montré discret, c'est un choix politique : les arguments en faveur de StopCovid doivent être sanitaires, pas sécuritaires. "S'il avait porté le sujet, ce serait devenu de la dynamite", pointe un député de la majorité. On ne se bouscule guère au portillon pour défendre l'application.

"Les soutiens ont été rares parce qu'avec ce type de dispositif on passe tout de suite pour un dictateur", estime un député. Régulièrement pointé du doigt par ses opposants pour son autoritarisme, Emmanuel Macron doit-il prendre le risque de défendre cette application? "Si le Président n'en voulait pas, ça lui aurait pris deux minutes pour me le dire et nous aurions arrêté", rétorque O.

Lundi 6 avril, le débat s'invite dans le huis clos du bureau exécutif de La République en marche (LREM). Le numéro un du parti, Stanislas Guerini, y est favorable ; le numéro deux, Pierre Person, opposé… Au début, Person tire à boulets rouges sur Cédric O, par écran interposé. Et, au moment de conclure, lâche une petite bombe : "Ce genre d'application est une ligne rouge qui peut remettre en question mon appartenance à la majorité." Cédric O ne répondra pas, ayant pris soin de quitter l'arène avant le pugilat.

La dispute se poursuit à l'extérieur, à coups de tribunes indignées. Le député LREM – et grand ami de Person – Sacha Houlié dégaine : "Faire croire aux Français qu'il pourrait y avoir un tracking vertueux est un mensonge." En coulisses, Houlié adresse à Macron un SMS dans lequel il insiste sur quelques points de droit problématiques. Sans réponse.

Dans la majorité, cet activisme des anti-StopCovid en exaspère beaucoup. "Si on avait eu un débat serein et intelligent, on aurait pu aller plus loin dans l'utilisation des données numériques, mais le débat a été dévoyé", regrette Mounir Mahjoubi, ex-secrétaire d'État au Numérique. La controverse finit par s'inviter dans la boucle Telegram du groupe. L'affaire devient "un véritable vaudeville", selon un Marcheur.

Apple et Google pas coopératifs

Voilà Cédric O obligé de se lancer dans un travail de couturier pour rapiécer la majorité. "Pendant deux semaines, j'ai passé des coups de fil. Pas pour caporaliser, mais pour expliquer." Il argumente : l'utilisation de l''application StopCovid se fera sur la base du volontariat, et les épidémiologistes la demandent. Le 15 avril, lors d'une visioconférence devant les Jeunes avec Macron (JAM), il explique pourquoi il est opposé au vote que réclament la gauche et la droite : "La seule chose qui va intéresser les médias, ce sont les gens de la majorité qui vont voter contre!" Or, dit-il à ces jeunes, "le but, ce n'est pas de fracturer la majorité…"

Cédric O tente de retisser le lien avec l'opposition. Le 17 avril, à 15 h 30, il s'entretient avec quelques sénateurs PS. "Nous serons d'autant plus sympathiques qu'on n'a pas oublié tes racines socialistes", s'amuse Patrick Kanner, le président du groupe. Le secrétaire d'État argumente, persuadé que plus il explique, plus il marque de points. Peine perdue. "Son intervention n'a pas fait bouger la moindre ligne", douche un sénateur.

Mais les obstacles ne sont pas uniquement politiques. A la genèse du projet, Cédric O avait échangé avec le hackeur Baptiste Robert. Mais vers la mi-avril, le ton change. "Je lui ai dit que techniquement cette application était un non-sens et qu'il allait se prendre un mur, se souvient Robert. Mais il n'a rien voulu entendre. Il porte ce projet comme un étendard." Le gouvernement a confié le pilotage du projet à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). Mais au sein même de l'institution, certains se consacrent surtout à son pilonnage. Sur une boucle d'e-mails internes, un membre de l'Inria ne cache pas son "malaise". Sans compter la résistance d'Apple et de Google, pas franchement coopératifs pour faciliter le déploiement d'une application gouvernementale.

"C'est à l'Etat de mener la politique sanitaire du pays, peste O. Je trouve inacceptable que des entreprises privées nous contraignent dans nos choix. Dans le monde de l'entreprise, leur attitude s'apparenterait à de l'abus de position dominante." Fin du feuilleton dans trois jours avec le vote des députés. Celui-ci aurait dû avoir lieu le 28 avril. Mais la veille, Edouard Philippe avait appelé Cédric O pour l'informer du report de ce point hautement inflammable, alors que le secrétaire d'Etat avait déjà commencé à écrire son discours. Il pourra le réutiliser mercredi.