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Pour la première fois, les Algériens, à l’instar des autres pays musulmans, ont été privés à l’occasion de l’Aïd-el-Fitr de cette année du droit de circuler et de rendre visite à leurs proches.© RYAD KRAMDI / AFP

Algérie : entre l'amer et le sucré, un drôle de goût pour l'Aïd 2020

REPORTAGE. Avec des conditions de confinement plus dures pour les 48 heures de l'Aïd, le port du masque obligatoire, l'Aïd de cette année est apparu bien étrange.

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« Il n'y a personne dans les cimetières cet Aïd, mais apparemment les gens sont décidés à les remplir. » Ahmed, le plombier du quartier, est d'humeur philosophe ce matin de l'Aïd-el-Fitr, observant ses voisins regroupés par grappes de dix ou quinze personnes dans leurs beaux qamis (tenue traditionnelle) ou en décontracté sportif cigarette et café à la main. Il est vrai que, contrairement à la tradition de la fête de la fin du jeûne du ramadan, on évite là les embrassades et les accolades chaleureuses, « mais quand même, se regrouper ainsi sans se distancier n'est pas vraiment sage », peste Ahmed. Ici et là, à vélo ou collés à leurs smartphones, des adolescents conjurent le temps pandémique avec leurs plaisanteries et leur énergie. Mais ils sont plus prompts à porter un masque de protection, devenu une sorte de mode.

Masque obligatoire

Oui, étrange Aïd 2020 avec les nouvelles mesures gouvernementales et cette ambiance morose que la grisaille du ciel algérois a accentué. Durant ces 48 heures, dimanche et lundi, les autorités ont décrété une interdiction totale de la circulation des véhicules, voitures et motocycles, et ont déplacé le curseur du couvre-feu à 13 heures au lieu de 17 heures pour le ramadan et 15 heures avant le mois sacré. Plus de visites à la famille ni aux cimetières comme le veut la tradition, on se contentera des vœux de l'Aïd par téléphone.

Samedi soir, le président Abdelmadjid Tebboune a appelé les Algériens, notamment les jeunes, « à faire preuve de patience face à l'effort qui reste à fournir et à interagir positivement avec les mesures préventives exceptionnelles durant les deux jours de l'Aïd ». « Ma mère a décidé de ne recevoir personne chez elle, mais un oncle est venu avec ses deux fils, ils étaient masqués mais ils voulaient faire la bise quand même. Il fallait vaincre la gêne et leur dire direct que là, non, pas possible  », raconte au téléphone Lamia, étudiante habitant à Alger-centre.

Le port du masque : voilà une chose avec laquelle les Algériens devront s'habituer pour éviter de tomber désormais sous le coup de la loi. Le port du masque est rendu obligatoire à partir du premier jour de l'Aïd (dimanche 24 mai) dans « tous les espaces ouverts ou fermés recevant le public, notamment les institutions et administrations publiques, les services publics, les établissements de prestations de services et les lieux de commerce », selon un décret. Des poursuites pénales sont même prévues contre les contrevenants.

Le danger des regroupements familiaux

Vendredi, le Premier ministre Abdelaziz Djerad a appelé à réussir le « défi du masque », dont les prix ont été plafonnés par les autorités. Devant les membres du comité scientifique en charge du suivi de l'épidémie de coronavirus, Djerad a affirmé que l'Algérie a réussi deux « grands défis ». Le premier est celui « des tests de dépistage », et le second est celui du « traitement à base de chloroquine », ajoutant : « Maintenant, aidez-vous à réussir le défi du port obligatoire du masque. » Le ministère de la Santé a annoncé que « 5 millions de masques issus du stock de la PCH (Pharmacie centrale des hôpitaux) » seront gratuitement distribués à Alger et Blida, les deux wilayas (départements) les plus touchées par l'épidémie. Le secteur de l'artisanat se met aussi dans la boucle des fournisseurs promettant une production journalière de 500 000 masques, voire un million. « À la suite des enquêtes faites dans certaines régions, nous avons constaté que l'apparition de certains foyers était liée à des situations de regroupements familiaux. C'est le cas, par exemple, lors de soirées ou de décès, où par tradition, des familles installent une tente où les gens discutent autour d'un thé. Mais personne ne sait qui porte ou pas le virus », a expliqué le ministre de la Santé Abderrahmane Bouzid au site Santé Algérie : « C'est pour cela que nous insistons beaucoup sur le port du masque. »

L'été sous cloche ?

Pour sa part, le journal Algérie Patriotique indique que « depuis le début du ramadan, plus de 3 800 cas ont été détectés à travers le pays avec près d'une centaine de décès. Mais le confinement ne semble pas être une solution durable. D'où l'engagement d'un travail de préparation du déconfinement qui sera progressif et avec l'obligation de porter le masque de protection ». Un déconfinement pour l'été ? « Pas avant une baisse substantielle des chiffres de contamination et la généralisation du port du masque », indique une source officielle au Point Afrique. Certaines plages sont même d'ores et déjà interdites au public des estivants : un avant-goût de cette saison touristique qui s'annonce amère, même si les ouvertures annoncées par des pays du sud de l'Europe pour l'été donnent un peu d'espoir pour ceux qui veulent changer d'air.

« Qahwa bla sôkkôr »

Mais, pour le moment, « les Algériens et les étrangers présents en Algérie, détenteurs de visas Schengen, ne sont toujours pas autorisés à voyager. Les frontières de l'Algérie et de l'Union européenne restent en effet fermées jusqu'à nouvel ordre », rappelle le site d'information TSA. Air France va augmenter dès mardi le rythme de ses liaisons Alger-Paris (quatre par jour), mais seulement pour « rapatrier les personnes encore bloquées en Algérie à cause de la crise du coronavirus ».

Au soir de dimanche, l'Algérie a enregistré 8 nouveaux décès du Covid-19 ces 24 dernières heures (contre 10 la veille), portant à 600 le nombre de morts dans le pays depuis le début de la pandémie. Le nombre de contaminations a augmenté de 193 cas pour un total de 8 306 cas confirmés. Le pays totalise 4 578 cas de guérison depuis le début de l'épidémie, et 14 776 patients sous traitement.

Ce même soir de dimanche, la ville se noie dans son propre silence sous le ciel qui s'entête dans sa grisaille. Du goût de l'Aïd ne persiste que les relents sucrés des beaux gâteaux algérois et la fierté gouailleuse des enfants montrant le henné sur leur main. Et encore. « Qahwa bla sôkkôr (un café sans sucre), commente Ahmed le plombier philosophe en parlant de cet Aïd. Nécessaire, mais tellement amer. »