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Du personnel hospitalier manifestant contre la politique du gouvernement à Paris le 21 mai 2020 (illustration) © AFP - Adnan Farzat / NurPhoto

Coronavirus - Journal d'un médecin : "Le Ségur de la Santé, le jour tant attendu pour nos hôpitaux"

Le professeur Louis Bernard est infectiologue, chef du service des maladies infectieuses au CHU de Tours, ancien chef de clinique à Paris. Il livre à France Bleu ses pensées sur la crise sanitaire due au coronavirus, à laquelle il est confronté dans son hôpital.

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Louis Bernard est en première ligne dans la lutte contre l'épidémie de coronavirus. Infectiologue, chef du service des maladies infectieuses au CHU de Tours, ancien chef de clinique à Paris, il livre son témoignage sur la crise sanitaire à laquelle il est confronté. Il revient sur des histoires individuelles*, réfléchit à la gestion de la crise, confie ses questionnements intimes. C'est son journal de bord, à retrouver tous les jours sur francebleu.fr.

"C’est le jour tant attendu pour nos hôpitaux, pour nos soignants : le Ségur de la Santé"

"Le Covid marquant une pause, j’avais interrompu mes lignes, j’en reprends quelques extraits toujours d’actualité. Nous avions parlé d’après Covid, c’est donc le jour tant attendu pour nos hôpitaux, pour nos soignants : le Ségur de la Santé.  

La situation hospitalière est simple : un mille-feuille non fonctionnel, des soignants écartelés entre des directives hors-sols et des restrictions financières permanentes, une tarification aberrante, des compétitions stériles public/privé, des salaires insuffisants, une maltraitance relationnelle fréquente, la liste est longue.  

Va-t-on continuer longtemps à exiger de ces grands professionnels d’être des comptables obnubilés par les euros plus que par leur volonté de soigner ?

Difficile, encore plus actuellement, de supporter cette fameuse hiérarchie des soins. Notre système de santé était déjà à genoux bien avant cette crise. Une restriction, drastique, quotidienne, depuis 10 ans. Du pain sec et de l’eau. Une tarification à l’activité. Inadaptée, spéculative qui s’alourdit encore face à un système pyramidal, amorphe ou peu réactif. Des formulaires à remplir pour tout et pour rien avec pour réponse l’attente. Attendre sans cesse des réponses qui ne viennent pas. Une ARS qui gère par mail aux heures ouvrables les hôpitaux.  Comment a-t-on pu en arriver là ? Pourquoi n’y a-t-il pas assez de matériel à l’hôpital ? Jeter à la figure du personnel hospitalier, héroïque en ce moment plus encore que d’habitude, que l’on maintient des projets de fermeture de lits en pleine épidémie est vraiment incroyable. 

"On nous a parlé de changements : jusqu’ici, rien"

Va-t-on continuer longtemps à exiger de ces grands professionnels d’être des comptables obnubilés par les euros plus que par leur volonté de soigner ? Coupables des déficits budgétaires parce qu’un patient coûte toujours trop cher !  Des années de néolibéralisme ont mis notre hôpital public à genoux.  Hier des centaines d’unités hospitalières en grève, plus de mille chefs de service démissionnaires. Le Covid ne nous rend pas amnésique.  Les professions invisibles ou oubliées, aides soignantes, agents de ménage, auxiliaires de vie sont passées sous la lumière crue de cette pandémie. Reconnues, applaudies et pour une fois plus importantes que les traders aux salaires indécents. Ça ne durera pas sauf si les métiers fondamentaux sont enfin revalorisés.  

Le déconfinement à venir sonne aussi la reprise d’une activité presque normale à l’hôpital. Il faut reprendre le soin, les soins, attendus chaque jour par nos patients.  On nous a parlé de changements. Jusqu’ici : rien. Les promesses auront tôt fait d’être englouties dans les abîmes de l’immobilisme. Le tsunami Covid n’a pas suffi. Tout est encore à l’avenant. La désorganisation résiste. Les directives contradictoires n’ont pas sombré. L’accalmie se dessine et toutes les mauvaises habitudes refont surface. Comment se fait-il que chaque région, chaque agence régionale de santé, chaque hôpital, chaque service soit contraint de réécrire ses procédures aux imperfections mille fois soulignées. 

Il est vrai que le patient de Dunkerque est forcément différent de celui de Brest. On noie le poisson dans du temps perdu. Nos filets s’alourdiront encore du poids des nouvelles procédures. Ils finiront par se rompre définitivement chez les chemins des extrêmes.  Covid tu risques de décupler nos colères si ces semaines de folie et de travail acharné ne débouchent que sur un Ségur de la santé politique et inadapté, renvoyant les soignants inventer un vaccin contre le mépris et l’oubli.  Il faut faire confiance enfin aux soignants à l’œuvre sur le terrain sinon le personnel en blanc sera en colère rouge, un nouveau covid interne.  Bas les masques. Il est temps."