Lundi poésie : aujourd'hui, «eh jude ne nous lâche pas»
Chaque semaine, coup d’œil sur l'actualité poétique. Ce lundi, un recueil épars de Pierre Alferi.
by Guillaume Lecaplaindivers chaos, ce sont diverses séries de textes regroupées par Pierre Alferi, de teneurs et de périodes différentes, mais qui ont en commun cette forme d’humilité : le poème est court, ne prend pas beaucoup de place dans la page, n’ose pas la majuscule au début des vers. Promenade urbaine, lecture de graffitis, descriptions de sauts d’obstacles, d’algues ou de parfums : ce qui rassemble par ailleurs ces textes, c’est une attention à la «perception présente», explique Alferi, et une tentative de la reconstituer par le langage. Formellement, cela n’empêche en rien les rimes ou un rythme d’une efficacité de scansion. «le matin seul sous le vent / est-ce toi / le lutin sale aux tablas / soûl de vin / et de comptines amères / par hasard / qui jouerait avec la mort / en mesure ?»
Le recueil comprend par ailleurs des expérimentations formelles : des «poèmes chinois» où les mots sont présentés deux à deux de bas en haut, comme des idéogrammes, des poèmes prolongés par des illustrations ou un sonnet entièrement constitué de dessins. Enfin, Pierre Alferi rend hommages à ses aînés, comme John Ashbery. Voici celui adressé à Jude Stéfan, le poète né en 1930 à Pont-Audemer, dans l’Eure (d’où l’allusion au trou normand) et qui cite évidemment aussi une célèbre chanson des Beatles.
et jude où est-il ? dans son trou
normand ? mais non ce mur
de verdure est sa couverture
jude est en l’air pas loin
au ciel ? mais non pas chez le père
alors il reste dans sa tour
d’ivoire ? mais non
jude n’est pas obscur ni haut
jude est chépèr il chine
la quincaillerie
du tapin catholique
à la recherche de la perle
à dissoudre dans le vinaigre
du temps menton voilé
de gris démarche
chansautillante voix
raclée reprise fluettranchante
regard papillon qui se pose
à peine larme slave à l’œil
lorgnant le guignon
du siècle dernier il nous reste
tant de cartouches pleines
il lâche eh jude ne nous lâche pas
le guidon il manque verser
dans le fossé de sa campagne grasse
une luxuriance de serre
chaude frayée à la machette
moderne et il en sort content
du sort il a aimé la scène
qu’il a lue dans un nuage noir
morbide fut macabre
serai dit-il bandant
son arc métrique
d’actéon forcé
de serf pris en flag
avec la tsarine ou la vierge
aux moches seins
lyrique formaliste ironique
jude est jalousé par les gros
barons de l’avant-scène
car il est là il reste
dans le siècle n’importe
lequel mais à l’arrière
notre champion notre victor
mature dont marlene disait
si on le cherche il est derrière
dans la roulotte avec les filles
Pierre Alferi, divers chaos, éd. P.O.L., 272 pages, 18 euros.