Du prototypage au produit fini, les promesses et les défis de l'impression 3D

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Du prototypage au produit fini, les promesses et les défis de l'impression 3D© Stratasys

La pandémie de Covid-19 a projeté l'impression 3D, appelée également fabrication additive, sur le devant de la scène. Pour pallier le manque d'équipements de protection individuelle (EPI), les entreprises du secteur et leurs partenaires ont pu créer de nombreuses pièces en un temps record grâce à cette technologie. Mais une fois la crise sanitaire terminée, que restera-t-il de cet engouement ? Quelle est la force de frappe de l'impression 3D au sein de l'industrie manufacturière ? Est-ce qu'elle remplacera un jour les méthodes de fabrication traditionnelles ?

L'impression 3D, une solution de secours

Ecouvillons, masques de protection, visières, poignées de coude, valves respiratoires… De nombreux objets ont été imprimés en 3D pendant la crise sanitaire. "En tout, HP et ses partenaires ont imprimé 1,5 million de pièces depuis le début de la crise un peu partout dans le monde", se félicite Nicolas Aubert, directeur de l'impression 3D chez Hewlett-Packard France, interrogé par L'Usine Digitale.

L'entreprise américaine, qui s'est positionné sur ce secteur il y a trois ans, a notamment participé à l'opération "Les visières de l'espoir". Le 20 mars 2020, le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen a alerté sur un manque d'équipement de protection dans les blocs de réanimation. Paris Saclay Hardware Accelerator a répondu à cet appel en 48 heures et a conçu, produit et distribué bénévolement des visières de protection intégrale partiellement imprimées en 3D. HP a également répondu à cet appel et a mis en relation les hôpitaux avec ses partenaires équipés d'imprimantes 3D comme Decathlon. L'Oréal, BASF, Aereco… ont aussi participé à cette opération. En tout, ce sont 13 000 visières qui ont été livrées aux personnels soignants.

L'entreprise américaine Stratasys se félicite également de son implication dans la crise sanitaire. "Nous avons répondu très fortement au manque d'équipements médicaux. Au départ, c'était pour fabriquer des visières aux Etats-Unis puis ce mouvement s'est étendu à l'échelle mondiale grâce à nos partenaires", explique Andy Langfeld à L'Usine Digitale. Le président de Stratasys Europe Middle East & Africa est très fier de dire que le groupement hospitalier français Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) s'est équipé de 60 imprimantes industrielles de leur Série F123 (photo ci-dessous). "En tirant parti de la technologie d’impression 3D à cette échelle, AP-HP s’est créé sa propre chaîne d’approvisionnement en interne plaçant la production directement là où elle est nécessaire et s’assurant que les équipements essentiels sont rapidement accessibles au personnel médical", analyse Andy Langfeld.

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"Nous ne voulons pas être une alternative aux industries en charge de la fabrication de visières ou de masques de protection. En fait, l'impression 3D a permis de combler le manque de matériels le temps que les secteurs concernés se mettent en marche", analyse Nicolas Aubert de chez HP France. Mais la fabrication additive deviendra-t-elle alors un jour une vraie alternative à l'injection plastique classique ou restera-t-elle une goutte d'eau dans l'industrie manufacturière ?

Le prototypage reste l'usage principal

L'impression 3D désigne les procédés de fabrication de pièces en volume par ajout ou agglomération de matière, par empilement de couches successives. Tous les processus d'impression 3D requièrent des outils logiciels, du matériel et de la matière, appelée "agent". Grâce à la conception assistée par ordinateur (CAO), la pièce imaginée est modélisée puis imprimer en suivant le modèle contenu dans un fichier 3D. D'abord cantonnée au prototypage, la fabrication additive a peu à peu pénétré des secteurs industriels.

D'après une étude de Sculpteo, l'utilisation de la fabrication additive pour la production est passée de 17% en 2015 à 51% en 2019. Le prototypage et la preuve de concept représentent l'usage principal des imprimantes 3D pour plus de 60% des 1300 personnes interrogées. En 2019, le nombre d’acteurs qui a intégré la fabrication additive pour une production à grande échelle a doublé par rapport à 2018, selon une étude menée par Essentium.

47% des entreprises interrogées utilisent la fabrication additive pour concevoir des séries de milliers de pièces en 2019, contre 17% en 2018. Concernant les matériaux, le marché des thermoplastiques continue de croître chaque année mais l'impression 3D métal s'impose de plus en plus. En effet, le métal est particulièrement intéressant dans l'aéronautique et dans l'automobile. A ce titre, le rapport Wohlers publié en 2019 annonçait que les ventes de solutions métal ont augmenté de 41,9% depuis 2018.

Chaque année, le fabricant Ultimaker publie une étude comparative entre 12 pays. Il s'appuie sur la connaissance du marché, l’adoption de la technologie, des indicateurs de croissance de l’impression 3D, la perception de la technologie dans le futur et les installations existantes. En 2019, les Etats-Unis sont largement en tête sur le marché de l'impression 3D notamment grâce à la taille, à la maturité  et au nombre important de prospects pour l’impression 3D. Le Royaume-Uni est deuxième dans ce classement, suivi par l'Allemagne et la France. La Chine est classée 5ème.

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Trois grande familles de procédés

Schématiquement, il existe trois grandes familles de procédés. Le dépôt de fil fondu ou Fused deposition modeling (FDM) consiste à déposer de la matière couche par couche grâce à un filament de matière polymère qui est fondu puis extrudé. Le frittage sélectif par laser ou selective laser sintering (SLS) utilise un laser pour durcir et lier des petits grains de plastique, céramique, verre, métal. Le laser dessine le motif de chaque section du dessin 3D sur un lit de poudre. À chaque fois qu'une couche est terminée, le lit s'abaisse et une autre couche est créée au-dessus des couches précédentes.

Le lit continue à s'abaisser jusqu'à ce que la dernière couche soit formée et que la pièce soit terminée. Le troisième procédé et le plus ancien. La Stéréolithographie ou stereolithograph apparatus (SLA) utilise le principe de photopolymérisation pour fabriquer des modèles 3D à partir d’une résine sensible aux UV. Un objet peut être imprimé en 3D en étant déplacé de bas en haut (ou inversement) afin de créer de l’espace pour les polymères non solidifiés dans le fond du réservoir. Ces polymères forment la prochaine couche de l’objet.

Chaque entreprise spécialisée dans la fabrication additive revendique son propre procédé, sa marque de fabrique. HP a développé la technologie Multi Jet Fusion (MJF). Son fonctionnement est le suivant : au cours de l'impression, un agent liant est déposé sur la couche de matériau à l'endroit où les particules doivent être fusionnées. Ensuite, un second agent liquide spécial est déposé pour fusionner et créer les détails. Pour terminer, la couche de matériau est chauffée afin de faire réagir les agents liants et le matériau pour créer la pièce.

"L'avantage technique de notre méthode est l'approche que nous avons au niveau des 'voxels' c'est-à-dire des pixels en volume. Ce sont des petits cubes qui composent une pièce. Le 'voxel level control' permet de contrôler la construction de chaque pièce au niveau de ces voxels. Cela permet de donner les propriétés à cette pièce à mesure qu'on la construit ", explique Agnieszka Thonet, chargé des partenariats au HP Labs, à L'Usine Digitale.

Il faut ajouter à ces multiples procédés, les techniques encore au stade de recherche. Début septembre 2019, la société de biotechnologie BIOLIFE4D a annoncé avoir réussi à imprimer un cœur humain miniature. A ce stade, l'organe imprimé ne reproduit que partiellement les fonctionnalités de l'organe capable, en principe, d'envoyer le sang dans l'ensemble du corps. A terme, l'objectif de la jeune pousse serait bien évidemment d'imprimer un cœur humain fonctionnel d'une taille normale pour pouvoir le commercialiser.
 

En 2019, le marché mondial de l'impression 3D, services et matériaux était estimé à 13,8 milliards de dollars d'après une étude de l'International Data Corporation (IDC). En se basant sur un taux de croissance sur cinq ans de 19,1 %, le marché devrait avoisiner 22,7 milliards de dollars en 2022. "Le marché mondial de l'industrie manufacturière est de 1,2 trillion. L'impression 3D reste donc une goutte d'eau et a encore une marge de progression", note Nicolas Aubert.

Mais la fabrication additive est aujourd'hui pleinement intégrée dans les processus de production à l’échelle industrielle dans des secteurs très divers comme l’aéronautique, l’automobile, le médical ou encore les biens de consommation. "L'impression 3D constitue vraiment une nouvelle façon de concevoir : plus agile, plus personnalisé, plus souple, plus local… C'est beaucoup plus rapide. Nous passons de quelques mois à quelques heures", estime Agnieszka Thonet du HP Labs. Même son de cloche du côté de Stratasys. "Par rapport à la fabrication traditionnelle, la fabrication en 3D apporte une très grande liberté de création et design", indique Andy Langfeld. 

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Prototype d'une bouteille de parfum réalisé par une imprimante Stratasys

Par ailleurs, les deux entreprises américaines ont à cœur de montrer que la fabrication additive s'inscrit parfaitement dans le cadre des défis environnementaux actuels. "Dans l'industrie classique, il y a beaucoup de déchets. La fabrication additive permet de construire un objet avec la quantité de matière exacte sans perte, explique Andy Langfeld et ajoute, l'impression 3D fonctionne dans un environnement décentralisé. Il n'y pas besoin de transporter les objets aux quatre coins du monde. Cela réduit considérablement les émissions de gaz à effet de serre. Nous pouvez produire l'objet là où il a été demandé". Nicolas Aubert ajoute que chez HP, la poudre est recyclée à chaque impression. Les machines fonctionnent en cycle fermé en utilisant 20 % de poudre neuve et 80 % de poudre réutilisée. Par ailleurs, Agnieszka Thonet ajoute que "certaines poudres, comme le polyamide 11, sont biosourcées" c'est-à-dire qu'elles proviennent de matière d'origine biologique. 

Du prototypage au produit fini

L'utilisation de l'impression 3D va du prototypage au produit fini. Chez HP, l'ambition est "d'apporter une solution évolutive" aux clients, explique Nicolas Aubert. En effet, sa gamme de produit couvre des machines industrielles adaptées à un environnement de production haute capacité mais également des "imprimantes 3D tout-en-un" avec une productivité plus faible. D'après le directeur France de l'impression 3D, l'objectif d'HP est d'avoir "un prototype qui puisse ensuite être produit de façon plus importante sur la même technologie juste en changeant de machine. Seule la productivité et le coût changent".

Les avantages de la fabrication additive l'ont propulsée dans de domaines très divers. Decathlon, par exemple, utilise des imprimantes HP pour concevoir de nouveaux produits ou pour son service après-vente. "L'entreprise avait une problématique majeure : la gestion des pièces cassées lorsque l'objet principal n'était plus vendu. Elle préférait alors changer entièrement l'objet car la fabrication de la pièce détachée coûtait plus chère", précise Nicolas Aubert.

Grâce à l'impression 3D, Decathlon imprime désormais les roulettes des sièges de rameur ou encore les supports de filet des tables de ping-pong. Mais l'entreprise française utilise aussi ce mode de fabrication pour le prototypage 3D de pièces pour les nouveaux produits B'twin, sa marque de vélo, et la réalisation d’outillages pour ses besoins internes. HP compte également parmi ses clients l'entreprise française Chabloz qui imprime des casques destinées à corriger les déformations positionnelles ou posturales chez les jeunes enfants. "Chaque casque étant différent par rapport aux mensurations des bébés. Pour Chabloz, il est extrêmement important de produire chaque casque exactement au même coût", relate Nicolas Aubert.

De son côté, Stratasys cite l'exemple du constructeur français Latécoère, spécialisé dans la production de structures aéronautiques pour les principaux avionneurs tels qu'Airbus, Boeing, Bombardier, Dassault, Embraer… Grâce à la fabrication additive, Latécoère aurait réduit les délais de prototypage de 95 %. L'entreprise a par exemple imprimé un prototype de boîtier caméra pour l'avion Airbus A380 (photo ci-dessous). Elle imprime également des prototypes en 3D pour servir d'outils de vente lors des réunions clients. Latécoère a récemment étendu l'utilisation de son imprimante 3D Fortus 450mc à l'outillage de production.

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Porsche veut des sièges ultra personnalisés

L'industrie automobile s'appuie également sur la fabrication additive pour offrir un choix d'option de plus en plus important à ses clients. Le constructeur allemand Porsche a annoncé en mars 2020 le lancement d'un nouveau concept de sièges baquets imprimés en 3D. Les acheteurs peuvent ainsi choisir le niveau de fermeté des sièges. Cette option est d'abord proposé aux conducteurs des gammes 911 et 718 à partir de mai 2020 dans la limite de 40 prototypes.

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De nombreux défis

Mais toutes ces belles réalisations ne doivent pas faire oublier que la fabrication additive a encore beaucoup de défis à relever. "Tout l'enjeu aujourd'hui est de repousser ce point d'équilibre : à partir de quel volume il est plus intéressant de basculer en injection plastique par rapport à l'impression 3D ? Durant les dix dernières années, ce point était très faible : au-delà de 100 pièces, il n'était plus rentable de rester en impression 3D. Aujourd'hui, nous avons des seuils à 10 000 pièces", se réjouit Nicolas Aubert.

Il poursuit en expliquant que les clients ont parfois du mal à s'acclimater à la fabrication additive car ils sont été "éduqués à l'injection plastique". "Nous aidons les clients à concevoir les pièces dans une liberté de design auxquels ils n'avaient pas l'habitude avec des allègements de matières…", raconte-t-il. Andy Langfeld désire de son côté que la fabrication additive devienne accessible aux plus petites entreprises. "Il faut que tout le monde puisse bénéficier des bienfaits de l'impression 3D", s'exclame-t-il.

Stratasys et HP citent l'élargissement et la diversification du portefeuille de matériaux comme un défi majeur pour que la fabrication additive prenne plus d'ampleur. "Depuis 2016, nous sommes en partenariat avec le groupe chimique français Arkema pour mettre au point de nouveaux matériaux", indique Nicolas Aubert. "On pourrait même imaginer la construction de pièces 'connectées' en travaillant sur l'électronique structurel", suppose Agnieszka Thonet. En effet, plus le portefeuille de matériaux est important plus les cas d'usages de la fabrication additive se multiplieront.

Mais ce n'est pas la seule condition pour pénétrer de nouveaux secteurs. Il faut également obtenir les certifications requises. "C'est ce qui nous empêche d'aller vers le secteur aéronautique car il faut avoir la capacité de créer des matériaux qui résistent à de très hautes températures", explique Nicolas Aubert de HP France. Pour certains, l'absence de standards internationaux empêcherait la fabrication additive de pénétrer complètement les chaînes de production. Mais l’élaboration de standards pour la qualification et la certification est compliquée en raison de la multitude de matériaux, machines et procédés.

A n'en pas douter, la fabrication additive montre qu'un nouveau mode de production est possible, passant d'un modèle centralisé à des usines locales beaucoup plus proches des besoins. Mais pour Nicolas Aubert, une chose est sûre : "la technologie 3D vient complémenter les différentes techniques existantes et amener de nouvelles possibilités, mais ne remplacera pas les procédés existants".