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Pour Cheik Tidiane Seck, directeur artistique du « WAN (Worldwide Afro Network) Show 2.0 », "les arts peuvent permettre de porter encore plus haut nos voix"© DR

Cheick Tidiane Seck : « #IAmWAN », notre prime time à nous (et on vous invite) ! »

ENTRETIEN. Le compositeur malien lève le voile sur ce temps fort de la Journée internationale de l'Afrique, et livre sa vision du continent post-Covid-19.

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À vos agendas ! Parmi les événements au menu de la Journée mondiale de l'Afrique, ce lundi 25 mai, qui a pour thème « sensibiliser à la pandémie et penser l'après-virus », les internautes pourront suivre un concert live de deux heures organisé dans le cadre du show panafricain « Together as one, together is WAN », WAN pour World Afro Network, en association avec l'Union africaine de radiodiffusion sous le haut patronage de l'Unesco. Cette manifestation à l'initiative de laquelle se trouve l'animateur, journaliste et producteur camerounais Amobé Mévégué bien connu des auditeurs de Radio France Internationale (Plein Sud) et des téléspectateurs de Canal France Internationale (Africa Musica), de MCM Africa, de TV5 Monde (Acoustic, Africanités), de France 24 (Journal de la culture musique) et de la chaîne panafricaine Ubiznews, est un moment rare qui réunira une centaine d'artistes africains (dont Youssou N'Dour, parrain de l'événement, Angélique Kidjo, Fally Ipupa, Tiken Jah Fakoly, Jocelyne Béroard) sur une grande scène virtuelle. « Il y aura beaucoup de surprises », annonce déjà le compositeur et multi-instrumentiste malien Cheick Tidiane Seck. Aux manettes de ce concert diffusé sur les réseaux sociaux et sur des chaînes de télévision privées, celui que l'on surnomme « le guerrier » est aussi un maître de la fusion. Il sait comme nul autre faire prendre la sauce à partir d'ingrédients hétérogènes : jazz, reggae, afro-beat, musique mandingue, traditionnelle… etc. Musicien généreux et engagé, il donne un avant-goût de ce méga-show inédit, et décline aussi pour Le Point Afrique sa vision de l'Afrique, et les leçons à tirer de la pandémie du Covid-19.

Le Point Afrique : Qu'est-ce qui vous a motivé à participer à cet événement #IamWAN-#Je suis WAN (également baptisé #TogetherAsWAN) ?

Cheick Tidiane Seck : C'est un de mes petits frères, le journaliste camerounais Amobé Mévégué, qui m'en a parlé.

Quand la crise sanitaire a commencé, j'ai créé le Collectif des artistes contre le Covid-19. C'est pas le CAC40 mais le CACC-19 ! L'objectif est de nous mobiliser et de mobiliser des ressources pour des actions concrètes. Par exemple, grâce à l'appui d'un homme d'affaires algérien propriétaire d'une chaîne d'hôtels, Boubekheur Kelfhaoui, on a eu l'idée de loger des artistes bloqués en France qui ne pouvaient plus regagner leur pays à cause de la fermeture des frontières. Que ce soit des Africains, des Asiatiques, peu importe, l'idée est de venir en aide à ceux qui sont au bord de la précarité parce que les frontières ont été bloquées. Et Amobé Mévégué faisait partie de ce collectif.

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Il m'a ensuite parlé de ce projet de grande ampleur avec notamment Youssou N'Dour, sur lequel il travaillait depuis un moment. Il souhaitait que j'en assure la direction artistique. Voilà comment je me suis retrouvé enrôlé dans cette aventure.

J'avais également remarqué à l'occasion de cette pandémie, de ce moment de souffrance que nous partageons tous, que là encore nous n'avions pas droit au prime time sur les chaînes de télévision. On n'a pas vu Manu Dibango sur TF1 quand il est décédé. Ce sont plutôt d'autres artistes ou penseurs français que l'on a mis en avant. Pourquoi sommes-nous encore des laissés pour compte ? Dans ce sens, cette initiative m'a donc réconforté. C'est une façon de dire : « Vous ne voulez pas de nous dans vos prime time, OK, on va faire notre prime time à nous, mais en vous invitant ! » Parce que nous avons besoin d'un monde où l'on prend plus des risques, et où l'on ne devrait pas voir ce discernement.

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Concrètement, comment cet événement va-t-il se décliner sur le plan musical ?

On va faire deux heures de concert sur Internet, avec des musiciens qui vont jouer en live ensemble pour célébrer la Journée de l'Afrique, mais il y aura aussi des vidéos pré-enregistrées par les artistes. J'ai déjà commencé à en recevoir.

Personnellement, vu que le coronavirus nous a surpris, j'ai envie de surprendre moi aussi musicalement. J'ai déjà composé un ou deux morceaux spécialement pour l'événement, mais on va aussi laisser la place à l'improvisation.

Je serai chez moi, avec ma guitare et mon clavier, et de nombreux musiciens confinés chez eux nous rejoindront. Il y aura du monde ! C'est la première fois qu'on réunit autant d'artistes africains sur un même sujet. On peut s'attendre à une mobilisation bien plus forte qu'en 1985 contre la famine en Éthiopie. C'est très ouvert, mais sans désordre ! Quand j'ai dirigé les Jam Sahel au Cabaret Sauvage à Paris, il y avait plus de 200 musiciens, et chacun a pu monter sur scène à un moment donné.

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Quelle réflexion vous inspire la survenue de cette pandémie de coronavirus ?

Récemment, j'ai écrit un texte, intitulé « le souffle du confiné ». Je dis notamment : « Ce monde auquel nous aspirons tous vient de subir une de ses plus grandes défaites depuis tant de siècles. Maître nature nous dit : Vos puissants, riches, pauvres, experts spécialistes, etc., à genoux tous, nous mettant devant nos limites. Tous impuissants. »

Je me demande donc s'il n'y aurait pas là une leçon de vie. L'humain se trouve dans un de ses plus profonds retranchements, face à un mur infranchissable. Sur le plan sociétal, cette pandémie doit nous amener à plus de solidarité.

Si on parle des dégâts sur le plan économique, ça n'a même pas de nom. Pour nous, artistes, c'est une hécatombe. Qui dit confinement, dit repli sur soi pour éviter la contagion. Et pour nous qui vivons du partage, de l'échange, et de la main tendue, c'est une catastrophe. La profession de musicien, et de l'artiste en général, est particulièrement touchée par le coronavirus.

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Que pensez-vous de la manière dont cette pandémie a été vécue et gérée en Afrique ?

On avait prédit un drame sans précédent en Afrique particulièrement. Mais on est au 4e mois du déclenchement de l'épidémie sur le continent africain, et au Mali par exemple, on compte environ 60 morts, alors qu'il y en a des dizaines de milliers dans le monde. Et la plupart des pays africains sont logés à la même enseigne. Madagascar avec son traitement Covid Organics a un taux de mortalité proche de 0 %. Donc je salue cela, et le fait que l'Afrique n'ait pas encore tout abandonné au profit des lobbies pharmaceutiques.

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L'épidémie du Covid-19 ainsi que ses répercussions sur les populations et les artistes ont inspiré à Cheik Tidiane Seck ce texte écrit de sa main.  © DR

Donc je salue cela, mais dans le même temps, je déplore aussi que certains États n'aient pas compris qu'ils devaient accepter de laisser les lieux de culte fermés. Même la mosquée de la Mecque où il y a la Kaaba a été fermée, donc à un moment donné, on ne peut pas être plus musulmans que dans ce lieu sacré. Pourquoi cette pandémie ne nous apprend pas à penser la spiritualité, quelle que soit la religion, comme quelque chose qui véhicule le partage et la préservation de la vie ?

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Qu'est-ce que les arts pourraient apporter à l'Afrique d'après-Covid-19, selon vous ?

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Les arts peuvent permettre de porter encore plus haut nos voix, pour que nous soyons les vrais acteurs de ce que nous produisons et créons. Il s'agit d'affirmer encore plus notre identité, y compris une identité fusionnelle, avec plus d'ouverture, avec par exemple des Bretons mélangés à des Bamilékés.

L'heure n'est pas à la chasse aux sorcières, à la polémique entre les pro et anti-Pr Raoult, les pro et anti-Big Pharma, les pro et anti-OMS… Tout le monde a montré ses limites, il est temps de se demander : qu'est-ce qu'on peut inventer ?

Personnellement, je pense qu'il faut plus de solidarité dans les prises de décisions et qu'on écoute aussi davantage nos propres spécialistes et experts. Nous sommes encore dans une colonisation du mental.

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Comment voyez-vous l'Afrique de demain ?

Je vois un continent plein de promesses et d'avenir. On dit sans cesse que l'Afrique est un continent jeune, mais c'est le plus vieux continent ! Mettons cela à profit pour donner plus de lettres de noblesse à nos connaissances, à la nature, aux plantes, au respect des animaux. Moi, j'aimerais qu'on abolisse définitivement tout ce qui est engrais chimiques, par exemple.

Le Covid pourrait nous pousser à réviser nos classiques, à dépoussiérer la pharmacopée traditionnelle à l'échelle mondiale. Pourquoi ne pas valoriser cela ? Je me dis que l'Afrique a tout à y gagner. Je ne comprends pas pourquoi l'humain va aussi loin dans ses expériences, notamment dans l'industrie agroalimentaire ? Une mangue, sans OGM ni engrais chimique, c'est tellement bon. On peut imaginer un monde où l'agriculture devienne une discipline plus agréable, comme une sorte d'art. Il ne s'agit pas de voir les paysans souffrir dans leur chair. Moi je suis certain qu'on peut produire à grande échelle avec des méthodes qui respectent la nature, et qui ne nous assujettissent pas.

Or nous sommes en train de détruire l'environnement. Il faut écouter ce signal d'alerte qu'est le coronavirus, et cesser de suivre les tendances actuelles sur le plan agricole.

Nos grands-mères ne se nourrissaient pas avec des aliments aussi riches que ceux auxquels on a accès aujourd'hui, mais certaines étaient centenaires ! Une de mes tantes est décédée l'année dernière à Bamako à l'âge de 105 ans. Ses petites-filles allaient voler ses sauces, pour comprendre la recette de sa longévité. Mais elle n'utilisait que des produits sains : du gombo, de l'ail, des oignons, des tomates… Moi-même, qui adore la bonne chère, je suis en train de changer d'hygiène de vie. Donnez-moi un an et vous allez voir. Parole de ramadan.

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* Le Point Afrique retransmet en Facebook Live sur sa page officielle le « WAN (Worldwide Afro Network) Show 2.0 »