Les « quatre frugaux » contre la solidarité européenne
Quatre pays d’Europe du nord s’opposent au plan d'Emmanuel Macron et Angela Merkel de Fonds de relance en faveur des plus atteints par la pandémie. La Commission européenne prépare un compromis pour sortir l’UE de l’impasse.
by Pierre HaskiIl y a une semaine, la France et l’Allemagne présentaient une proposition ambitieuse d’emprunt commun européen pour aider les secteurs et régions les plus atteints par la pandémie. Depuis, le débat fait rage en Europe, et se concentre autour de l’opposition farouche de quatre pays, qu’on appelle les « quatre frugaux », ou « austères », ou, si on ne les apprécie pas, les « quatre radins ».
Ces quatre pays -l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède- tiennent entre leurs mains la solution à l’impasse politique dans laquelle se trouve l’Union européenne, et dont plusieurs voix ont souligné qu’elle pouvait la mettre en danger de mort.
Les « quatre frugaux » ont présenté ce weekend leur propre plan, juste avant la proposition de compromis que doit révéler mercredi la Commission européenne à Bruxelles. C’est donc le moment décisif où chacun se positionne et fait valoir ses lignes rouges.
La principale différence entre la proposition franco-allemande et le plan des « quatre » est quasiment philosophique : l’union européenne doit-elle être « solidaire » des pays les plus touchés, en particulier l’Italie et l’Espagne, ou servir simplement de mécanisme technique pour les aider à traverser cette épreuve.
En d’autres termes, les Français et les Allemands, suite à la spectaculaire conversion d’Angela Merkel, proposent de créer un fonds de relance de 500 milliards d’euros intégré au prochain budget de l’Union. Ce fonds effectuera des transferts financiers aux secteurs et régions qui en ont besoin, mais il sera remboursé par les 27, selon la clé de répartition budgétaire classique.
Les « quatre frugaux », s’y opposent, et ne veulent pas entendre parler de dons, mais de prêts, qui seront donc remboursés par ceux qui reçoivent l’argent. En d’autres termes, l’Europe les aide simplement à emprunter un peu moins cher.
Mais au passage, on creuse les inégalités régionales, en particulier entre le nord et le sud, au lieu de traverser ensemble une épreuve qui a certes frappé inégalement le continent, mais ne relève pas de la responsabilité des pays les plus atteints.
Ces quatre pays ont en commun d’être des « contributeurs nets », selon le jargon européen, c’est-à-dire qu’ils versent plus qu’ils ne reçoivent du budget européen ; tout comme la France, l’Allemagne ou l’Italie.
Ils ont une vision très comptable de la construction européenne, remplaçant de ce point de vue le Royaume Uni d’avant le Brexit. Souvenez-vous de Mme Thatcher et de son « I want my money back », « je veux retrouver mon argent… » !
On ne peut évidemment pas reprocher à un pays bien géré d’être regardant à la dépense, d’être donc « frugal »… Mais c’est réduire la construction européenne à un simple espace économique, la vision britannique qui a fait des émules.
L’Allemagne, longtemps considérée comme le cinquième « frugal », a opéré un virage décisif en faveur de l’intégration européenne en réponse à la crise du coronavirus. On saura dans les prochains jours si les 27, comme l’espère l’Élysée, parviennent à un compromis acceptable, … ou si c’est Maggie Thatcher qui remporte une victoire posthume, au risque de torpiller durablement l’Europe.