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Judy Mikovits, figure du mouvement antivaccination, interviewée dans « Plandemic ».

« Plandemic », itinéraire d’une vidéo antivaccination particulièrement virale

Présentée comme un extrait d’un futur documentaire, la vidéo, qui assène contre-vérité sur contre-vérité, a accumulé des millions de vues en quelques jours, début mai.

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La vidéo dure vingt-six minutes. Elle est tout entière construite autour des « révélations » d’une femme se présentant comme chercheuse en épidémiologie, Judy Mikovits, qui raconte avoir été harcelée et mise au ban de la communauté scientifique après avoir découvert les preuves d’un gigantesque complot. Pêle-mêle, elle explique que la pandémie de Covid-19 a été orchestrée pour imposer la vaccination obligatoire, et faire gagner « des centaines de milliards de dollars » aux créateurs d’un futur vaccin, qui ne fonctionnera pas et « tuera des millions de gens ». Le grand orchestrateur de ce complot serait le propre conseiller spécial de la Maison Blanche, l’épidémiologiste Anthony Fauci.

Tout, dans cette vidéo présentée comme un extrait d’un documentaire à venir, est mensonger : depuis la présentation du curriculum vitae de Mme Mikovits, dont la procédure judiciaire qui l’a effectivement visée pour un vol chez un ex-employeur, jusqu’à diverses affirmations sur l’origine de l’épidémie – que Mme Mikovits attribue à un problème avec le vaccin contre la grippe en Italie –, à rebours du consensus écrasant des chercheurs. Au milieu de la vidéo, elle explique également avoir personnellement travaillé à rendre le virus Ebola mortel dans un laboratoire de l’armée américaine, ce qu’absolument rien n’atteste d’aucune manière.

Petit budget, grande circulation

Pourtant, Plandemic – c’est son titre, jeu de mot sur « pandémie » et « plan » – a été l’une des vidéos les plus virales depuis le début de l’année. En moins de deux semaines, d’après les chiffres compilés par The New York Times, elle a été commentée ou partagée près de 2,5 millions de fois, soit quatre fois plus que la très populaire vidéo des comédiens de la série The Office, qui se sont retrouvés pour un bref épisode spécial durant le confinement.

Contrairement à d’autres vidéos antivaccination, Plandemic n’a pourtant pas bénéficié de gros moyens, ni d’une campagne de publicité soutenue. Réalisée par Mikki Willis, un Américain habitant en Californie qui gère une petite société de production, elle a été faite pour un budget de moins de 2 000 dollars, affirme M. Willis auprès du Los Angeles Times. Il explique avoir rencontré Mme Mikovits, figure connue du mouvement antivaccination américain, par le biais d’amis communs.

La vidéo semble s’être diffusée à très grande échelle de manière organique, d’abord par le biais de groupes de discussions liés à la mouvance QAnon, dont certains partisans croient notamment que Donald Trump est le chef d’un mouvement secret visant à mettre au jour une gigantesque conspiration pédophile à la tête des Etats-Unis. Puis elle a circulé dans des espaces de discussion anticonfinement aux Etats-Unis, où elle a également été partagée par plusieurs personnalités, dont Christiane Northrup, une médecin consultante pour l’émission télévisée d’Oprah Winfrey, et Nick Catone, un champion de MMA, détaille le New York Times. D’après la chercheuse en sciences sociales Erin Gallagher, qui a étudié en détail la diffusion de Plandemic, la majorité des « vues » sur la vidéo semble être venue de groupes Facebook.

Supprimée des grandes plates-formes vidéo

Trois jours après sa publication, les principales plates-formes en ligne ont supprimé la vidéo, alors qu’elle dépassait les 7 millions de « vues » sur YouTube. Facebook et Instagram ont expliqué que la vidéo était interdite sur leurs plates-formes principalement parce qu’elle incite les spectateurs à ne pas respecter les consignes sanitaires en vigueur. Dans Plandemic, Mme Mikovits explique notamment que c’est le fait de porter un masque qui provoque la contamination par le Covid-19. Si l’efficacité protectrice des différents types de masques est encore sujette à débat parmi les experts, aucune étude n’indique que leur port puisse « provoquer » une contamination.

Des copies de Plandemic sont depuis hébergées sur d’autres sites, comme Internet Archive ou Google Drive, où les systèmes de modération sont plus limités, et pour certains critiqués pour leur supposée inaction en matière de contrôle des contenus. « Je suis très gêné par le présupposé, diffusé dans les médias, que tous les services qui hébergent des fichiers devraient être modérés comme des réseaux sociaux », objecte l’ancien responsable de la sécurité de Facebook et spécialiste de la désinformation Alex Stamos.

« Il devrait y avoir une échelle graduée, qui mette en balance l’amplification et la viralité donnée à un contenu par rapport au mal que ce contenu peut causer et à la protection de la vie privée. »

Les chiffres de diffusion semblent indiquer que, malgré les mesures prises par les principaux réseaux sociaux pour limiter la viralité des contenus les plus mensongers sur la pandémie, ces derniers continuent d’y trouver des outils de diffusion efficaces, bien qu’un peu plus dissimulés. Les différentes copies de Plandemic semblent avoir été majoritairement diffusées par une poignée de groupes Facebook, la plupart proches du mouvement antivaccination, très implanté de longue date sur les réseaux sociaux. Une étude publiée ce 13 mai par la revue Nature confirme que ce mouvement est extrêmement actif sur Facebook, notamment à travers ses interactions avec les « indécis » qui s’interrogent sur la vaccination.