Co-working : fragilisé, le secteur espère rebondir avec le télétravail
Fragilisés par la crise sanitaire, les espaces de co-working font le dos rond. Mais la ruée sur le télétravail pourrait à plus long terme relancer les leaders du secteur.
by Bruno AskenaziPendant les deux mois du confinement, les quelque 1.700 espaces de co-working français étaient à l'arrêt. Un coup dur pour ce marché qui affichait jusque-là une croissance flamboyante . « Depuis le 11 mai, la fréquentation des sites repart timidement avec un taux entre 10 et 15 % contre 100 % début mars », estime Clément Alteresco, président-fondateur en 2012 de Morning Coworking, l'un des leaders de l'activité avec 25 espaces à Paris et en région parisienne, 142 salariés, un chiffre d'affaires de 18 millions d'euros et 650 entreprises clientes. L'entreprise négocie actuellement le report de loyers avec plusieurs bailleurs.
Les loyers au coeur des préoccupations
Pour les petites structures indépendantes (40 % des sites comptent moins de 20 postes), la situation est encore plus critique. D'un côté, leur clientèle de free-lances ou de travailleurs indépendants, les plus exposés à la crise , s'est réduite. De l'autre, le paiement des loyers, principal poste de charges , est toujours d'actualité. Même si certains propriétaires ont accepté d' annuler les mois de confinement , la reprise risque d'être compliquée.
« Nos clients free-lances qui ont des enfants ne reviendront pas », assure Pauline Thomas, fondatrice en 2012 de LapTop qui s'attend à plusieurs mois de vache maigre. D'autant qu'avec l'application des normes de distanciation physique , la capacité d'accueil des deux co-workings parisiens a été divisée par deux. Sans ses formations aux métiers du design, qui attirent un public régulier, l'entreprise de 10 personnes qui a réalisé 1,2 million d'euros de CA en 2019 serait déjà en grand danger.
La reprise, certains ne sont pas prêts de la vivre. Soumis au même régime que les bars-restaurants, les 11 Anticafé (Paris, Bordeaux, Strasbourg et Lyon) restent fermés jusqu'à nouvel ordre . Zéro chiffre d'affaires depuis mars dernier mais les charges continuent de tomber. « Nous avons demandé un prêt garanti par l'Etat pour faire face aux pertes d'exploitation, et nous discutons avec nos bailleurs pour des abandons ou remises de loyers », explique Leonid Goncharov, fondateur de la chaîne de café co-working en 2013 qui a réalisé l'an dernier 4 millions d'euros de chiffre d'affaires, et dont le personnel en salle est au chômage partiel.
Paris et régions à la même enseigne
Pour le secteur, le plus dur commence. Pendant de longs mois encore, les espaces de co-working vont naviguer à vue sous la menace de la pandémie. Gel hydroalcoolique, marquage au sol, messages de recommandation, distribution de masques… Les sites se sont mis à la page du déconfinement.
Dans les 11 centres Wojo (ex-Nextdoor, créé en 2014 au sein des groupes Bouygues et Accor et qui compte 90 salariés), les co-workers peuvent acheter à prix coûtant un kit d'accueil avec gel, masques et lingettes nettoyantes. Mais cela n'empêche pas tous les grands coworkings de la capitale de ressentir les premiers effets de la crise économique. Il y a des résiliations de contrats de la part d'entreprises qui profitent de la flexibilité du système. Mais plus fréquemment, certains abonnés, prestataires de services ou cabinets de conseil par exemple, réduisent le nombre de postes en attendant des jours meilleurs.
Selon les bons connaisseurs du secteur, une proportion non négligeable de petits espaces indépendants, plus fragiles financièrement, aura du mal à survivre. On estime à 85 % le taux d'occupation minimum pour rendre rentable un site de co-working. Or, ce taux n'est pas près d'être atteint tant que planera la menace du Covid-19 dans les open spaces. En province, l'équation économique n'est pas plus simple à résoudre. Les loyers pèsent moins lourd qu'à Paris. Mais la demande de bureaux partagés, bien qu'en progression, est moins intense. Les tarifs du co-working y sont également moins élevés : en moyenne 210 euros par mois et par poste en open spaces, contre 330 par mois pour la capitale (Indice du co-working 2019 - Bureaux à Partager).
Nouveaux modèles économiques
Pour les petites structures, la crise rend intenable un modèle économique fragile. Certains en tirent déjà les conséquences. Pauline Thomas (LapTop) envisage d'abandonner le co-working ouvert à tout le monde « qui n'est plus viable ». « Je pense plutôt intégrer ce service à une offre globale comprenant les formations qui existent déjà, du mentoring et l'accès à notre réseau d'experts francophones. J'imagine des coworkers engagés qui apportent leurs contributions à cette communauté », détaille la fondatrice.
Si l'année 2020 est définitivement gâchée, les organisations aux reins plus solides ne perdent pas espoir de relancer la machine. Et c'est le travail à distance qui pourrait leur sauver la mise. De moins de 700.000 avant la crise, les salariés qui travaillent depuis leur domicile sont passés à marche forcée à plus de 5 millions. Ils y ont pris goût : selon une enquête CSA/Malakoff Humanis, 73 % d'entre eux souhaitent poursuivre après le confinement de manière régulière ou plus ponctuelle. Du temps perdu en moins dans les transports. Les managers qui faisaient de la résistance découvrent que l'on peut fonctionner à distance de manière efficace. « Mais le télétravail à la maison montre aussi ses limites, relève Stéphane Bensimon, président de Wojo. Manque le lien social que justement les espaces de co-working peuvent apporter dans un cadre moins rigide que le bureau classique. » Pour Clément Alteresco (Morning Coworking), « le co-working qui est par nature un super laboratoire des nouvelles tendances au bureau a une belle carte à jouer ».
En période de crise économique, partager des bureaux peut aussi permettre à des entreprises du tertiaire de diminuer les charges fixes. Leur stratégie immobilière pourrait intégrer des formules plus souples, mieux adaptées à une conjoncture incertaine. Selon Wojo, mixer baux traditionnels et mètres carrés flexibles réduirait la facture immobilière tout en surfant sur les nouvelles attentes de télétravail. Des formules peuvent également répondre à des besoins ponctuels. Comme les cartes prépayées du réseau Anticafé que des employeurs offrent à leurs équipes pour télétravailler ou s'organiser une réunion dans un cadre chaleureux. Une offre BtoB que le dirigeant de la chaîne, Leonid Goncharov, envisage de pousser davantage. Il l'assure : les télétravailleurs salariés pourront représenter jusqu'aux trois quarts de ses co-workers contre un quart actuellement.